Le projet de loi sur les hydrocarbures continue de soulever les réserves des spécialistes du secteur. Djamila Annad, experte dans le domaine, contactée par Reporters, pointe du doigt une perte de prérogatives d’Alnaft au profit de Sonatrach. Alnaft, dans ce texte, n’a plus le pouvoir de contrôle sur les coûts de production de Sonatrach, sur le programme des travaux inhérents au développement des gisements par la compagnie pétrolière nationale, ce qui risque d’impacter négativement les revenus de l’Etat tirés des hydrocarbures.
Sur ce point, Khaled Boukhelifa, expert lui aussi, ajoute que ce rôle d’audit des coûts relevait de cette agence. Le fait qu’elle ne soit plus signataire des contrats lui fait perdre cette prérogative. Ce qui pose la question qui auditera les coûts de Sonatrach ? Cette problématique d’audit constitue une préoccupation permanente du secteur depuis vingt ans, souligne-t-il.
Par rapport à la disposition sur la concession, Djamila Annad considère que cet article sur ce genre de permis, attribué uniquement à Sonatrach, n’est pas précis. Il ne codifie pas ce que peut en faire notre compagnie nationale. Ce qui risque de conduire à des abus. Khaled Boukhelifa, lui, réagit au gré à gré qui est retenu dans la loi, mais qui, dans ce texte, doit être appliqué de façon exceptionnelle. Selon lui, cette loi doit être plus précise sur le gré à gré quitte à prévoir un décret d’application qui définisse les conditions d’exercice de ce principe. Autre zone d’ombre, le texte, ajoute-t-il, ne prévoit aucune disposition sur le gaz et le pétrole de schiste considérés dans le texte comme des hydrocarbures similaires aux hydrocarbures conventionnels.
Par ailleurs, le forcing des autorités du secteur et le mouvement d’opposition au projet de loi font également oublier que « Sonatrach connaît un déclin de sa production depuis 2017, sans que cela fasse bouger nos gouvernants. Ce qui montre le faible degré de supervision de cette activité », réagit un ancien responsable du secteur. Aucune enquête sérieuse n’a été menée ni aucun audit n’a été effectué pour connaître les véritables raisons de ces contre-performances, en l’occurrence les véritables raisons du grand retard accumulé dans la mise en service des gisements essentiellement en partenariat qui auraient pu, si les projets étaient livrés dans les délais, enrayer cette baisse de production. Pourquoi le maintien d’un P-DG à Sonatrach n’est pas lié dans notre pays à un contrat de performance ou à l’obligation de résultat comme cela se fait dans les grandes compagnies pétrolières ? lance-t-il
Qui auditera Sonatrach ?
Ces remous font également oublier l’absence d’une véritable transparence sur les activités de Sonatrach et l’absence du principe de redevabilté appliqué au secteur, un principe de bonne gouvernance ignoré dans notre pays. En somme, en supposant que le nouveau cadre réglementaire soit très bon, ce n’est qu’une condition mais non suffisante pour améliorer les performances du secteur, nous disent maints experts. Plusieurs spécialistes ont appelé en ce sens à la réactivation du conseil national de l’énergie pour fixer une véritable stratégie du secteur et suggérer des remèdes à cette chute de production de Sonatrach.
Un audit régulier de Sonatrach, comme cela se fait dans les grands groupes pétroliers, une plus grande transparence, une meilleure supervision par le gouvernement et la Présidence des activités de Sonatrach, quitte à faire appel à des experts compétents et indépendants sans que ces actions n’inhibent la prise de décision et l’initiative à Sonatrach. Autant de facteurs qui, outre un cadre réglementaire amélioré, pourraient participer à une meilleure gestion du secteur des hydrocarbures considérée comme très insuffisante et très opaque.
Enfin, la question qui reste pendante est l’application des articles de loi et l’indépendance des agences de régulation. Les observateurs avertis savent que les agences de régulation n’ont jamais été indépendantes. En l’occurrence, ces dernières dans le cadre législatif actuel bénéficient d’une autonomie financière et administrative. Ces principes d’indépendance n’ont jamais été appliqués. En fait, elles ont été mises sous tutelle du ministère de l’Energie.
Du reste, l’ARH impliquée dans le processus de développement et de contrôle de l’exploitation des ressources en gaz de schiste ne s’est pas prononcée en 2013 sur le sujet publiquement. Elle n’a pas été invitée à donner son avis au moment où la polémique a enflé sur le développement ou non des ressources non conventionnelles.
Tout cela montre que la gestion du secteur renvoie à des principes de bonne gouvernance et de transparence propres aux Etats démocratiques qui sont actuellement absents ou peu appliqués. La puissance de Sonatrach à l’avenir, l’augmentation des revenus pétroliers au profit du développement du pays dépendra de cette révolution mentale, de cette évolution démocratique.
Khaled Remouche