Dans le quartier historique d’El Hamma, entre deux rues de cette ex-banlieue industrielle d’Alger, des hangars en friche s’animent: artistes et habitants y explorent la mémoire collective à travers une manifestation culturelle inédite.
Organisée par le collectif « Trans-Cultural Dialogues », « El Medreb » propose depuis samedi dernier des performances de street art et des projections de films avec l’implication directe des habitants dans les activités.
Le premier espace, un ancien hangar d’une société publique de transport, devant abriter le futur siège de l’APC (Assemblée populaire communale) de Mohamed-Belouizdad, a été ainsi nettoyé et défriché pour permettre à sept artistes de réaliser des fresques murales, inspirées de « récits urbains » collectés par les organisateurs, notamment auprès de la population.
C’est le cas, par exemple, des deux mains géantes construisant un édifice, peintes par l’artiste « Ser Das » et inspirées par l’histoire « d’un couple d’Espagnols fabricants de cheminées », ou de personnages hauts en couleurs, représentés par d’autres artistes.
Voyant d’abord une aire de jeu dans cet espace « longtemps fermé », les enfants et adolescents du quartier, ont, eux aussi, fini par participer aux travaux artistiques, en peignant une partie du hangar avec du matériel fourni par les organisateurs.
Des adultes, « anciens » du voisinage ou membres d’association, sont également impliqués dans le bon déroulement de la manifestation : de la « logistique » des évènements à la surveillance des enfants, en passant par la participation aux projections et aux débats, ils sont, avec le concours des autorités locales, présents à toutes les activités.
D’autres habitants, préférant observer de loin ce mouvement inhabituel près de chez eux, ont salué « une initiative qui participe à l’éveil artistique des jeunes » de ce quartier populaire, abritant un des plus vieux tissus urbains d’Alger.
Le travail de sensibilisation et d’animation culturelle était aussi à l’oeuvre dans le second espace d’ « El Medreb », un autre hangar, propriété de l’Ogebc (Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés), où des films ont été projetés.
De « L’opium et le bâton »(1971) chef d’oeuvre d’Ahmed Rachedi projeté en premier « à la demande des vieux du quartier », jusqu’aux films récents de Hassan Ferhani, inspirés par l’histoire et lieux mythiques d’El Hamma et ses environs, autant de moments cinématographiques ravivant le souvenir des salles de Mohamed-Belouizdad (Le Roxy, Le Musset, etc.), aujourd’hui fermées ou détournées de leur vocation.
Urbanisme et mémoire collective
En plus de son volet d’activités culturelles, cette manifestation a également permis aux artistes et professionnels de débattre de la place de la mémoire collective dans les futurs plans d’urbanisme à Alger.
Architectes et urbanistes ont plaidé à cette occasion pour la réhabilitation des espaces en friche et la conservation du vieux bâti dans ce quartier « riche en lieux de mémoire » et qui a subi de nombreuses transformations depuis l’indépendance.
Ces spécialistes estiment, en substance, que les autorités locales devraient s’intéresser davantage aux « enjeux de développement durable » et à « l’impact social et humain » dans les projets d’aménagement du quartier.
Ces deux dimensions, portées par « l’implication des habitants et le travail sur la mémoire collective » ont été, selon eux, négligées en rapport à « l’impact financier », dans les précédents plans de réaménagements d’El Hamma.
A cet équilibre à trouver entre création de richesses pour l’Etat et conservation d’un patrimoine architectural unique, s’ajoute celui de répondre aux besoins des citoyens en termes de services publics et de logements, nuance-t-on du côté de l’APC de Mohamed-Belouizdad.
La réhabilitation des friches industrielles demeure aussi tributaire des privés qui possèdent « 76 pour cent du parc immobilier » de ce genre dans le quartier, selon les chiffres fournis par un élu de l’APC.
Les porteurs du projet « El Medreb » et d’autres artistes (plasticiens, cinéastes, photographes, ect) oeuvrent, de leur côté, à créer une « prise de conscience » d’une richesse mémorielle et architecturale dont la mise en valeur et la conservation restent « centrales », relèvent les observateurs, pour consolider le « vivre-ensemble » des algérois.