Dr Lyes Merabet, président du SNPSP, au Le «Quotidien d’Oran»: La santé et l’échec des réformes

Dr Lyes Merabet, président du SNPSP, au Le «Quotidien d’Oran»: La santé et l’échec des réformes

La dégradation du système de santé publique en Algérie est un constat quasi unanime. Pour le président du Syndicat national des praticiens de santé publique (SNPSP), Dr. Lyes Merabet, c’est l’expression de l’échec des réformes entamées depuis 2000.

Dans cet entretien, Dr. Merabet détaille les causes de cet «échec» et aborde les questions de la relation SNPSP-MSPRH, des conditions de travail et de sécurité des praticiens, de la loi sanitaire, des contraintes à l’exercice du droit syndical dans le secteur.

Le Quotidien d’Oran : Le SNPSP a clôturé l’année sociale 2015-2016 par une série de grèves. Quel bilan faites vous et que prévoyez-vous pour cette rentrée ?

Lyes Merabet : je dirai plutôt par la traditionnelle journée de formation médicale de la région Centre, organisée à Alger. Une activité qui s’inscrit dans le plan d’action du SNPSP et qui clôture un riche programme réalisé durant toute l’année à Touggourt, Constantine, Sétif, Aïn Mlila, Laghouat, Mostaganem, Blida, Tipaza, Boumerdès,…

A côté de cela, certes, les praticiens de la santé publique ont été dans la protestation à travers une grève cyclique qui s’est étalée du mois d’avril au mois de mai 2016 pour revendiquer la mise en place des termes de l’accord négocié en réunion de conciliation le 4 mai 2015, des mesures de protection nécessaires à la sécurité des professionnels de la santé en exercice dans les structures de soin et des conditions de l’exercice du droit syndical ainsi que la levée des cas d’entrave soumis à l’autorité de tutelle. Le bilan est négatif. Plus grave, le dialogue est en panne et ses portes fermées pour le SNPSP. Une situation qui prouve, encore une fois, l’indisponibilité des responsables au niveau central de travailler avec nous mais aussi la contradiction relevée entre les instructions de M. le Ministre de la Santé (appelant les gestionnaires au dialogue avec les partenaires sociaux) et la réalité du terrain. Cette situation sera à l’ordre du jour de la prochaine session extraordinaire du Conseil national prévue le 21 septembre à Alger.

Q.O. : où en sont vos revendications ? Qu’en est-il de l’aspect sécurité dans les structures de santé ?

L.M. : aucune avancée n’est enregistrée du fait, comme je vous l’ai expliqué, que le ministère de la Santé a décidé de rompre le contact avec les représentants du SNPSP au niveau central bien que la protestation a été levée malgré les déclarations rassurantes de M. le ministre que nous avons saisi officiellement avant et pendant la protestation.

Les praticiens de la santé de manière générale, les professionnels de la santé, continuent de travailler dans des conditions difficiles et sont régulièrement victimes d’actes de violences verbales et physiques notamment dans les structures de santé hospitalières et extrahospitalières qui assurent l’urgence.

Q.O. : les relations du SNPSP avec la tutelle ne s’améliorent pas. Quelles sont les raisons ?

L.M. : la relation SNPSP – MSPRH n’est pas une relation de personnes. C’est une relation de partenariat régie par un cadre réglementaire qui garantit des droits et des obligations pour chacune des parties. Faisant allusion à notre syndicat, le ministre a déclaré à la presse que le seul syndicat qui pose problème dans le secteur est le SNPSP. Pour l’administration centrale la voie est toute tracée. Nous représentons «la voix discordante» à étouffer par tous les moyens. On nous conteste, par la fermeture des voies du dialogue, le droit d’exister malgré notre statut de partenaire social largement représentatif. Lorsque la politique de l’entrave au libre exercice syndical est un choix délibéré à ce niveau-là, les instructions ministérielles qui rappellent aux gestionnaires ce même principe n’ont aucun sens.

Q.O. : Sellal a appelé à mettre en veilleuse les revendications salariales en cette période de crise. Un commentaire ?

