Domenech, les beurs, Saâdane et les locaux

Domenech, les beurs, Saâdane et les locaux

Il y a quelques explications à re-chercher après la publication des listes de joueurs retenus en France et en Algérie pour la phase finale de la Coupe du monde de football qui aura lieu dans quelques semaines en Afrique du Sud.

Commençons par le cas français, avec la question qui échauffe les blogs et fait courir les conversations dans les zincs et les cages d’escaliers.

En ne retenant ni Karim Benzema, ni Samir Nasri, ni même Hatem Ben Arfa – ces trois joueurs que l’on présentait, il y a quelques années, comme le futur brelan d’as des Bleus – le sélectionneur Raymond Domenech a-t-il montré un (mauvais) visage qu’on ne lui connaissait pas ? Ici et là sur la toile, se multiplient des accusations plus ou moins explicites de racisme anti-arabe, ou, pour être plus précis, de racisme anti-beur.

Evacuons rapidement cette mise en cause pour dire qu’elle ne tient pas debout et qu’elle constitue même un piège dans lequel il ne faut pas tomber. Domenech cumule certes les défauts – on y reviendra d’ici juin prochain – mais ce serait faire fausse route et être injuste avec l’homme en avançant le sempiternel et facile argument de racisme.

On l’a dit, les trois concernés sont talentueux et personne ne conteste leurs qualités de footballeurs. Si le sélectionneur a décidé de ne pas les retenir, c’est, comme il l’a laissé entendre lui-même, en raison d’autres facteurs liés à leur comportement en dehors du terrain.

A analyser les confidences des uns et à lire entre les lignes des autres, il s’agit d’attitudes qui mineraient à la fois l’autorité du coach – et de ses assistants – mais aussi la cohésion du groupe. Imbu de sa personne, décrit comme hautain et égoïste, Karim Benzema n’a pas que des amis dans l’équipe de France et certains joueurs ne semblent guère regretter sa non-sélection, à commencer par Thierry Henri, très vigilant quant il s’agit de préserver sa place de leader de l’équipe de France, même s’il n’a guère joué cette année avec Barcelone. De leur côté, Nasri et Ben Arfa sont jugés trop insolents avec leurs pairs mais aussi avec l’encadrement.

Dans le milieu du football, on les qualifie de « chambreurs », un terme qui signifie qu’ils aiment bien se moquer de ceux qui les entourent, quitte à froisser les susceptibilités et des ego que l’on sait très hypertrophiés. De même, les deux joueurs auraient plutôt tendance à défier l’autorité et à faire fi de la parole de collègues plus expérimentés.

Bref, les trois compères donnent l’impression qu’ils ne doivent rien à personne, qu’ils n’ont pas de leçons ni de conseils à recevoir, que rien n’est sérieux et que ce peuvent ressentir ou penser les autres n’a aucune importance. Cela étant, il ne faut pas non plus tomber dans l’angélisme. Toutes les équipes de football ont été obligées de composer avec des joueurs d’exception mais au caractère difficile (ceci expliquant souvent cela).

De Georges Best à Eric Cantona, en passant par des génies comme Diego Maradona ou Johan Cruyff, les récits de leurs dérapages sont nombreux mais ces défauts ont toujours été effacés par les résultats obtenus sur le terrain.

Cela signifie qu’un entraîneur doit savoir composer avec ce genre de numéros et faire en sorte qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes au bon moment.

Cela implique de la patience, un don de soi, une aptitude à la diplomatie et, pour finir, du courge. Par faiblesse et lassitude, il est possible que Domenech ait cédé à la facilité en se disant que ce serait au-dessus de ses forces de composer avec de tels zozos.

Et même si se priver d’atouts à la veille de la Coupe du monde n’est pas chose facile, il sait aussi qu’il est préférable de façonner un collectif solidaire plutôt que de s’appuyer sur des divas aux comportements fantasques.

Je sais qu’il me faut veiller à ne pas trop m’appuyer sur le football pour tirer des enseignements sociétaux plus larges. Mais je ne peux m’empêcher de penser que la décision de Domenech arrive au bon moment pour ces trois joueurs et pour les jeunes des banlieues qui les admirent. C’est une leçon symbolique qu’ils devront méditer ; un message ferme qui signifie que le talent n’excuse pas tout et qu’il y a des règles, notamment de vie en collectivité qu’il faut respecter.

La dérision permanente, la nonchalance et la désinvolture font peut-être partie des codes des cités mais, dans n’importe quel milieu professionnel, elles sont la garantie d’une mise en quarantaine, voire d’une exclusion. C’est ce que le trio Ben Arfa, Benzema et Nasri vient de découvrir.

Cela étant, on pourra aussi relever que Domenech prend le risque de se passer de trois excellents joueurs capables de faire la différence à haut niveau. C’est à l’image d’une France qui, elle aussi, se prive d’une partie de ses forces vives et de ses talents parce qu’elle ne sait pas comment composer avec eux et parce qu’elle est aussi incapable de mettre fin à l’emprise des réseaux, du copinage et du piston. Terminons maintenant par l’équipe d’Algérie.

Vue de loin, la lecture de la liste des pré-sélectionnés crée un malaise. Sur 25 joueurs retenus, seuls quatre (dont trois gardiens !) jouent en Algérie, le reste évoluant aux quatre coins de l’Europe – et parfois dans des clubs peu flamboyants. Est-ce à dire que le championnat algérien est totalement nul ? Personne n’arrivera à me convaincre qu’il n’existe pas au moins deux ou trois joueurs de champ évoluant en Algérie qui sont capables de faire le voyage en Afrique du Sud. Loin de moi l’idée de redonner vie au débat qui opposait jadis les « pros » aux « locaux », mais, souvenons-nous tout de même que l’équipe nationale a toujours abrité un dosage, certes pas toujours équilibré ni subtil, entre joueurs du cru, expatriés récents et Algériens nés à l’étranger.

Il fut même un temps où la présence de « locaux » était indispensable car il en allait de l’image extérieure de l’Algérie, puisqu’il fallait prouver que le pays savait former des talents.

Cela ne semble plus être le cas. L’époque a bien changé ou peut-être est-ce une autre preuve que l’Algérie est terriblement en retard par rapport à la marche du monde… Pour se justifier, le sélectionneur Rabah Saâdane insiste sur la différence de niveau entre les joueurs qui évoluent en Europe et ceux du championnat d’Algérie.

Il a peut-être raison mais il ne devrait pas oublier que dans les années 1980, le championnat algérien était déjà d’une grande indigence, mais que la magie de l’équipe nationale était de réussir à transcender des joueurs du cru.

Et si l’on se met en tête de convaincre les Algériens que tout ce qui vient de l’extérieur est forcément meilleur, cela risque de créer des complexes d’infériorité mais aussi d’engendrer des réactions de rejet.