ALGAVIA est une entreprise qui a choisi le créneau de la formation dans un secteur particulier, à savoir l’aviation. Cette école, aux ambitions déclarées portées par un volontarisme financier à toute épreuve, est pourtant freinée, dans ses élans, par des entraves bureaucratiques qui l’empêchent d’atteindre son plein potentiel. Son Directeur général nous narre et explique ces péripéties.
ALGAVIA est une école qui propose des formations de pilotes d’avions privés et de ligne en Algérie, comment se dessinent vos perspectives en 2022 ?
Algavia est, comme vous le dites, une école de formation et d’entraînement de pilotes. L’école est agréée pour attribuer des licences de pilotage qui répondent à des exigences de qualification standardisées, dans les catégories PPL et CPL, déclinées respectivement sous les vocables : « Pilote private license » et « Commercial private license », la première permettant à son détenteur de piloter des avions à moteur sans autoriser le transport commercial rémunéré, et la seconde est, au contraire, une licence qui permet au pilote de faire du transport dans un but commercial.
La formation théorique des pilotes a été entamée en 2015 et nos perspectives en 2022, c’est de lancer la formation pratique des stagiaires qui ont clôturé leurs formations théoriques de pilotes de ligne, soit 7 stagiaires qui sont en attente de bénéficier de ce complément de formation. Dans nos plans prévisionnels pour cette même année, figuraient en bonnes places : l’ouverture de 3 sessions de formation, dont une a clos ses programmes le 20 juin 2022, et deux autres en cours de lancement qui sont prévues pour ce mois de juillet.
Dans ces mêmes perspectives, notre école avait prévu d’acquérir deux avions bimoteurs DA42 (quadriplaces) et DA 62 (sept places), et de construire une infrastructure technique au niveau de l’aérodrome d’Oran qui aura vocation d’abriter les aéronefs et les ateliers de maintenance. Malheureusement, notre entreprise n’a pas pu, à ce jour, concrétiser ces projets d’investissements qui sont, pour elle, des axes incontournables dans le processus de son développement et les conditions sine qua non pour sa durabilité professionnelle. Ce qui brouille notre horizon, au jour d’aujourd’hui, c’est une absence de visibilité.
Pourriez-vous nous expliquer davantage à quoi est due cette absence de visibilité ? A des problèmes financiers, des problèmes d’investissements ?
En fait, dans le cadre de la formation, l’école a investi, sur ses propres fonds, pour l’acquisition d’un matériel de formation à la pointe de la technologie, tel qu’un simulateur (ALSIM 250), et un avion monomoteur DA40NG de dernière génération. L’avion, acquis en janvier 2020, n’a été introduit en Algérie qu’en janvier 2021 et n’a pu faire son 1ervol qu’en juin 2021, soit 4 mois après son arrivé en Algérie. C’est là un énorme retard qui induit un préjudice financier important et un impact conséquent en termes de crédibilité de l’entreprise auprès de ses partenaires et clients, et cela est dû aux entraves administratives de l’autorité chargée de l’aviation civile qui met un temps très long pour délivrer les documents nécessaires. Rendez-vous compte que depuis son arrivée en Algérie, l’aéronef monomoteur acheté n’a pu effectuer que 10% de son potentiel, à savoir 180 heures, alors que pour un plan de charge optimisé, il aurait fallu consommer 80% de son potentiel horaire pour la formation de nos pilotes. Ce qui a induit une perte financière subie durant l’année 2021, de 320 heures à 35.000 DA/heure, correspondant à des pertes de onze millions deux cent mille dinars. Cette année 2022, et depuis le retour de notre aéronef d’une opération de maintenance effectuée chez le concessionnaire, l’avion est immobilisé, soit depuis le 18 mai 2022, occasionnant des pertes financières de 80 heures qui correspondent à deux millions huit cent mille dinars. Il faut ajouter à ces préjudices financiers, les retards de formation de nos stagiaires qu’occasionne le refus de délivrance de l’autorisation de survol pour un avion algérien, par la DACM – Direction de l’Aviation Civile et de la Météorologie.
Vous faites part de difficultés administratives… Nous sommes pourtant à l’horloge de l’Algérie nouvelle…Serait-ce le dernier bastion de la résistance au changement ?
Les entraves administratives que nous subissons ne sont pas, à vrai dire, en adéquation avec la dynamique de l’Algérie nouvelle que nous sommes en train de vivre par ailleurs. Il est vrai que ce qui se passe sur le terrain en termes de politique concrète de lutte contre la bureaucratie nous emplit d’espoir, et c’est pour cette raison que nous voulons faire entendre notre voix en tant qu’opérateur économique.
Vous savez, notre école privilégie des candidats locaux pour des formations encadrées par des compétences algériennes, par rapport à des candidats étrangers qui cherchent des compléments de formations. Pour cela, nous méritons d’être encouragés et soutenus ou, sinon, qu’on nous dise pour quelle(s) raison(s) nous sommes ainsi entravés.
Vous subissez une absence de réponse à vos courriers et des conditions contractuelles ubuesques… Pouvez-vous détailler davantage ?
