Ghania Oukazi
L’émission d’un mandat d’arrêt international contre Khaled Nezzar présage de l’amplification d’une guerre qui puise ses origines au temps où les généraux janviéristes régentaient l’Algérie, le patron du renseignement noyautait les institutions de l’Etat et Gaïd Salah n’était qu’un inspecteur au niveau du MDN.
Accusé de «complot» et «atteinte à l’ordre public», l’ancien ministre de la Défense est happé à son tour par la vague des arrestations lancée depuis plusieurs mois contre les pontes du régime. Il fait, depuis mardi dernier, l’objet d’un mandat d’arrêt international tout autant que son fils et un de leurs auxiliaires. Si tous les hauts responsables incarcérés à la prison d’El Harrach n’avaient aucune chance d’échapper à la revanche que l’état-major de l’ANP a décidé de prendre depuis quelques mois sur les tenants du pouvoir Bouteflika et d’avant, Khaled Nezzar est ce général qui, à la retraite depuis 1993, n’a pas arrêté de commenter le pouvoir, de critiquer ses plus hauts responsables et de s’ingérer dans la gestion des affaires de l’Etat par officines interposées. Nezzar n’a jamais cessé de croire en sa personne en tant que haut gradé qui a semé jusqu’à l’effroi au sein de l’armée et de la population. Khaled Nezzar s’est toujours considéré comme autorité incontournable et au-dessus des lois.
Depuis quelque temps, il a même mené une guerre médiatique féroce contre Gaïd Salah. Guerre qui était latente depuis longtemps. Nezzar a même affirmé récemment qu’il risquait d’être arrêté par la justice sur ordre du chef d’état-major. Il a d’ailleurs prémédité sa présence en Espagne ainsi que celle de son fils dont l’enrichissement en tant que premier provider en Algérie crève les yeux. L’histoire retient que Khaled Nezzar fait partie de ces «indigènes» appelés sous le drapeau français mais qui ont déserté l’armée coloniale pour rejoindre, plus de quatre ans après, « El Khaoua » qui ont déclenché la guerre de libération nationale. Très souvent, il est rattrapé par cet épisode qui l’inclut parmi les éléments militaires algériens comptés parmi «les officiers de la DAF» ou de la «promotion Lacoste». Un tel statut a forgé un long et profond écart entre les militaires algériens de l’armée française et ceux de l’Armée de libération nationale (ALN). Le conflit a toujours été entretenu par des décideurs qui, même après l’indépendance, ont continué à s’observer chacun de la wilaya historique à laquelle il a appartenu.
Relents de vengeance
Nezzar a, selon d’anciens généraux, enfoncé le clou dans ce sens en opérant des limogeages « régionalistes » au sein de l’armée. «Deux généraux de l’Ouest limogés contre un général de l’Est», rapportent ceux qui l’ont connu dans la fonction de ministre de la Défense qu’il a occupée de 90 à 93, et membre du Haut Comité de l’Etat (HCE) en 92. A cette époque et bien plus tard, le général et d’autres trônaient sous le qualificatif de «janviéristes», après qu’ils eurent ordonné l’arrêt du processus électoral qui, en janvier 91, a hissé le FIS à la tête de toutes les collectivités locales du pays. Le profil Nezzar devient alors compliqué et effrayant. «C’est un grand truand ! Un grand criminel !» se sont exclamés différentes personnalités et observateurs dès l’annonce de l’émission d’un mandat d’arrêt international contre lui. L’exclamation est parce que le général n’en est pas à ses premiers déboires avec la justice. Il a été d’abord sous le coup de celle française.
C’était en 2001 où il se trouvait à Paris pour présenter «ses mémoires» sans qu’il sache que des Algériens avaient déposé plainte contre lui pour torture. »Le général Nezzar est mis en cause par l’ensemble des ONG pour sa responsabilité directe, en sa qualité de ministre de la Défense puis de membre du Haut Comité d’Etat, dans la politique de répression généralisée fondée non seulement sur l’usage massif et systématique de la torture mais aussi sur les exécutions extrajudiciaires», résumaient les plaintes. Il a fallu l’intervention du président Bouteflika auprès du président Chirac pour rapatrier Nezzar à bord d’un avion spécial affrété par Alger qui a décollé en pleine nuit pour l’aéroport du Bourget (spécialisé dans l’aviation des affaires), situé au nord-est de Paris.
Il faut rappeler que Nezzar n’était pas le seul des hauts gradés visés par des plaintes qui pouvaient les amener devant le TPI (Tribunal pénal international). « Bouteflika a été ramené à la tête de l’Etat pour négocier et fermer cet épineux dossier auprès des puissances de ce monde », affirment de hauts responsables qui notent qu’«il a rassuré les janviéristes mais ils les a tous mis à la retraite dont Toufik en 2015 après qu’il eut noyauté toutes les institutions et administrations». Il nommera Gaïd Salah à la tête de l’état-major de l’ANP. Une nomination pas du tout appréciée par ses pairs parce qu’elle profitait à un militaire qu’ils ont toujours sous-estimé. Ces haltes qui ont marqué l’histoire nationale ont toujours dégagé des relents de vengeance au sein du pouvoir. Ce qu’il en reste expose aujourd’hui le pays à de graves dérives.