Elles se multiplient les initiatives pour sortir le pays de la crise dans laquelle il est englué. La dernière en date devrait être rendue publique aujourd’hui mercredi en principe. Elle est assortie d’une première mouture d’un avant-projet de charte citoyenne «Pour une Algérie libre et démocratique» qui propose les réponses à pratiquement toutes les questions qui se posent depuis quelques semaines avec un peu plus d’acuité eu égard à la position, pour le moins intransigeante, de ce qui reste du pouvoir en place.
Ils sont plusieurs dizaines de signataires entre militants politiques, des droits de l’Homme, de culture et de divers autres horizons, connus et anonymes, établis aussi bien au pays qu’au Canada, en France ou encore en Belgique, à s’être impliqués dans cette initiative qui a abouti à un avant-projet de charte citoyenne «Pour une Algérie libre et démocratique» à travers laquelle ils disent, sans détour : «Le destin de l’Algérie se joue entre les forces du progrès et les nostalgiques des années de plomb agrégés au sein de l’ancien système.»
Une situation qui appelle les patriotes à s’unir autour d’«une vision politique et stratégique fidèle aux sacrifices d’hier et aux appels d’aujourd’hui, plus que jamais requise pour assurer le succès de cette révolution et mettre en échec les dévoiements visant à régénérer le système», est-il écrit dans le préambule dans lequel il est également recommandé de ne pas faire «un sujet de marchandage de ce grand moment de ferveur patriotique (…) L’intérêt suprême du pays et de l’idéal démocratique qui lui est corollaire ne doit souffrir aucune ambiguïté».
Le contexte ayant impliqué l’entrée en scène des auteurs de cette nouvelle initiative est, en tous les cas, clair, il s’agit pour eux de participer à relever «le défi historique» devant lequel se retrouve le pays : «Se doter de l’Etat-Nation qui lui assurera stabilité, liberté, justice et développement.» Pour eux, la révolution du 22 février invite, en fait, à parachever la guerre de Libération nationale par les prolongements politique et institutionnel empêchés par les affrontements fratricides de 1962 et les régimes qui en sont issus.
«Il aura fallu 57 ans de despotisme avant que le soulèvement du 22 février, porté par les jeunes et les femmes, vienne surprendre le monde et bouleverser le paysage politique en Algérie», souligne l’avant-projet de charte dans lequel est revendiquée, en guise de priorité nationale, «l’exigence de rupture, assumée et affirmée par le peuple libéré». Et d’avertir : «Les esquives et autres manœuvres destinées à en voiler la nature ou en différer l’urgence sont l’une des menaces qu’il nous faut démasquer et combattre. L’Algérie ne peut se permettre une autre déception, un échec de plus.»
Dans l’avant-projet de charte, après le préambule, ses rédacteurs se sont attelés à rappeler les contingences que le Mouvement national a été contraint de traverser, de se confronter et finalement passer à côté «des occasions d’aller vers la démocratie» qui se sont présentées, mais pour des raisons historiques, idéologiques, politiques, sociologiques et culturelles, toutes n’ont pas toujours été fructifiées jusqu’à tout récemment, avec la succession de mouvements ayant secoué le pays jusqu’à «l’avènement de l’insurrection pacifique du 22 février qui vient faire mentir tous les déterminismes qui avaient catalogué l’Algérie parmi les nations condamnées à survivre dans la violence atavique».
Un soulèvement pacifique qui ouvre une nouvelle ère où «le règne de la démagogie et de la rente a vécu. Le pays est appelé à tout revoir avant de tout réinventer. La phase de transition qui doit permettre à l’Algérie de renouer avec l’espérance démocratique trahie en 1962 revêt une importance capitale, sinon vitale. C’est de la façon dont est organisée cette étape que dépend la renaissance algérienne», écrivent les promoteurs de l’initiative «Pour une Algérie libre et démocratique».
