Ghania Oukazi
Le panel de médiation pour le dialogue risque de s’engouffrer dans des considérations d’exclusion de partis et de personnalités qui compliqueraient davantage la crise politique que vit le pays.
Depuis leur installation en tant que tels, les membres du panel n’ont cessé de répéter qu’ils ne dépendaient d’aucune instance et qu’ils n’étaient les représentants ni du pouvoir ni du mouvement populaire. A les croire, c’est une simple mission de bons offices qu’ils mènent auprès de la classe politique et de la société civile pour dénouer la crise nationale. «Le panel n’est pas un parti politique ni une association, c’est une structure citoyenne ad hoc indépendante,» a précisé récemment son coordonnateur, Karim Younes. «Le panel n’a pas vocation d’être le porte-parole d’une institution quelle qu’elle soit, d’un parti ou d’une association. Il aspire à l’unité des forces patriotiques et démocratiques», a-t-il encore noté.
Par ces propos, le panel a donc repris à son compte le caractère «inclusif» apposé au dialogue par le chef d’état-major de l’ANP, vice-ministre de la Défense, le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah. Jusque-là, le pouvoir actuel ne prévoit en effet, aucunement d’éloigner des partis du pouvoir de son initiative de résolution de la crise politique. Les changements à la tête des états-majors du FLN et du RND semblent même s’inscrire dans un repositionnement de personnels politiques opéré pour soutenir l’armée et vanter les mérites des Tagarins pour leur préservation du cadre constitutionnel et leur décision d’organiser des élections présidentielles «dans les plus brefs délais.» Du moins, si l’on s’en tient aux discours récurrents du secrétaire général du FLN, Mohamed Djemai qui sont un signe évident de reconstitution des soutiens du pouvoir.
Les brusques revirements du RND au profit de Gaïd Salah sont une autre manière de départager les tâches à ce niveau.
Reste que la formule du Panel pour faire adhérer ces deux partis dans le processus du dialogue n’est pas claire. Dans la réponse qu’il a donnée sur une éventuelle rencontre entre le panel et ces deux partis, Karim Younes a insinué qu’il n’en sera rien.
Un dialogue inclusif ou exclusif ?
«Le RND et le FLN peuvent présenter leurs propositions directement au pouvoir, ces deux partis ont des militants mais nous si nous décidons de dialoguer avec eux, c’est avec leurs états-majors que nous devons le faire, ils n’ont qu’à le faire avec le pouvoir, ils font ce qu’ils veulent». Il est curieux que le panel refuse de dialoguer avec les partis du pouvoir mais accepte d’émerger des entrailles de ses associations satellites comme celles constituant le réseau Nada. Il est clair qu’il sera difficile pour lui de fixer des critères de participation au dialogue dans un paysage politique où tout s’entremêle. Le système est loin d’atteindre sa phase résiduelle au regard des actions sournoises qui se cogitent à l’ombre d’un «Hirak» qui n’a rien à perdre même diminué des trois quarts de ses participants. Hier, l’on a compté « à peine 200 » marcheurs dans le « hirak » estudiantin composé, nous dit-on de «quelques étudiants, quelques enseignants mais beaucoup d’islamistes».
Un habitant d’un des quartiers du centre de la capitale témoigne «j’ai vu la marche quand elle est passée par la Grande Poste, les marcheurs sont arrivés par la rue Ben M’Hidi puis sont allés vers l’avenue Pasteur, ils sont descendus par le Boulevard Khemisti (côté droit, pas celui où les policiers se trouvaient près du bâtiment de la Grande Poste) puis sont repartis vers la Fac et ne sont pas repassés ». Il nous a précisé que «c’était fini avant 13h, après 13h30, il n’y avait aucune trace du dispositif policier ». Pour notre témoin «il y avait très peu d’étudiants mais beaucoup d’islamistes, ils paraissaient nettement âgés pour être des étudiants ». Pour les slogans, «celui qui dominait à la Grande Poste c’était doula madania, machi askaria, Allah, Allah», et la prière de l’Aid «Allah ou Akbar…, La Ilah Ila Allah… », nous a-t-il dit.
Le gouvernement dans la difficulté
La faiblesse du nombre des marcheurs pourrait être justifiée par les vacances et la fermeture des résidences universitaires. Ce qui semble quelque peu nouveau, ce sont «les islamistes venus nombreux». Ce courant n’a pourtant pas émergé des «hirak» des 25 vendredis consécutifs. Des slogans entendus ici et là rappelant les mauvaises années de l’histoire nationale laissent croire qu’il reste sournois en attendant que la scène politique, les rôles et les missions des uns et des autres animateurs se décomptent. Ceux qui ont conseillé le «hirak» de «tenir jusqu’en septembre » pensent certainement remanier les donnes actuelles et consolider les carrés des marcheurs les plus en vue pour redessiner clairement leurs marques dès la rentrée sociale.
Le renforcement du panel et le travail «consensuel» qu’il effectuera dans un temps raisonnable pourraient être les seuls indices de l’avancement du pays vers une résolution de sa crise. Mais d’ici là, les multiples incendies des forêts, les coupures intempestives d’eau, l’amoncellement des ordures dans l’ensemble du pays, le refus par de nombreux citoyens d’acheter la vignette automobile, entre autres, sont considérés par des observateurs comme des signes précurseurs d’une désobéissance civile latente.
Ils sont en tout cas pour mettre le gouvernement dans la difficulté face à des revendications socioprofessionnelles qui marqueront crescendo la rentrée sociale sur fond de diminution drastique des ressources financières de l’Etat.