Dans cet article qui est une reprise de son intervention à l’assemblée populaire nationale lors des débats sur la loi de finances 2017, Arezki Derguini, député du FFS lance un avertissement: nous sommes entrain de prendre le chemin de l’Egypte et probablement du Venezuela. L’enjeu politique, selon lui, « n’est pas de savoir s’il faut une vérité des prix, mettre fin à des subventions injustes et inefficaces, mais comment y aller? ».
Nous sommes en train de prendre le chemin de l’Égypte parce que nous n’avons pas le courage d’affronter la réalité. Nous refusons de nous demander comment est-il possible de vivre réellement comme le reste du monde sans trahir nos martyrs et la confiance de la population.
Nous sommes en train de prendre le chemin de l’Égypte et probablement du Venezuela parce qu’une partie d’entre nous ne croit pas en notre société et ne pense qu’à exploiter la situation en sa faveur. Avec l’indépendance, nous avons continué de falsifier nos comptes, nous avons laissé notre état d’esprit poursuivre son chemin de croix ; nous voilà en peine aujourd’hui de retrouver quelque sérénité.
Le problème aujourd’hui n’est pas de savoir s’il faut une vérité des prix, mettre fin à des subventions injustes et inefficaces, mais comment y aller ? Car il nous faudra y aller, bon gré en traçant notre chemin, mal gré en obéissant au diktat de nos créanciers. Que faire donc pour ne pas renoncer à l’État social, pour établir un nouveau système des prix favorable à la production et un nouveau système de subventions plus efficace et plus équitable qui défende le pouvoir d’achat de la population sans décourager l’épargne et l’investissement.
Les exemples de l’Égypte , de la Grèce et du Venezuela sont devant nous. Devons-nous attendre la faillite de l’Etat pour entreprendre les réformes qui préservent l’Etat social? Un Etat failli ne peut venir en aide à des citoyens démunis dont le nombre s’accroit. Devons-nous attendre la faillite de l’économie centralisée afin que des responsables se déchargent de leur responsabilité, vaquent à leurs comptes privés et que l’étranger prenne en charge nos comptes publics ?
Ou bien, plutôt que d’accepter la perspective de livrer nos comptes à l’étranger, ce à quoi nous nous sommes toujours refusés, pourquoi ne pas mettre nos comptes à jour et passer à un système de prix, de subventions, de soutien du pouvoir d’achat transparent, plus efficace et plus équitable?
Les pouvoirs publics, dans le cadre de la nouvelle loi de finances, escamotent ces questions, hésitent sur le cap à suivre. Elles réduisent timidement les subventions, augmentent timidement les prix et les taxes. Renationaliser l’économie en faisant de l’économie une affaire sociale.
Une question de doctrine
Tout d’abord une question de doctrine. Il faut se rendre compte que nous n’avons nulle maîtrise sur les conditions de production de la vie matérielle. La compétition internationale nous les impose. Il faut renoncer à la croyance selon laquelle nous pouvons décider unilatéralement de ce que ce que nous voulons échanger, des termes dans lesquels de tels échanges peuvent avoir lieu.
Ce qui est en notre nôtre pouvoir, c’est la qualité de nos rapports, au sein de cette économie, avec cette économie. Il faut renoncer à faire de l’économie l’affaire exclusive de l’État et des grandes entreprises, ce qui a remis nos marchés aux mains d’une minorité qui finira par les céder aux grands groupes internationaux. Il faut qu’elle soit une affaire sociale avant de devenir des affaires publique et privée. Il faut faire en sorte que les volontés séparées des citoyens puissent constituer une volonté commune qui ne conspire pas contre leurs volontés séparées.
Car il n’est plus évident que la défense de l’intérêt particulier à l’ère de la globalisation puisse réaliser un autre intérêt que celui des multinationales. Une volonté commune qui accorde leur production à leur consommation présente et future.
Il faut renationaliser l’économie, c’est-à-dire redonner une cohérence sociale à l’économie qu’elle a perdu avec la globalisation des marchés, sur la base d’un état de droit où droits collectifs et droits privés, droit et normes sociales, ne s’excluent pas mais se complètent[1].
Soumettre le marché au contrôle social
Le gouvernement a commencé à toucher aux prix et taxes sans expliciter le système de subventions qu’il veut adopter. Et cela pour les trois années à venir. S’il persiste à monopoliser la gestion de l’économie, il risque de trébucher sur les embûches d’un nouveau système étatique de contrôle du marché qui finiront par l’en détourner.
La poursuite de la dépossession la société, autrement dit de l’ « accumulation primitive du capital », de la guerre non déclarée contre elle et son pouvoir d’achat va prendre la forme d’une spirale inflation-dépréciation de la monnaie.
