Composées de baraques, bicoques et demeures de fortune en zinc et en parpaing, ces habitations illicites et précaires sont comme une boule de mercure.
C’est le moins que l’on puisse dire de ce phénomène étrange, s’étalant à perte de vue à l’image des favelas brésiliennes. Une situation similaire au phénomène mercure qui, si vous tentez de le prendre dans les mains, il vous échappe entre les doigts. Etrange et délicate équation pour les responsables de la wilaya de Annaba, qui, face à cette poussée phénoménale des constructions illicites et anarchiques, ont fini par baisser les bras, abandonnant toutes actions pour le freiner. En réalité, aucun acte n’a jamais été entrepris dans ce sens… ce qui explique la prolifération de ces concentrations d’habitations précaires sur le territoire de la wilaya, notamment en son chef-lieu et dans la commune d’El Bouni.
Rien que pour ces deux circonscriptions, on dénombre plusieurs bidonvilles dont, ceux à la peau dure, Sidi Harb et Oued Forcha pour Annaba, et Bouzaâroura, Oued Ennil, Bidari et l’Assas de Sidi Salem, entre autres bidonvilles évoluant d’une manière incroyable à Annaba. Ce sont des milliers de familles qui vivent dans ces points de concentration inhumaine. Dans un espace dépourvu des conditions de vie les plus élémentaires, ces familles bravent les dangers sanitaires et maux sociaux, pourvu que qu’elles décrochent un logement.
Un grand risque pour les uns et une opportunité qui vaut le coup pour d’autres. En conclusion, elles sont des milliers d’âmes des deux catégories à expier des erreurs qui ne sont pas les leurs. A commencer par la mauvaise prise en charge du phénomène des bidonvilles, qui au fil des années est devenu un problème démesuré en béton. Situation accentuée par l’indifférence, le laxisme et l’affairisme de quelques responsables, impliqués directement ou indirectement dans ce qui est aujourd’hui, l’aubaine de la mafia des constructions illicites et logements sociaux. Un segment à l’origine de la crise du logement dans la wilaya de Annaba. Situation retenue sur le compte de la décennie noire, où des centaines de familles des wilayas de l’Est, Collo, Jijel entre autres, avaient fui les affres des extrémistes sanguinaires.
Bien qu’un grand nombre de ces familles, propriétaires de biens notamment, aient regagné leurs wilayas d’origine, la minorité restante a opté pour vivre définitivement à Annaba, où elle avait érigé des constructions illicites. Etant en nombre insignifiant, ces familles avaient bénéficié d’un logement, dans le cadre des différents programmes de recasement et relogement ayant ciblé les habitations précaires et illicites durant les années 1999 et 2000. Période où la wilaya de Annaba ne comptait que 11 000 baraques et 5 000 habitations précaires.
Les raisons d’une crise
Les divers programmes de logements tous segments confondus ne sont pas parvenus à éradiquer cette récurrente crise. Depuis 1995 et jusqu’en 2000, il a été réalisé et attribué plus de 100 000 unités sociales notamment. Un quota renforcé par les différents programmes quinquennaux dont le fameux un million de logements, dont Annaba avait bénéficié de plus de 70 000 unités tous segments confondus. Depuis Annaba, El Bouni, Sidi Amar et El Hadjar des milliers de logements, entre Aadl, LSP promotionnels et sociaux entre autres, ont été réalisés pour la résorption de l’habitat précaire, et surtout, éliminer les bidonvilles. Or, toute action est restée vaine, du fait que le secteur logement à Annaba a rallié le camp de l’affairisme.
