Attendu aujourd’hui à Kinshasa à la tête d’une délégation de l’Union africaine (UA), le président rwandais Paul Kagame se retrouve sur la défensive après la proclamation comme président de la RDC de Félix Tshisekedi, déjà félicité par d’autres dirigeants africains. Dans la nuit de samedi à dimanche, la Cour constitutionnelle a passé outre à l’appel de l’UA à surseoir à la proclamation définitive des résultats de la présidentielle du 30 décembre, en rejetant le recours de Martin Fayulu et en validant la victoire de M. Tshisekedi, un autre opposant. C’est un affront pour M. Kagame. Président en exercice de l’UA, celui-ci avait initié la réunion de jeudi à Addis Abeba. Une délégation de l’UA avait alors demandé la «suspension» de la proclamation des résultats définitifs, en raison des «doutes sérieux» pesant sur ceux provisoires annoncés par la Commission électorale (Céni).
L’UA avait annoncé l’envoi à Kinshasa d’une délégation menée par M.Kagame et le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki. La dernière visite du chef de l’État rwandais dans la capitale congolaise remonte à 2010, pour le cinquantenaire de l’indépendance. Pris de vitesse, M. Kagame est sans beaucoup d’options. Il devait être accompagné des chefs d’État sud-africain Cyril Ramaphosa, angolais Joao Lourenço, namibien Hage Geingob et tchadien Idriss Déby. Cette délégation osera-t-elle maintenir la pression sur M. Kabila, en menaçant par exemple de ne pas reconnaître M. Tshisekedi comme président légitime, comme l’a demandé à la communauté internationale M. Fayulu?
C’est d’autant moins probable que, dans un communiqué, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) a félicité sans tarder M. Tshisekedi et demandé le «respect» de la «souveraineté» de la RDC. Ce texte a été signé par le président de la Namibie M. Geingob, qui était pourtant cosignataire de l’appel d’Addis. L’opposant M.Fayulu, qui dénonce un «putsch électoral» orchestré par MM. Tshisekedi et Kabila, avait demandé à la communauté internationale de ne pas reconnaître le nouveau président élu. Pour beaucoup en RDC, la décision de l’UA de dépêcher M.Kagame a été perçue comme une provocation, en raison de son rôle passé dans leur pays.
La RDC et le Rwanda entretiennent des relations complexes depuis le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994, qui fit 800.000 morts selon l’ONU. En 1996-1997, M. Kagame avait activement soutenu militairement le chef rebelle Laurent-Désiré Kabila, père de l’actuel président, parti de l’est frontalier du Rwanda pour renverser le maréchal Mobutu Sese Seko, au pouvoir depuis 1965. En 1998, M. Kabila a coupé les ponts avec le Rwanda. Kigali est alors intervenu une nouvelle fois en RDC au cours de la deuxième guerre régionale (1998-2003), disant vouloir pourchasser les rebelles hutu des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), considérés comme des génocidaires. Conscient de ce passif, M. Kagame a veillé à ne pas s’exprimer publiquement sur les élections en RDC. Mais le temps pressant pour lui – il cessera d’être président de l’UA le 10 février, et son successeur, l’Egyptien Abdel Fattah Al-Sissi, est sur une ligne bien moins interventionniste -, il a tenté une dernière manoeuvre avec l’envoi de cette délégation.
Le Rwanda, comme l’Angola et l’Ouganda, craint avant tout qu’une instabilité en RDC se propage à ses frontières.