On le sait, la défense du pouvoir d’achat ne peut plus être celui d’un pouvoir d’achat basé sur les hydrocarbures. Il doit être refondé. Pour y parvenir, il faut un nouveau système des prix qui encourage la production, qui permette d’aller vers une vérité des prix, un taux de change unique et une diversification de l’économie. De sorte à éviter la spéculation, à casser la spirale augmentation des prix/dévaluation de la monnaie (spéculation sur les prix et la monnaie) qui pénalise les pauvres, les fonctionnaires et les retraités et fait fuir les capitaux.
Une stabilisation du taux de change, une inflation contrôlée sont les conditions d’une relance de l’investissement et une refondation du pouvoir d’achat. Il faut donc mettre fin à une guerre globale contre la société : on ne pourra pas protéger les « riches » contre les pauvres, ni les pauvres sans les « riches ».
Faire de l’économie une affaire sociale c’est reconnaître que le contrôle du marché, la gestion de l’économie de marché, ne peut plus être une affaire étatique. La globalisation ne le permet plus, le contrôle du marché doit devenir une affaire sociale s’il veut échapper au contrôle des grands groupes internationaux. On ne peut plus imposer des frontières à l’économie de marché, on lui prescrit des normes : normes de production, de circulation et de consommation.
Faire de l’économie une affaire sociale doit nous permettre tout d’abord de soustraire le marché à l’activité des spéculateurs, de soumettre le droit aux normes et non à la discrétion de l’administration. Qui fabrique de la rareté, détermine les prix, pour pouvoir s’enrichir, accroître ses revenus?
Si l’État veut augmenter les prix de certaines matières qu’il ne peut plus soutenir, il peut avoir le concours de certains spéculateurs et soutenir ensuite le point de vue selon lequel c’est là la seule façon de lutter contre la spéculation. Comment éviter que les subventions par les prix et leur contrôle, ne se transforme en guerre contre la société ? Comment éviter que le chômeur ne passe pas du côté de la spéculation et de la hausse des prix ? Comment éviter que les plus démunis ne participent à l’aggravation de leur condition ?
La société doit refuser que le lait et d’autres matières de large consommation puissent être vendus ou achetés à un autre prix que celui qu’elle a fixé. Sous le contrôle des marchands, nos marchés ont chassé les voleurs ; il faut maintenant que les citoyens en chassent les spéculateurs. Ce n’est pas à l’État et à ses gendarmes de contrôler, de gérer la vie des quartiers, des marchés de proximité.
Si la société enraye les processus de spéculation sur les matières de large consommation, la solidarité avec les plus démunis ne sera pas un vain mot. Un quartier, un village ou un autre type de regroupement qui se démet de sa responsabilité de solidarité envers ses plus démunis mérite-t-il la justice ? Pourquoi cette vérité est-elle devenue si étrangère à nos foyers ? Parce que nous avons donné libre cours à certains de nos penchants sous prétexte d’obéir à la loi. L’Etat ne doit pas faire ce qu’un quartier peut faire sans frais.
Passer d’une économie informelle à une économie formelle et d’une « sectorialisation » à une décentralisation de l’économie
Outre un nouveau système de prix, un nouveau système de subventions, il faut produire un consensus social et politique sans lequel on ne pourra pas fixer la société dans un état de droit, des droits clairs du travail et de la propriété. La propriété est la base de l’état de droit. Le droit du travail celui de la démocratie.
Il faut se décider, et tracer sa voie entre une société salariale que nous n’avons pas réussi à construire et une société de propriétaires dont nous avons été défaits. Le désordre foncier qu’a entraîné l’héritage colonial est autrement un obstacle insurmontable pour l’établissement d’une économie de marché basée sur la circulation des droits de propriété, la multiplication des contrats, base d’une fiscalité ordinaire nécessaire au financement de l’état de droit.
Comment responsabiliser des collectivités locales qui ont été dépossédées de leurs responsabilités par la sectorialisation de l’économie[2], de leurs ressources par la destruction ou l’expropriation ? Il faut établir les ressources et les champs d’action des nouvelles collectivités. Il faut mettre les collectivités en mesure de se découvrir de nouvelles ressources, de valoriser leurs ressources sous employées.
NOTES
[1] Il faut se référer ici à l’exemple de l’économie sociale de marché allemande et aux rapports de l’économie et de la société dans les autres sociétés du nord de l’Europe avec lesquels la comparaison est possible.
[2] L’Algérie est découpée en secteurs un demi-siècle après son indépendance. Pour chaque habitant il fallait son ratio en matière d’éducation, de santé, d’équipement etc. Pas besoin du marché, ni d’une autorité locale.