Une Constitution qui institue la pleine citoyenneté
Dans son introduction au volet «cadres institutionnels» de l’avant-projet de charte qui sera présenté aujourd’hui mercredi en principe, les rédacteurs n’y sont pas allés par trente-six chemins pour classer au rang des «fautes originelles» ayant conduit à nos malheurs «l’assassinat d’Abane Ramdane en décembre 1957 et le renversement du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), instance légale de la nation naissante, commis en 1962». Impairs qui «installeront une culture du coup de force qui ignore la volonté populaire», est-il attesté dans le document où il est passé en revue l’attelage institutionnel algérien, qu’ils décrivent comme étant un «mélange de jacobinisme, de centralisme démocratique et d’arabo-islamisme, (…) aboutira à la concentration des pouvoirs et la gestion opaque qui empêcheront les Algériens de mobiliser leur potentiel pour affronter la bataille du développement». Une organisation institutionnelle sans rapport avec la réalité sociologique du pays, les institutions auront surtout servi d’alibi à une représentation nationale factice et d’outil de domination à des factions politiques tenant leur autorité de clans invisibles qui exercent dans l’ombre le pouvoir réel. Pour sortir de ces archaïsmes, les promoteurs de cette initiative revendiquent que soit rédigée «une autre Constitution qui institue la pleine citoyenneté de tous les Algériens.
Pas un seul individu ne doit se sentir étranger dans son propre pays. Plus clairement, chaque minorité qu’elle soit politique, culturelle, linguistique, cultuelle ou autre, doit avoir les mêmes droits que la majorité». Et cela ne peut se faire sans un changement de la structure de l’État, estiment les auteurs de la charte proposée, parce qu’«un Etat comme celui que nous avons connu jusque-ici, aussi fortement centralisé qu’idéologisé, ne peut régler les différends politiques et sociaux ordinaires dans un pays aussi vaste et aussi diversifié que l’Algérie. En optant pour un État-régions unitaire, nous rejoindrons tous les pays modernes. Longtemps, on nous a fait croire aux dangers de la région. La vérité est que les clans au pouvoir, par la centralisation, ont gardé une omnipotence et une omniprésence sans partage sur toute la Nation. Tout le pays travaille pour le cœur du système. Nous avons eu à le vérifier, à nos dépens, durant des décennies. Ce type de système se pérennise, entre autres, en générant des conflits au sein des populations».
Et aux initiateurs de l’initiative d’attester qu’«une nation civilisée est une nation capable de compromis. C’est la raison pour laquelle les grandes questions de société doivent être débattues sans attendre. Cela aidera à la construction d’un nouveau système qui prenne en compte la diversité et la pluralité d’opinion» avant d’avertir que «si la phase de transition ne vient pas rapidement engager les débats libres et sereins autour de ces chantiers, le pays risque de se retrouver dans des conjonctures politiques aux conséquences fortement préjudiciables pour la Nation et tout notre environnement géographique».
La transition, moment fondamental, décisif
Dans la partie consacrée aux principes fondateurs, les initiateurs de «Pour une Algérie libre et démocratique» proposent dans l’avant-projet de charte citoyenne ce qu’ils appellent le minimum républicain — les fondements de la nouvelle Algérie — qui stipule «l’alternance au pouvoir, la séparation des pouvoirs, l’égalité homme/femme, le respect des droits humains, l’identité nationale récupérée, la liberté de culte et de conscience corrélée à la non-politisation du religieux». Des préalables qui ne doivent faire l’objet d’aucune concession, faute de quoi «il faudra se résoudre à sombrer de nouveau dans le cycle des instabilités qui ont fait de l’Algérie le ventre mou de la région nord-africaine», avertissent-ils.
Les contextes économique et géo-politique ont également leur part dans la pertinente analyse de la situation du pays et des solutions proposées avant que les signataires de l’avant-projet de charte ne s’attardent sur les perspectives du Mouvement qu’ils qualifient de «remarquablement imaginatif dans son expression et fondamentalement rénovateur dans son aspiration». Ainsi, les initiateurs de «Pour une Algérie libre et démocratique» se disent de ceux qui se montrent perplexes à l’idée de laisser la dynamique populaire évoluer au gré des hasards, sans agenda ni précision des objectifs politiques.
