De la bérézina à l’algérienne !

De la bérézina à l’algérienne !

Parfois, on dit en politique qu’à chaque situation inédite convient un qualificatif absurde! Mais le problème, c’est qu’en Algérie, toutes les situations sont inédites et tous les qualificatifs qui leur collent dessus sont absurdes, étonnant.

De la « mystérieuse » maladie du président Bouteflika depuis pratiquement 2005 à l’initiative des 19 personnalités qui voudraient l’écouter parler, et de l’omnipotence d’un général de l’armée « invisible« , considéré en certains temps comme « le Dieu de l’Algérie » aux supplications assez pathétiques via les médias de la même personnalité qui s’est dit consterné par un jugement rendu par un tribunal militaire à l’encontre de l’un de ses ex-subordonnés, le sort de cette Algérie irrécupérable semble échapper à tous les pronostics, hélas !

Lassés, mes compatriotes ont fini par prendre, au fil du temps, le pli. On dirait que notre actualité est faite d’un rien qui se multiplie par un nombre indéfini de fois. Pour cause, quiconque aurait vu les images pour le moins désolantes retransmises en direct, il y a quelques jours, de l’hémicycle de l’APN parlera sans doute de « mascarade ». De mon côté, je préfère les appeler « bérézina ». Mais pourquoi ai-je choisi exactement ce mot et pas un autre ? Quoique se référant étymologiquement au lieu où se serait déclenchée la bataille franco-russe de 1812 dont les deux parties belligérantes ont tiré une grande fierté, bérézina signifie en fait dans la langue de Molière une déroute due à une mauvaise organisation, laquelle mène nécessairement à la catastrophe. Oui catastrophe ! Mais la particularité de cette catastrophe – cela aussi, me diriez-vous, est typiquement algérien – est qu’elle sauve une petite minorité et noie la plus grande majorité. Soit dit en passant, respectivement les privilégiés du système et les couches défavorisées de notre société.

A cause de leur mal organisation, leur peu d’engagement et leur allégeance aveugle aux cercles de l’argent sale, la majorité des députés qui étaient présents ce jour-là dans l’enceinte de l’A.P.N ont, d’une manière ou d’une autre, contribué à l’impasse actuelle. Pris au piège par la logique de la rente, atteints du syndrome « khobziste » ou manipulés, ils portent la pleine responsabilité de notre « bérézina » nationale. Quant aux élites gouvernantes, elles ont rebattu les cartes du « poker » de façon confuse jusqu’au point où elle se sont perdues dans leur propre jeu : un véritable dilemme du prisonnier. Et puis maintenant, avancer vers quoi ? Acheter la paix sociale par quoi ? Comment et par quel moyen ? Terminer le plan quinquennal déjà prévu jusqu’à 2019 ou le geler? Retourner à la case départ ou foncer droit dans le mur ? Difficile de prédire quoi que ce soit quand on sait qu’on est l’otage du « monsieur Pétrole » ! Il est « des mots nés de maux qui ont éclos », dirait l’illustre écrivain Frantz Kafka (1883-1924). Terriblement ! Nos maux, à nous les algériens, ne se découvrent que que le jour où l’argent cesse de couler à flots et la bourse de Brent adopte une tendance baissière…

