Journée mondiale de lutte contre le sida. Une journée somme toute ordinaire, si ce n’est cette foule qui commence à se former devant ce fourgon baptisé “Centre mobile de dépistage du VIH”. L’association nationale de protection contre le sida (APCS) s’affaire à sensibiliser les citoyens de passage. Nadia Riazi, psychologue clinicienne et coordinatrice de projet de prévention auprès des populations clés, est particulièrement active. Des dépliants de sensibilisation contre le virus sont simultanément distribués.
Nadia Razi arrive à capter l’attention d’une vieille dame accompagnée de sa fille. Elle lui explique le principe du dépistage, particulièrement “simple, rapide et gratuit”. Le résultat n’a pas besoin d’attendre. Il est connu à peine quelques minutes après le test. La jeune demoiselle est tentée. Sa mère lui lance un regard accusateur.
Un de ces regards où pèsent tous les paradoxes et les interdits de la société algérienne. “Ainsi, tu as eu déjà des rapports sexuels”, suggère le regard de la vieille lancé à la demoiselle. La coordinatrice du projet de prévention a eu le bon réflexe. Elle tente d’expliquer à la vieille dame que les modes de transmission du VIH sont multiples : “Vous savez madame, il suffit parfois d’aller chez la coiffeuse ou chez le dentiste pour attraper ce virus…” La vieille ne semble pas trop y croire. Elle soupçonne quelque chose. Elle invite la jeune fille, vraisemblablement sa fille, à la suivre, puis elles disparaissent parmi la foule. Pendant ce temps-là, une queue énorme continue à se former devant le centre mobile. Des citoyens de tout âge, particulièrement de jeunes messieurs, mais surtout de vieilles dames. Les Algériens débattent d’un sujet jusque-là tabou. C’est l’exemple de cette vieille dame, âgée de la soixantaine, qui a lancé à l’infirmier chargé d’organiser le passage des candidats au dépistage : “Vous savez, moi je n’ai rien à craindre. Mais le vieux m’inquiète ces derniers temps. Vous savez, avec toutes ces jeunes femmes qui circulent dans la capitale, il peut toujours être tenté.” Les jeunes messieurs qui attendaient leur tour pour le dépistage éclatent de rire.
La vieille dame ne semble point incommodée. Encore moins complexée. Nadia Razi continue d’approcher les gens de passage. Un vieux monsieur lui lance sur un ton plutôt moqueur : “Voyons, voyons ma fille ! À mon âge ?” Elle tente vainement de lui expliquer le principe avant qu’il ne s’éclipse. Un enseignant universitaire lui lance : “Ah, vous distribuez des préservatifs. Notre religion musulmane ne permet pas ce genre de comportement.” La coordinatrice du projet de prévention tente de lui expliquer que l’association APCS n’encourage pas les jeunes messieurs et demoiselles à s’adonner au sexe, mais les sensibilise sur l’impératif de se protéger.
Il ne veut rien entendre. La jeune psychologue tente une autre approche : “Vous savez monsieur, notre association est en dehors de toute considération religieuse. Notre mission est de faire dans la prévention.” Hors de lui, l’enseignant universitaire en question quitte les lieux. La directrice exécutive de l’APCS, Rahou Faïza, explique qu’il y a encore beaucoup de résistance dans la société algérienne par rapport à ce virus pourtant facilement transmissible. Selon elle, son association a détecté 53 cas positifs sur 1 321 dépistages réalisés depuis le début de l’année 2015. “Le malheur, c’est que parmi ces 53 cas positifs figurent 21 enfants… Et là, je vous communique les chiffres que nous avons enregistrés dans la wilaya d’Oran où nous activons le plus. C’est la deuxième année que nous sommes présents à Alger, pendant la Journée mondiale de la lutte contre le sida, depuis que nous avons eu notre agrément d’association nationale en 2014… C’est pour vous dire qu’il fallait attendre six ans, soit depuis 1998, pour avoir un agrément national”, a-t-elle regretté.
Anonyme ou pas, je fais le test
Il est presque midi, Omar Ouhaddad, bénévole et membre actif de l’association, recense les bénévoles pour le dépistage sur un registre. Une jeune demoiselle attire visiblement tous les regards. Elle patiente pour son tour à l’intérieur du fourgon. Un groupe de gens, les uns poussés par la curiosité, les autres attendant leur tour, intimident du regard la jeune candidate au dépistage.
Elle ne se laisse pas faire pour autant. Au moment de communiquer son âge, sa région et sa profession à Omar Ouhaddad qui a déjà 26 personnes inscrites sur son registre, un monsieur hausse le ton : “Attention, si ce n’est pas anonyme, je me retire de la liste.” C’est alors qu’une vieille dame, contre toute attente, riposte vivement : “Mais franchement monsieur, je croyais que nous avions dépassé ce genre de considération. De toute façon, que ce soit anonyme ou pas, moi je fais le test.” Les témoins de la scène sont plutôt amusés. Ils applaudissent. La vieille dame n’est pourtant pas flattée. Elle entre dans le fourgon maintenant que son tour est arrivé. Mais voilà que l’intolérance et l’archaïsme refont surface.
À une jeune demoiselle qui se renseignait, un homme d’un certain âge lui balance : “Que Dieu nous protège.” La jeune demoiselle réplique du tac au tac : “Dieu ne fait pas tout à notre place. il y a lieu de prendre nos responsabilités et nos précautions pour nous protéger.” Furieux, il revient de sitôt à la charge : “Non, ça ne sert à rien tout ça. Que l’on soit atteint d’une maladie ou pas… Dieu est le seul guérisseur.” La prévention est décidément un blasphème pour ce père de famille.
Pendant ce temps, le membre actif et bénévole Omar Ouhaddad regrette que son association ne dispose que d’un centre de dépistage mobile offert par la mairie de Paris, maintenant que les citoyens se bousculent pour faire le test.
Une prise de conscience ? Visiblement oui, puisque la généticienne Limam Oum El-Khir, chargée du dépistage, affirme : “Les candidats au dépistage se montrent inquiets et angoissés dès lors qu’on leur explique que le virus du sida peut être transmissible par trois modes essentiels, à savoir le sang, le lait maternel et les liquides de sécrétion.” Un bon signe.
M. H.