Un jour ou l’autre, immanquablement, la vérité jaillira sur les tenants et les aboutissants, et les véritables responsables des scandales financiers qui ont éclaboussé l’Algérie des 20 dernières années.
Ce jour-là, les Algériens sauront comment des milliers de milliards ont pu partir en fumée, être détournés ou volés, sans qu’aucune sonnette d’alarme ne retentisse ni que les mécanismes de sécurité ne se déclenchent. Ils sauront comment des sommes d’argent colossales ont pu quitter le territoire national, que des projets de développement économique ont été détournés au profit de rares privilégiés, que des deniers publics ont servi à l’enrichissement d’une minorité… pour qu’en fin de parcours, lorsque des explications leur sont demandées, les gardiens du temple se contentent de reconnaître un «manque de perspicacité» ou se drapent derrière l’alibi de l’ignorance. La peur de la signature.
En attendant ce jour-là, des scandales comme ceux de Khalifa, de la BCIA, de la BEA ou de l’autoroute Est-Ouest, de Sonatrach, du ministère de l’Agriculture – suggérant une implication active de hauts responsables – ont eu de lourdes répercussions sur les travailleurs et responsables de ces secteurs, notamment sur leur foi dans les instruments de contrôle et leur confiance en la hiérarchie : «Désormais, nous avons la phobie de la signature et de la responsabilité, ont témoigné plusieurs cadres de Sonatrach au lendemain de l’interpellation de l’ancien P-DG et de nombreux cadres de la société des hydrocarbures. Nous avons peur qu’une signature apposée en toute bonne foi sur un dossier quelconque se retourne contre nous sans que nous puissions compter sur le soutien de nos responsables.»
La même réaction a été constatée chez des employés de la BEA lors du retentissant procès des traites avalisées de la BCIA en 2003 et, plus loin encore, à l’occasion des affaires malheureuses des cadres incarcérés, jugées à la fin des années 1990. «Jamais je ne permettrai à mon fils, aujourd’hui étudiant à l’université, d’intégrer une entreprise publique», avait notamment tonné un avocat en plaidant la cause d’un jeune accusé.
La peur paralysante et la suspicion se sont donc progressivement installées dans les administrations – du moins chez la majorité des cadres terrorisés par la notion de responsabilité et ses possibles et inattendues implications- où des dossiers en apparence inoffensifs peuvent rester pendants de longs mois en attendant l’aval des directions centrales.
«Il y avait la centralisation qui grippait un certain nombre de mécanismes. Aujourd’hui, la peur est venue s’y greffer et il est fort à craindre que la sérénité ne se réinstalle pas de sitôt», témoigne un autre travailleur exerçant, lui, sur l’un des chantiers de l’autoroute Est-Ouest. Ce qui n’est pas de bon augure pour l’avenir d’un pays qui mérite un meilleur avenir et qui dispose, malgré tout, des moyens d’y parvenir.
Rétablir la confiance alors que l’Etat s’apprête à lancer l’ambitieux programme d’investissement 2010-2014, est plus que nécessaire.
Il serait peut-être bon de réfléchir aussi à la manière de redonner foi aux milliers de travailleurs (et millions de citoyens) en l’honnêteté et l’intégrité humaine, et de rétablir leur confiance dans les mécanismes de contrôle qui protègent les biens contre la déprédation et la corruption. En vingt ans, l’Algérie a connu suffisamment d’affaires scabreuses et a eu largement le temps de mettre en place les verrous nécessaires à la préservation des deniers publics.
S’il y avait un seul enseignement à tirer de la multitude des affaires de corruption, de malversations et de détournements que les Algériens vivent au quotidien, c’est peut-être bien celui-là.
Par Samir Ould Ali