Comment se préparer à l’après-COP21 ? Pourquoi est-il difficile de concrétiser l’accord international sur le climat ? Ce sont des questions auxquelles le docteur Hamza Hamouchène a tenté de répondre. Il est président de l’Association environnementale Justice North Africa (EJNA) spécialisée dans les questions environnementales, climatiques et énergétiques en Afrique du Nord. Il était présent aux espaces alternatifs de la société civile et du mouvement de la justice climatique, à la COP21.
Liberté : Que pensez-vous du processus de négociation pendant cette conférence de Paris ?
Hamza Hamouchène : J’ai choisi d’être présent aux espaces alternatifs de la société civile et de participer aux diverses activités du mouvement global de justice climatique car je crois fermement qu’une solution réelle et juste pour la crise climatique ne viendrait que de ce mouvement et des communautés en ligne de mire qui résistent et construisent des voies démocratiques afin de survivre à un monde réchauffé.
La COP de Paris a attiré beaucoup l’attention, mais nous constatons qu’à chaque fois les dirigeants politiques ne permettent pas les réductions nécessaires des émissions de gaz à effet de serre afin d’assurer la survie de l’humanité. Il devient de plus en plus évident que le paradigme dominant d’une croissance économique perpétuelle est l’un des obstacles majeurs aux efforts entrepris, au niveau mondial, pour faire face aux changements climatiques. Mais ce paradigme déstabilisateur et fondamentaliste n’est lui-même qu’une conséquence d’un problème plus profond qu’est un mode de production qui privatise la nature et engendre des déchets énormes. Ce mode est maintenu par la surconsommation et motivé par le profit et l’accumulation du capital. Pour ces pourparlers climatiques qui s’inscrivent dans le maintien du statu quo, la croissance est sacro-sainte et le système capitaliste mondial intouchable. C’est pour cette raison que je considère les politiques climatiques globales comme une guerre érigée par les riches et les puissants de ce monde contre les classes ouvrières, les petits paysans et les pauvres qui portent le fardeau à la place des privilégiés.
Vous êtes très critique envers l’accord final de la COP21…
Cet accord de Paris est scandaleusement présenté comme un succès et comme étant historique et ambitieux. C’est de la pure propagande car la réalité est bien autre chose. Un accord qui n’est pas juridiquement contraignant dans sa globalité et qui est basé sur des contributions ou engagements volontaires des pays à réduire leurs émissions (ce qu’on appelle en anglais intended nationally determined contributions, INDCs) est une mascarade.
Le texte fixe l’objectif de contenir le réchauffement “en deçà de 2°C”, et à poursuivre les efforts pour limiter une hausse des températures en s’efforçant de limiter cette augmentation à 1,5°C. Ce n’est que de l’encre sur papier car ses signataires s’engagent à plafonner leurs émissions “dès que possible”, sans date précise, et sans objectifs quantitatifs. De plus, les INDCs proposés par les pays développés sont très inadéquats et nous mèneront vers une augmentation catastrophique de plus de 3,7°C.
Je pense qu’une réponse globale progressiste à la crise climatique signifie une réorganisation approfondie de la production, de la consommation et de la distribution. D’ailleurs, le texte final n’inclut pas les émissions des transports maritimes et aériens qui représentent près de 10% des émissions mondiales. Par contre, la “promotion de la croissance économique” est apparue dans le texte dans sa première version, un article voulait interdire que les droits de la propriété intellectuelle n’empêchent le partage de technologies favorables au climat dans les pays du Sud. Il a ensuite disparu.
Le concept de transition juste est mentionné dans le préambule mais pas dans le corps du texte et l’exigence que les droits humains doivent être pris en considération a été supprimée, ce qui signifie que les droits des populations autochtones et indigènes n’y figurent pas.
Enfin, cet accord laisse la porte ouverte aux fausses solutions et aux mécanismes de marchés (comme le commerce du carbone) qui se sont révélés incapables de résoudre le problème en premier lieu.
Bref, à force de concessions aux intérêts privés, l’accord de la COP21 est un désastre pour les populations les plus vulnérables dans le monde et constitue un autre acte de trahison des pauvres et de tous ceux qui souffrent déjà des impacts du dérèglement climatique.
Sinon, aurait-il des effets bénéfiques pour l’Algérie ?
Non, je ne le pense pas. Un silence inquiétant est entretenu dans cet accord (ainsi que dans les précédents) sur les crimes de compagnies pétrolières comme BP, Shell et Total. Les sociétés nord-africaines qui vivent dans des pays où la démocratie est absente continueront de souffrir de l’assujettissement à l’autoritarisme des élites et multinationales qui maintiendront le statu quo.
Les Nord-Africains, dont les vies seront le plus changées, sont les petits paysans sur le delta du Nil, les pêcheurs de Djerba, les habitants d’In Salah et les millions qui vivent dans des habitations informelles au Caire, à Tunis et à Alger.
Mais ils sont écartés et empêchés de construire leur avenir. Ce sont plutôt des régimes militaires avec leurs commanditaires à Riyad, Bruxelles et Washington qui formulent des plans climatiques et énergétiques. Les élites locales nanties collaborent avec les multinationales, la Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement.
Malgré toutes les promesses faites, les actions de ces institutions démontrent qu’elles sont les ennemies de la justice climatique et de la survie.