Que deviennent les alcooliques et les drogués pendant le ramadhan ? La question reste taboue tant les Algériens ne conçoivent pas que l’on puisse consommer de l’alcool ou des stupéfiants durant le mois sacré, quand ils demeurent plus tolérants ou plus réalistes le reste de l’année.
Pourtant, la toxicomanie mérite d’être abordée dans ce contexte de jeûne et de privation consentis parce que le ramadhan reste une occasion de tourner la page pour certains, à condition d’être accompagnés par la suite.
Arezki est connu au village pour ses états éthyliques réguliers. Son épouse ainsi que de grands enfants vivent avec lui, dont un fils d’une trentaine d’années, marié et père d’un petit garçon. Mais le grand-père ne s’est toujours pas assagi.
« C’est plus fort que moi, je jure à chaque fois de ne plus boire une goutte de vin, mais je récidive. Dès que je suis contrarié, j’ai besoin de boire », confie-t-il. Lui demandant ce qu’il en est du mois de jeûne qui a débuté, il répond : « Je vous assure, et c’est incroyable, je n’ai même pas envie de boire.
Enfin, un peu le soir, après le f’tour, mais je résiste. Toutefois, comme je suis si fatigué en général, je dors tôt. D’ailleurs, les vendeurs clandestins d’alcool prennent congé… » Curieuse sobriété chez un consommateur qui boit excessivement au quotidien !
En cachette
Ayant sollicité le témoignage du Dr. F. B, spécialisé dans les questions de toxicomanie et de dépendance aux drogues diverses, ce dernier appréhende notre témoignage avec prudence. Ces cas existent effectivement. Des alcooliques peuvent parfois s’abstenir mais, en général, ils boivent en cachette, à des heures tardives, ou en réclusion, et ce pour ne pas provoquer l’ire de la communauté particulièrement intransigeante pendant le ramadhan.
« Nos patients le savent. Ils sont aussi issus de notre société qui est imprégnée de valeurs musulmanes et revendiquent, paradoxalement, leur islam. Ils ont honte de leur accoutumance malgré leur tendance à transgresser l’interdit. C’est pourquoi la plupart des sujets à l’alcoolisme s’arrangent pour boire en cachette, laissant croire qu’ils jeûnent. » Pour ceux qui réussissent l’épreuve de l’abstinence sans tricher, le Dr explique que leur capacité à se contrôler au nom de la religion devrait constituer une occasion de s’en sortir définitivement.
« A condition que l’entourage familial, professionnel ou, plus largement, affectif sache accompagner le sujet dans sa bataille contre la tentation. Souvent, la rechute après l’Aïd-el-Fitr est motivée par le regard des autres, le toxicomane ne supportant pas le doute persistant chez ses proches quant à son sevrage », ajoute-t-il.
Des malades
Une réaction similaire est constatée parmi la population des fumeurs invétérés de cannabis, nous confie le médecin algérois. Celui-ci nous rappelle qu’ils sont désormais bien plus nombreux que les buveurs de vin et de spiritueux.
« Les fumeurs, ces drogués victimes de l’importation massive de résine marocaine, sont souvent oubliés quand il s’agit d’aborder la problématique du jeûne pour les fidèles souffrant d’une maladie chronique.
Si les campagnes de sensibilisation auprès des diabétiques a pu convaincre les patients de s’abstenir pour leur santé, dans le respect des préceptes de l’islam, personne n’ose en Algérie s’interroger sur le jeûne des accoutumés aux drogues dites douces.
Lorsqu’ils ne passent pas la journée à dormir, après des nuits de consommation excessive, les fumeurs se roulent des joints, le ventre vide, et nombre d’entre eux se retrouvent aux services des urgences de l’hôpital le plus proche pour malaise et vertiges sévères associés. »
Déni de réalité
Notre praticien, nous serrant la main en nous accompagnant vers la sortie du cabinet médical, souhaiterait qu’on sache traduire sa préoccupation de soignant sans déformer le sens de son témoignage : « Il n’y a pas de miracle pendant le ramadhan. Nos drogués et alcooliques sont des patients qu’il faut traiter sans le truchement des tabous religieux. L’islam interdit la consommation d’alcool et de tout ce qui fait perdre le discernement, mais exige qu’on traite les malades avec compassion. »
A entendre le docteur F. B., on peut envisager que des hommes de culte s’associent à des professionnels de la santé pour capitaliser l’extraordinaire élan moral qui traverse l’esprit des plus intoxiqués, afin de leur donner la chance d’en finir avec leur dépendance. Mais pour cela, il ne faut pas prétendre que les alcooliques et drogués disparaissent, comme par enchantement, durant le mois sacré.