Ceci, notent-ils, d’autant que des organisations plus ou moins représentatives et plus ou moins crédibles s’emploient à préparer des rencontres qu’elles estiment légitimes pour prendre le leadership du mouvement. «Telles qu’elles s’annoncent, ces initiatives, essentiellement lancées à partir d’Alger, ne peuvent répondre à la mise en place d’instances et la mise en œuvre de méthodes incontestables pour la prise en charge de la transition. Ces discussions ont, cependant, reflété une réalité de la demande populaire qui en appelle à des visibilités convaincantes et opérationnelles. Ces échanges, dont il faut saluer l’existence et multiplier les sites, auront, dans un premier temps, à lever les équivoques qui entourent l’idée de transition. Quelle en est la finalité, qui doit la piloter et comment l’organiser ?» Quoi qu’il en soit, la transition est qualifiée de «moment fondamental» ou encore de «séquence historique décisive» dans la renaissance du pays, pour les auteurs de cette nouvelle initiative.
Une transition la plus courte possible, mais…
Et aux rédacteurs de l’avant-projet de charte de souligner que «la phase de transition n’est pas destinée à préparer la prise de pouvoir pour ceux qui en auraient la charge, mais à en garantir l’exercice démocratique pour celles et ceux qui seront appelés à y prétendre à travers les élections une fois les règles de la promotion du pouvoir civil énoncées et gravées dans le marbre. Concrètement, cela implique que les personnes appelées à gérer la phase de transition doivent s’engager, au moins à court terme, à ne prétendre à aucune charge élective ou exécutive dans les processus électoraux ultérieurs». Quant à la durée de la période de transition, les participants aux débats, ayant abouti à la rédaction de cet avant-projet de charte, plaident pour qu’elle soit «aussi courte que possible».
Toutefois, avancent-ils, des considérations pratiques doivent être présentes à l’esprit avant de délimiter arbitrairement le temps imparti à cette période. En effet, l’assainissement du fichier électoral national est un chantier plus compliqué que ce que l’on pourrait croire. «Les manipulations occultes dont il a été l’objet ont été le fait de groupes aux motivations si différentes qu’il apparaît quasiment impossible d’y remédier par des interventions accessoires, superficielles ou périphériques.»
En conséquence, rien que pour cela, la période de six mois se présente comme une option qui risque fort de s’avérer trop courte, de l’avis des militants de cette initiative. Un autre élément vient s’ajouter à cette contrainte de taille, nous expliquent-ils.
«Sous les effets de juridictions cumulatives et toujours plus sévères, la scène politique a connu ces dernières années un rétrécissement continu. Pour éviter des compétitions électorales polluées par l’argent ou le populisme, les formations politiques ont besoin de plusieurs mois d’ouverture médiatique, de neutralité de l’administration, pour se redéployer organiquement, ouvrir ou rouvrir leurs sièges, débattre librement afin de faire connaître leur programme, esquisser des alliances ou, pourquoi pas, des fusions…», expliquent-ils pour, ensuite, recommander : «Il est donc important de faire un bilan rigoureux des problématiques politiques, médiatiques, administratives et logistiques avant de fixer a priori la période sur laquelle doit courir la transition.»
Puis aux militants de tout bord impliqués dans «Pour une Algérie libre et démocratique» de conclure par le constat selon lequel «la leçon du mouvement du 22 février est que la démocratie est une demande populaire largement partagée. Les rares et marginales tentatives de provocations intégristes ont été rapidement et spontanément étouffées par les manifestants eux-mêmes. Par ailleurs, le mouvement a, d’instinct, refusé les précipitations pour se donner le temps d’éprouver sa profondeur, de tester sa détermination et d’affiner ses objectifs.
Maintenant que les pièges, les intimidations, les arrestations arbitraires et les manipulations sont restés sans effet sur le peuple, il est temps d’engager les démarches qui donneront à la révolution le sens qui traduira enfin en perspective démocratique l’immense sacrifice consenti par notre peuple pendant et après la guerre de Libération».
Azedine Maktour