Vers 1870, un réformateur tunisien du nom de Kheireddine Pacha (1822-1890) aurait laissé à la postérité la citation suivante : « Celui qui a lu le troisième chapitre du livre d’Ibn Khaldoune a pu vu voir les preuves palpables que l’injustice et l’arbitraire sont la cause de la ruine des Etats, quelle qu’ait été leur condition précédente » A ces ingrédients de la ruine, il va falloir ajouter peut-être la mauvaise distribution des richesses. Quand un pays ne produit presque plus rien de la sueur de son front et se vante d’être à l’abri des tornades économiques dont tout le monde se plaint, puis, se découvre du jour au lendemain en plein centre du cyclone, il y a de quoi en être inquiets. On est tous victimes d’une sorte de « mythomanie collective ». On se ment à nous-mêmes, ment aux autres et finit par croire à nos propres mensonges. En fin de course, la réalité nous détrompe à coups de « breaking news », du genre : serrez la ceinture les gars car si le pétrole continue de chuter à ce rythme, l’Algérie va contracter des dettes chez le FMI d’ici 2017. Mais bien sûr messieurs les responsables! On le sait bien! Mais où en êtes-vous pendant tout ce temps pour rectifier le tir? Mine de rien, notre capacité de« transformation dans l’absurde » est phénoménale. Et puis, l’Algérien lambda s’est aussi« métamorphosé », en prenant de mauvaises habitudes pendant ce règne de Bouteflika : il s’est par exemple donné à fond dans le culte de l’argent-roi. De même, le matérialisme a envahi son subconscient et ce dernier se sent complètement déréglé au point de vue de « la moralité » (perte du sacrifice, égoïsme, peu d’amour du pays…, etc)! Cela laisse entière la question de son adaptation à ce nouvel oukase de l’austérité! Qu’est ce qui nous arrive à nous les Algériens ? A-t-on perdu les repères de la raison, du temps et de l’espace ? Qu’est-ce qu’on a fait en 15 ans d’embellie financière exceptionnelle ? Et dire que la nomenklatura plongée dans l’opulence n’a jamais eu le temps de penser à une transition économique, ce serait complètement débile, voire absurde. Plus de 700 milliards de dollars dépensés dans les projets de « relance » économique sans grande utilité. Or le pétrole n’est pas, encore faudrait-il le répéter en ce papier, une rente viagère. Et il va de soi qu’un jour ou l’autre, on n’aura plus cette manne céleste à notre disposition pour camoufler nos failles.

Mais qu’importe ! Car les nôtres se bandent les yeux et jouent au colin-maillard. Et oublient, par je ne sais quelle magie, que le jeu est quelque chose de sérieux. Parce que si parfois ils y réussissent, en d’autres occasions ils pourraient bien y échouer. C’est la règle de la vie. Imaginons un instant un pays européen ou même asiatique se trouvant dans la même situation que nous avec les mêmes potentialités souterraines, ses élites en réagiraient-elles de la même façon ? Sans doute non! Bref, les scènes cocasses de l’A.P.N révèlent, à elles seules, des fractures dans la société et également un drame à haut degré d’adversité où «une hydre oligarchique à plusieurs têtes », sévit au cœur des appareils de l’Etat. Nos dirigeants devraient se rendre compte de l’insolvabilité de cette crise si nous ne nous y mettions pas à fond. Je ne peux m’empêcher en y pensant d’avoir recours à cette excellente réflexion du poète syrien Nizar Al-Kabbani (1923-1998) « Pardonnez-nous, écrit le, pour le jour où nous nous entasserons sur un bateau. Et nous nous dispersons aux quatre coins du monde. Car nous n’avons pas trouvé chez les marchands arabes un seul qui accepte de nous nourrir ou de nous acheter ». A vrai dire, bien que la mayonnaise de « la mauvaise gouvernance » ait pris, les choses ne peuvent s’assembler dans la réalité comme lors de l’énumération des mensonges dans le discours d’un autocrate démagogue. Ni les archives émotionnelles de la grande épopée révolutionnaire, ni la panoplie des manipulations de toutes sortes, encore moins le bâton de la répression ou « le fantôme de la peur » ne suffiront désormais pour apaiser la colère des citoyens.

Ne dit-on pas d’ailleurs qu’un ventre affamé n’a point d’oreilles. Ce qui se passe actuellement en Algérie, quoique prévu depuis assez longtemps, est gravissime et nécessite des solutions « radicales » et urgentes à la hauteur des défis nationaux. Il y a péril en la demeure, décidément. D’autant que cette loi de finances 2016 consacre l’avènement du néolibéralisme et une rupture définitive avec la terminologie du socialisme. Si de par le passé, les autorités jouent sur le registre sensationnel«économie de marché», «réformes», «restructuration économique», etc., maintenant, elles affichent en grandeur nature leurs intentions ultralibérales et prennent avec dédain tout ce qui vient des entrailles de la société. Or on le sait depuis toujours, l’odeur de l’oseille et de l’austérité sentent souvent le pourri. Qu’on valorise moins le destin du pays et de sa jeunesse est une chose, mais que l’on continue à assumer des charges étatiques en affirmant défendre son honneur, son statut et sa dignité en est une autre! Notre gérontocratie décidée à se cramponner à ses privilèges se serait indirectement reconnue cette fois-ci dans ses illusions.

Kamal Guerroua