Devenu source de gain pour les chasseurs de fortunes. Ces derniers étaient de vrais ayants droit et avaient bénéficié d’un logement social décent, avant de le vendre et refaire leur vie dans une construction illicite, dans un autre bidonville. Un mode malicieux de la part de ces bénéficiaires, pour postuler à un autre logement. Ces indélicats individus sont d’une part, aidés par des présidents de quartier, chargés de filtrer les listes des demandeurs. Un travail sensé être accompli, pour faciliter la tâche des responsables en charge du secteur, pour une meilleure gestion du secteur. Ce dernier, malheureusement a, en l’absence d’une rigueur dans le suivi, ouvert la brèche du pourrissement. Une gangrène infectant le secteur à haut niveau. Situation occasionnant l’attribution de logements sociaux à des non-ayants droit, au détriment de postulants dans le besoin. Une fausse note moyennant «tchippa»,» mahssoubia» et complaisance, gestes malsaints impliquant certains responsables de la wilaya, des APC et des daïras.
En somme, durant deux décennies, le secteur du logement a fait l’objet de mainmise d’une mafia qui ne s’est jamais fait discrète. A l’image du fils d’un haut ex responsable dans la wilaya de Annaba, qui avait pris possession de 80 logements sociaux sur les 900 dans la daïra d’El Bouni. Les arrêtés portant des noms de non-ayants droit, moyennant 80 millions de centimes, situation à l’origine d’un vaste mouvement de contestation, après l’affichage de la liste des bénéficiaires, dont les 80 écartés, avaient été rassurés d’en bénéficier lors de la prochaine attribution. Ce cas parmi tant d’autres n’est qu’un échantillon des actes favorisant la prolifération des constructions illicites, composant les dizaines de bidonvilles sur le territoire de la wilaya, où le foncier est soumis au diktat d’une mafia, activant dans la récupération, la construction et la vente de constructions illicites moyennant 23 et 30 millions de centimes.
Comme c’est le cas du bidonville de Sidi Amar, où, en notre présence, M.Y, vient de payer 23 millions de centimes, une pièce avec une cuisinette, composant une construction au sein dudit bidonville. Notre interlocuteur, qui n’a pas voulu dévoiler son nom, nous révèle qu’il est le gérant de cet espace et qu’il demeure bien soutenu, du moment qu’il paye à… «J’aide ceux dans le besoin à trouver un logis et cela leur permet du coup de bénéficier d’un logement», nous dit l’homme, en ajoutant «comparativement à ce qu’ils vont gagner, c’est dix fois rien» En somme, c’est à cause de cet individu et ses semblables opportunistes que le phénomène perdure.
Annaba à la recherche de ses repères
La politique de l’Etat portant l’éradication à travers le pays, des constructions illicites et la résorption des habitations précaires, avec les centaines de projets de réalisation de milliers d’unités tous segments confondus, devra sans doute permettre la satisfaction des milliers de postulants aux logements, ceux du social notamment. Pour la wilaya de Annaba, la réalisation de la nouvelle ville de Draa Erriche intervient au moment opportun. Cette extension de la ville, avec 55 000 unités toutes formules confondues, permettra, outre l’éradication des bidonvilles la ceinturant, son désengorgement. Dans ce sens, il est à signaler qu’un quota de 6 800 logements à Draâ Errich est fin prêt pour être livré aux demandeurs.
L’opération d’attribution a démarré hier dimanche, où, le nouveau wali de Annaba, Mohamed Salamani, a procédé à la distribution de 756 décisions d’attribution aux souscripteurs Aadl de la nouvelle ville de Draâ Errich. Une opération qui s’inscrit dans le prolongement d’un programme qui devra toucher les 70% des demandeurs du chef-lieu de la commune de Annaba.
Cette action permettra un tant soit peu, d’éliminer les points de concentration de constructions illicites et les habitations précaires, notamment en cette période où, les pouvoirs de l’Etat et locaux oeuvrent à redorer le statut de cette ville millénaire. Ce comté au passé historique, qui cherche à se repositionner par rapport à l’Histoire, peine à trouver ses repères de ville touristique, paisible, sereine et moderne. Des spécificités englouties sous la pesante clochardisation, issue de la prolifération des bidonvilles, l’anarchie urbanistique et la dégradation du cadre de vie.