EGYPTE. Comment l’armée a fait tomber Morsi

EGYPTE. Comment l’armée a fait tomber Morsi

Les manifestations et pétitions géantes ont fait vaciller le président Morsi et les Frères musulmans, plaçant l’armée au centre du jeu politique.

Lundi, l’armée avait menacé : « Les forces politiques ont quarante-huit heures pour dénouer la crise et répondre aux demandes du peuple », faute de quoi elle fixerait « sa propre feuille de route ». Même si son nom n’était nullement mentionné, cet ultimatum s’adressait précisément à Mohamed Morsi. Plus important encore, il portait en lui les germes d’un coup d’Etat. Les Egyptiens, qui ne s’y sont pas trompés, sont retournés en nombre sur la place de la révolution.



Afin que le doute ne puisse subsister, les militaires ont fait les choses en grand : au moins huit hélicoptères de type Apache ont paradé à basse altitude dans le ciel cairote et survolé Tahrir en déployant de larges bannières aux couleurs de l’Egypte. La foule a répondu par une liesse aussi intense que la veille, ajoutant au « Irhal ! »(« Dégage ! ») un autre mot de deux syllabes, « Sissi », du nom du ministre de la Défense et chef des armées égyptiennes, que beaucoup imaginent déjà raïs.

« L’armée et le peuple, une seule main »

Dans un pays au nationalisme tenace, l’armée conserve un fort crédit et continue d’incarner le prestige et la grandeur passée de l’Egypte. Et si l’on trouvait autant de pancartes portant l’inscription « L’armée et le peuple, une seule main », c’est parce que quantité d’Egyptiens sont intimement convaincus que seuls les militaires sont capables de rétablir l’ordre. C’est ainsi que le mouvement Tamarod (« Rébellion ») a vu dans le communiqué militaire le signe que l’armée était du côté du peuple, ce qui annoncerait une élection présidentielle anticipée. Pourtant, chez les militants de gauche ayant combattu le Conseil suprême des Forces armées, qui avait été chargé de la transition politique entre la chute de Hosni Moubarak et l’élection de Mohamed Morsi, on hésitait entre la joie de voir le président honni acculé et la crainte d’une dictature militaire.

En réalité, l’injonction du haut commandement n’a constitué qu’une demi-surprise, tant les bruits de bottes résonnaient ces derniers jours dans la rue cairote. Une semaine avant la manifestation du 30 juin, le général Sissi avait même prévenu : « Les forces armées ont le devoir d’intervenir pour empêcher l’Egypte de plonger dans un tunnel sombre de conflits et de troubles. »

Le 30 juin, dans un entretien accordé au « Guardian », Mohamed Morsi se disait certain de pouvoir compter sur le soutien de la police et de l’armée. Il n’avait pourtant pas grand-chose à attendre de la première, qui était au coeur du dispositif réprimant les islamistes sous l’ancien régime. Dès dimanche, plus de 3.000 officiers de police ont défilé pour exprimer leur défiance à l’égard du chef de l’Etat. Le président pouvait en revanche espérer davantage de cette armée avec laquelle il s’était montré plutôt conciliant au cours de cette année de mandat. Cela n’a pas suffi.

Absence d’alternative politique

Sa chute provoquera assurément une euphorie collective mais elle n’apportera pas de solution à la crise politique. Plutôt une multitude d’interrogations. Et d’abord au sujet de l’armée. Aura-t-elle vraiment envie de se frotter de nouveau aux affaires, alors que la période de transition a montré à quel point les militaires n’étaient pas de bons gestionnaires, ni des experts en démocratie ? Aura-t-elle vraiment le choix de faire autrement, étant donné la faiblesse des partis d’opposition et l’absence d’alternative politique ?

Si une élection présidentielle était organisée demain, il est probable que c’est encore une fois un candidat islamiste qui l’emporterait, tant les frères et les salafistes semblent les seuls à disposer d’une logistique partisane huilée et d’une base électorale fiable et consistante. Ce paradoxe est aussi inquiétant qu’intéressant. Les prochains mois, les prochaines années peut-être, nous diront si la nouvelle démocratie égyptienne peut exister sous une forme plus représentative ou si sa seule alternative est un régime autoritaire.