L.M. : avec tout le respect que nous devons à l’autorité et à la personne de M. le Premier ministre, je dirai qu’une décision de cette importance relèverait de la négociation avec les véritables représentants des travailleurs dans les différents secteurs car il s’agit pour nous de maintenir à un niveau acceptable le pouvoir d’achat qui se trouve aujourd’hui clairement menacé par les dispositions fiscales de la loi des finances 2016 et le projet de loi pour l’année 2017, le taux d’inflation constant à 4.8% en moyenne depuis des années, la dévaluation à plus de 40% de notre monnaie nationale. Le cas échéant, nous revendiquons depuis des années des dispositions de protection du pouvoir d’achat mais en vain.

Q.O. : lors de ses visites inopinées, le ministre de la Santé a relevé des situations pour le moins indignes du secteur. A qui renvoyer la faute, aux gestionnaires, aux praticiens ?

L.M. : loin de tout préjugé et loin du discours patriotique stérile, je dirai que l’état du secteur de la santé renvoie à la réalité de l’échec des réformes lancées dans les années 2000. Nous pouvons évoquer de nombreuses raisons à cette situation, comme l’instauration de l’activité complémentaire (en même temps que les réformes), l’instabilité de l’encadrement du secteur induite par les nombreux changements de ministres, l’absence d’une vision claire en termes d’objectifs et d’échéances au travers desquels sont concrétisées les réformes. Il y a aussi les insuffisances en matière de formation et d’encadrement des personnels soignants, l’absence d’une autorité indépendante de régulation et légalement habilitées à définir les normes d’exercice (médical et paramédical) et les faire respecter, et un déficit chronique en matière de formation continue, institutionnalisée. A noter aussi l’impact quasi absent des institutions ordinales chargées de l’éthique et de la déontologie dans l’exercice médical. Il y a aussi un déficit chronique en matière de formation continue, institutionnalisée, et de soutien aux objectifs assignés à la politique de l’Etat en matière de santé. Autres raisons de cet échec, la budgétisation forfaitaire des dépenses liées aux soins par la CNAS et le Trésor public, et les inégalités constatées dans la répartition de nos ressources humaines et matériels au niveau national. Le problème du secteur est d’ordre structurel, budgétaire et éthique.

Q.O. : en tant que syndicat représentant 70% des praticiens de santé publique, ne vous sentez-vous pas en partie responsable de cette situation ?

L.M. : pris individuellement, chacun de nous est responsable de ses actes. D’ailleurs, nous sommes comptables sur deux plans : administratif et judiciaire. Nous refusons le statut du bouc-émissaire que le ministère veut nous faire porter. Le SNPSP s’est manifesté depuis des années pour dénoncer ces écarts et ces dépassements. Nous avons laissé des recommandations dans ce sens et à différents niveaux de responsabilité, mais c’est resté sans écho. C’est une question de volonté politique et les pouvoirs publics doivent se prononcer clairement sur le modèle de système de santé que nous voulons pour notre société.

Q.O. : quel message diffuse le SNPSP auprès de ses adhérents pour améliorer les prestations?

L.M : lors de nos rencontres organiques et nos journées de formation médicale, un espace de discussion est toujours réservé à cette question. Nos délégués insistent beaucoup sur l’intérêt de préserver la relation de respect et de confiance entre le praticien et son malade. Et cela passe forcément par l’amélioration des conditions d’accueil et des moyens de prise en charge au niveau de la structure de soin.

Q.O. : du nouveau pour la révision de la loi sanitaire ? Vos propositions ont-elles été prises en compte par la tutelle ?

L.M. : que dire lorsque le dialogue est rompu et que l’administration centrale décide de fermer la voie du dialogue ? Nous attendons comme d’autres parties que le projet soit soumis au débat et nous défendrons, arguments à l’appui, toutes nos propositions, car en fin de compte c’est un projet qui concerne toute la société.

Q.O. : le prochain Conseil national du SNPSP pour bientôt ?

L.M. : notre Conseil national est prévu le 21 septembre. Nous évoquerons la situation socioprofessionnelle et relation SNPSP-MSPRH, et de l’engagement du SNPSP dans le cadre de l’intersyndicale (au sujet de la retraite et du projet du nouveau code du travail). Il sera également question des élections de renouvellement des instances ordinales (conseil de l’ordre) et de l’installation de la commission nationale de préparation du 7ème congrès du SNPSP prévu avant la fin de l’année 2016.