Dois-je rappeler, à ce titre, que l’avion, acquis d’Autriche en janvier 2020, n’a pu entrer en Algérie qu’en janvier 2021 ? Ce blocage d’une année est simplement dû à un retard dans la délivrance des documents de l’aéronef, à savoir le certificat de navigabilité et cela bien que ce dernier ait été dûment validé par le bureau Verital le 24 janvier 2020 ; c’est dire que la DACM a mis plus de onze mois pour délivrer ce document. Il faut ajouter à cela que certains documents déposés à la DACM ne trouvent pas de réponse à ce jour. Autres problèmes bureaucratiques, ceux que nous subissons de la part de l’Etablissement de gestion des services aéroportuaires d’Oran – EGSAO. Ils concernent deux questions d’ordre réglementaire.
La première porte sur une superficie de 2 500 m2 qui a été octroyée à notre entreprise pour l’implantation d’une structure de stationnement de maintenance, et cela par les commissions aéroportuaires après l’accord favorable des services de l’Établissement national de navigation aérienne – ENNA. Dans ce cadre, des relevés topographiques et des plans ont été réalisés et une première réunion a été organisée au sein de l’EGSAO pour définir les modalités de concession de ce lot de terrain, suite à laquelle deux contrats ont été élaborés qui ne reflètent pas la réglementation en vigueur, à savoir la loi 64-166 du 08/06/1964 en son chapitre 2 et celle du 98-06 en son chapitre 2, section 3.
La seconde question porte sur le contrat d’exploitation où l’EGSAO nous impose des redevances aéroportuaires à des tarifs exorbitants, et cela bien que dans l’AIP –Publication d’information aéronautique, il est prévu 10,20 DA l’heure pour une avions de 1.3T. Depuis cette réunion et la rédaction consécutive des deux contrats cités plus haut, nous ne recevons plus aucune réponse à nos courriers concernant la réalisation ou la location d’un abri pour notre avion qui reste exposé aux intempéries.
Quel est le préjudice occasionné, à ce jour, par ces atermoiements et ces retards ? L’entreprise risque-t-elle de fermer ?
Je tiens à préciser, même si je suis directement touché par les entraves bureaucratiques causées par les deux administrations, que ces pratiques ne reflètent aucunement les aspirations portées par les concepteurs de l’Algérie nouvelle. Mais il est vrai que ces pratiques portent atteinte au développement de l’école avec des préjudices insurmontables, tels que les blocages (EGSAO) qui nous poussent à annuler la commande pour le complément de l’équipement volant, à savoir un monomoteur et un bimoteur, une annulation de la commande, et cela malgré le transfert de devises qui a été fait. Cela, au risque, également, d’avoir un avion cloué au sol, une formation des pilotes interrompue, un personnel au chômage, qui fera le bonheur d’écoles d’aviation étrangères en quête de compétences et de la clientèle algériennes. La fermeture de notre entreprise confortera-t-elle les deux entités administratives qui en auront été à l’origine ? Je ne pense pas ?
Vous savez, l’appel à corruption est parfois drapé de l’habit de la bureaucratie… Seriez-vous victime d’une telle situation ?
Je vous réponds sans hésiter à cette question : le secteur aérien, dont nous faisons partie, n’est pas touché par le phénomène de la corruption. Néanmoins, les entraves administratives que nous subissons sont surtout dues à la non-application des textes en vigueur et parfois à leur mauvaise interprétation.
Comment se fait-il qu’il y ait ces postures administratives ambiguës ; les lois sont pourtant écrites et claires ?
AMRY Khalil : L’autorité de l’aviation civile justifie ces entraves administratives par des restrictions imposées durant la décennie noire, Des restrictions, pourtant, dont l’application a été levée en 2010, telles que les autorisations de survol, et cela malgré la signature de la convention de Chicago non appliquée à ce jour.
Si la situation perdure et que vous n’arrivez pas à obtenir l’écoute nécessaire pour lancer les activités de votre école, que ferez-vous ?
ALGAVIA continuera ses activités de formation qui s’adressent aux jeunes de notre pays dans un secteur qui a un potentiel de développement jusque-là très fortement bridé par la bureaucratie. Ce secteur est porteur d’un fort potentiel d’emploi, et l’école Algavia n’en est qu’un échantillon représentatif, dont les ambitions sont celles de tous les opérateurs économiques algériens : réussir et faire réussir, travailler et faire travailler, vivre et faire vivre. Et si nous prenons la parole aujourd’hui, à travers cette tribune, c’est moins pour dénoncer des pratiques ou susciter des adversités et des inimitiés avec des entités administratives, que pour trouver une écoute attentive à notre détresse face à des obstacles infranchissables. Nous sommes contraints de le dire : AlGAVIA, en tant qu’école de formation dans le secteur aérien, est en train de naviguer à l’aveugle dans un espace, qui demeure pour l’heure, sans horizons.
Vous affichez à la fois un certain pessimisme et de l’optimisme, n’est-ce pas un peu contradictoire ?
Pas du tout. Mon pessimisme est rationnel, d’origine bureaucratique, justifié par la situation actuelle de l’entreprise qui n’arrive pas à percer et à réaliser son plein potentiel économique, de formation et d’emploi. Mon optimisme, lui, est d’ordre politique, car il concerne les effets concrets de la politique actuelle du Président sur la vie économique face à l’administration. J’investis sur un avenir très proche et je garde, enfin, un dernier atout comme ultime recours : le Président de la République, le seul homme qui saura nous rendre justice.