Dévaluation du dinar versus monétisation des déficits ?

Dévaluation du dinar versus monétisation des déficits ?

Les deux économistes Mohamed Bouchakour et Kouider Boutaleb estiment que le gouvernement serait tenté par une dévaluation massive du dinar pour financer le déficit.

Sans surprise, le projet de loi de finances pour 2020 a été adopté, jeudi dernier, par l’APN. L’Exécutif dispose ainsi d’un budget de 64,3 milliards de dollars pour l’année 2020, en baisse de 9,2% par rapport au budget de l’année 2019. Cette diminution découle de l’effet de la contraction des dépenses de fonctionnement (-1,2%) et des dépenses d’équipement (-20,1%). Cette réduction des dépenses ne va, toutefois, pas empêcher le déficit budgétaire de grimper à “7,2%” du PIB, contre “6,9%” en prévision de clôture de 2019.

Un déficit, dû, en partie, à une baisse prévue des recettes budgétaires, passant de 56,1 milliards de dollars en prévision de clôture de 2019 à 51,7 milliards de dollars en 2020, en baisse de 7,7%. Le gouvernement ne s’attarde cependant pas sur la façon dont il compte s’y prendre pour parvenir à résorber le déficit budgétaire. Mais, pour de nombreux experts, l’Exécutif voit sa marge de manœuvre “limitée”, après avoir mis en veilleuse la planche à billets. Mohamed Bouchakour, économiste, explique qu’au fil des années, “les problèmes de l’économie ­— le déficit budgétaire n’en est qu’un exemple —, ont été balayés sous le tapis au lieu d’être pris à bras-le-corps.

Et, qu’avec la détérioration des marchés pétroliers, ils se sont aggravés”. Dans le contexte de crise actuel, poursuit-il, le gouvernement “ne dispose pas de moyens, en dehors du recours au financement non conventionnel, lui permettant d’éponger le déficit accumulé”. Néanmoins, dit-il, il serait tenté de se hasarder à autoriser une “dévaluation” de la monnaie nationale pour financer le déficit budgétaire.

Sauf que cela a des incidences économiques importantes. Une dévaluation, explique-t-il, va entraîner “des poussées inflationnistes” et un “renchérissement des prix à la consommation”. Mohamed Bouchakour pense, en outre, que l’Exécutif peut également “se tourner vers l’informel et essayer d’en capter les ressources financières”. Et, d’affirmer cependant : “Il y a peu de chances que cela marche en pratique. Les gouvernements successifs ont tenté de le faire mais ils ont échoué.”

Kouider Boutaleb, économiste, souligne, quant à lui, qu’à l’heure où le pays traverse “une crise financière aiguë, due à la baisse des prix des hydrocarbures (source quasi unique des revenus de l’État en moyens de payement extérieurs et via la fiscalité pétrolière de financement du budget de l’État, en l’absence d’une diversification des sources de la croissance économique), la rationalisation des choix budgétaires est plus que jamais à l’ordre du jour”.

Il ajoute : “En cas de non-recours à la planche à billets, trois solutions non exclusives les unes par rapport aux autres s’offrent au gouvernement. Il s’agit d’une plus grande rigueur budgétaire, un endettement extérieur ciblé et une dévaluation du dinar.” L’expert en détaille l’applicabilité, soulignant que “si on veut éviter (ce qui a été le cas jusqu’à présent) de s’engager dans des politiques d’austérité, coûteuses socialement, qui ont partout échoué, nonobstant l’indispensable rationalisation des dépenses budgétaires (lutte contre les gaspillages, la chasse aux surcoûts…), il faudrait engager aujourd’hui et pas demain deux grandes réformes celle de l’impôt et du régime des subventions”.

Au sujet de l’endettement, il relève qu’“il n’est certainement pas inéluctable, mais envisageable. L’endettement extérieur, faut-il le rappeler et le souligner, n’est pas un problème en soi, mais c’est l’utilisation qui en est faite qui doit être considérée”. En ce qui concerne la dévaluation du dinar par rapport au dollar et à l’euro, l’économiste rappelle que cela permet “d’augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures et la fiscalité ordinaire, cette dernière accentuant l’inflation étant supportée par le consommateur final comme un impôt indirect”.

Une question se pose : comment devrait-on procéder et quel serait le taux cible (un taux optimal) ? Kouider Boutaleb explique qu’“il s’agit de calculer pour chaque scénario l’impact sur le niveau d’inflation généré et pouvant être absorbé sans augmentation des salaires”. “Sans anticiper, poursuit-il, le scénario le plus envisageable serait une dévaluation progressive pour éviter un choc inflationniste aux conséquences graves sur la stabilité sociale”.

Youcef Salami