Un tribunal égyptien a condamné à mort, lundi 24 mars, en première instance, 529 partisans du président islamiste Mohamed Morsi pour la mort d’un officier depolice dans la province d’Al-Minya, en Moyenne-Egypte. Ces faits avaient eu lieu lors des événements sanglants qui ont entouré la dispersion en août 2013 des sit-in des Frères musulmans protestant contre la destitution par l’armée du président issu de la confrérie.
Selon l’agence de presse officielle MENA, les accusés étaient également poursuivis pour tentative de meurtre sur deux autres officiers de police, ainsi que pour l’incendie du poste de police de Matay, la saisie d’armes de police et pour trouble à l’ordre public. Dix-sept autres prévenus ont été acquittés, selon l’avocat Ahmed Al-Charif. Seuls 153 des condamnés sont détenus, les autres sont en fuite.
Mohammed Lotfy, fondateur de la Commission égyptienne pour les droits et libertés (ECRF), revient sur le verdict rendu dans le cadre de ce procès, le plus important depuis le début de la répression des pro-Morsi.
Quelle est votre réaction face à la condamnation à mort de 529 partisans des Frères musulmans prononcée par le tribunal d’Al-Minya ?
Ce verdict constitue un choc. Il traduit une culmination de la politisation du judiciaire en Egypte. On a vu beaucoup de procès motivés politiquement, que ce soit à l’encontre des Frères musulmans ou à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme ou des activistes politiques, dans lesquels il y a un biais apparent de la part du tribunal, qui semble motivé par la situation politique. Toute voix s’opposant au gouvernement actuel est sujette à la répression policière (arrestations, torture) ou à des procès inéquitables ne garantissant pas les procédures élémentaires.
Si les procédures étaient respectées, on ne verrait pas de juge donner la peine de mort à plus de 500 personnes. C’est un verdict ridicule au regard de la loi ou même de la logique. Comment 500 personnes peuvent-elles êtres responsables de la mort d’un seul homme ? Le juge a dû se voir autoriser à rendre un tel verdict, en se considérant partie prenante d’un conflit politique. Le verdict vise à envoyerun message politique
En parallèle, le judiciaire fait tout pour laver l’Etat de toute responsabilité quand il y a des violations graves des droits de l’homme contre des citoyens. Depuis la révolution de 2011, les verdicts rendus ont totalement occulté la responsabilité des forces de sécurité dans la mort de plusieurs milliers de personnes en Egypte. Aucun policier n’a été condamné. A chaque fois, les juges ont considéré qu’il n’était pas possible d’établir quel policier avait tiré sur tel manifestant. Dans les cas où un accusé a été nommément identifié, il n’y a eu aucune peine de mort ou de prison. En ce qui concerne les événements d’août 2013, un seul policier a été condamné à dix ans de prison et trois autres à un an avec sursis pour la mort de 37 prévenus lors de leur transport en fourgonnette de police, le 13 août. Des gaz lacrymogènes ont été lancés dans la fourgonnette alors que les prévenus, menottés, ne représentaient pas une menace.
Y-a-t-il eu des violations de la procédure judiciaire dans le cas du procès d’Al-Minya ?
C’est un procès expéditif qui est injustifié. Il n’y a eu que deux sessions [le procès s’est ouvert samedi 22 mars]. La défense n’a pas eu l’occasion de défendre les accusés comme il se doit et notamment de présenter des témoins. Pour comparaison, le procès contre l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, jugé depuis août 2011 pour le meurtre de manifestants lors de la révolution de janvier-février 2011, n’est pas terminé.
Pour fonder son verdict, le juge aurait dû prouver que chacun des prévenus a participé au meurtre de l’officier de police. Or, comment faire la preuve en deux sessions de tribunal que chacun des accusés, du numéro 1 au numéro 529, a participé au meurtre ou tué la victime ? Il est difficile de dire s’il y a eu des pressions directes sur le juge. Il est difficile d’imaginer qu’on ait pu dicter un verdict aussi préjudiciable à la réputation de l’institution judiciaire et du gouvernement.
Quelles sont les recours dont disposent les accusés ?
Il y aura très certainement un appel devant la Cour de cassation, comme le prévoit la procédure criminelle en Egypte. On verra alors si la Cour de cassation juge que l’affaire mérite d’être rejugée pour vice de procédure. On espère que ce sera le cas mais, même dans cette éventualité, les accusés vont rester en prison jusqu’au verdict de la Cour de cassation et la tenue d’un nouveau procès, ce qui risque de prendre plusieurs années.
Avant cela, du fait qu’il prévoit la peine capitale, le verdict doit être soumis au mufti d’Al-Azhar [la plus haute institution religieuse d’Egypte] qui va donner au juge son opinion sur ce verdict. Mais ce n’est pas une opinion contraignante et la décision finale revient au juge. Pour exemple, la semaine dernière, dans une affaire relative à la planification d’une attaque terroriste contre le canal de Suez en 2009, le juge a confirmé la peine capitale contre un des 26 prévenus en dépit de l’avis contraire du mufti et sachant que la planification en soi d’une attaque terroriste n’est pas criminalisée par la loi égyptienne.