Doutes sur les statistiques et chiffres données par le Gouvernement, suspicions sur le maintien ou l’abandon de la planche à billets, mais aussi les intentions de recourir à l’endettement extérieur dans le long terme suite à la baisse des revenus des hydrocarbures, et le peu d’efforts pour réaliser une véritable croissance économique : le projet de loi de Finances 2020 a suscité hier les critiques et les inquiétudes des élus de la majorité comme ceux du camp de l’opposition, peu nombreux à avoir assisté au débat sur cet autre texte controversé.
Venu défendre le projet de loi devant un hémicycle quasi-vide, le ministre des Finances, Mohamed Loukal, a fait savoir que «le PLF 2020 intervient dans une conjoncture économique très critique du fait de l’instabilité des prix du pétrole sur le marché international», provoquant ainsi «un recul notable des revenus de la fiscalité pétrolière qui représente la principale source de financement du budget de l’État».
Le ministre des Finances a noté que « l’urgence d’accélérer la réforme de la politique financière du pays et de revoir le modèle de gestion du Budget en passant du système appliqué actuellement à un système d’un budget à objectifs ». Un choix inéluctable, « notamment que ce nouveau système a prouvé son efficacité sur le plan international. Ce qui a amené la majorité des pays à l’adopter. Et cela ne concerne pas uniquement les pays modernes mais aussi les pays en voie du développement », a prévenu Loukal.
Dans ses prévisions pour le budget 2020, le gouvernement a notamment prévu un prix référentiel de 50 dollars/ le baril de pétrole pour la période 2020/2022 et un prix prévisionnel à 60 dollars/baril pour la même période, du fait de « l’instabilité des cours du baril et les défis de faire face aux pressions sur les équilibres financiers de l’État ».
Pour le taux de change de la monnaie nationale, elle perdra encore de valeur : le dinar algérien est coté 123 DA pour un dollar (2020) et 128 DA (2021) et 133 DA (2022). L’inflation sera en hausse et atteindra 4,8 % (2020), 5,7 % (2021) et 5,87 % (2022), contre une croissance économique qui se tassera à 1,8 % (2020) et s’élèvera légèrement à 4,3 % en 2021 avant de baisseré à 3,7 % en 2022. Par contre le PIB (produit intérieur brut) hors hydrocarbures se situera à 1,8 % (2020), 2,9 % (2021) et 2,7 % (2022). Au total, les exportations des hydrocarbures se situeront à 35,2 milliards de dollars en 2020, avec une légère amélioration en 2021 (36,8 milliards dollars) et en 2022 (36,9 milliards de dollars).
Dans le cadre de rationaliser le train de vie de l’État, l’exécutif a prévu une baisse soutenue des importations : 38,6 milliards dollars (2020), c’est-à-dire une baisse de 13,4 %, contre 38,2 milliards de dollars (2021) et 37,7 milliards de dollars en 2022. Le déficit du budget augmentera à 7,2 % en 2020, qui se situera à 1 533,3 milliards DA, contre 6,9 % (fin 2019).
Juste après avoir terminé la présentation des statistiques et prévisions du PLF 2020, le ministre a affronté une salve de critiques émanant de tous bords, majorité et opposition. La première est venue du député de Constantine de l’Alliance Nahda-Adala-Bina (opposition), Lakhdar Benkhallef, qui a réagi en marge de la lecture du texte par le rapporteur de la Commission finances et budget. «Ce texte est une copie conforme des précédents projets de loi de finances sans aucun changement, car il s’appuie essentiellement sur les revenus des hydrocarbures (98 % des revenus). La promesse des gouvernements précédents de diversifier l’économie ne s’est malheureusement pas réalisée», a-t-il affirmé, pointant aussi «le recours à la planche à billets par le gouvernement alors qu’il a annoncé, en mars dernier, sa suspension. Ce qui va rajouter d’autres difficultés sur le Budget». Le député islamiste a noté aussi «la baisse des réserves de change dans le PLF 2020 à 50 milliards de dollars. C’est-à-dire que nous avons de quoi acheter à manger aux Algériens pour seulement 15 mois», s’alarmant : «Comment le gouvernement garantira-t-il la nourriture des Algériens quand ces réserves de change seront totalement épuisées ?». Benkhallef s’est interrogé aussi sur le choix du gouvernement d’augmenter certaines pensions comme celle sur l’invalidité dans cette période économique très difficile, et l’introduction de l’impôt sur la fortune sans fournir une liste exhaustive des riches et pauvres de l’Algérie.
Un autre député, Slimane Sadaoui, FLN, a enfoncé le clou sur le sujet de ce recours excessif aux hydrocarbures, estimant que le nouveau PLF est venu pour «peser encore plus lourdement sur les classes moyennes, tout en épargnant les riches». «Quand on voit les prévisions des revenus en hydrocarbures estimés à 35 milliards de dollars, et à côté une masse salariale évaluée à 29 milliards de dollars et des transferts sociaux à 18 milliards de dollars, pour une valeur totale de 47 milliards de dollars, cela signifie que nous sommes toujours devant un déficit des dépenses. Alors d’où ramènera-t-on le reste si ce n’est le recours à l’endettement extérieur ? », s’est-il insurgé, tout en accusant le gouvernement de «faire uniquement dans le bricolage». Le député du Sud a critiqué également la mesure prévoyant l’importation des véhicules de moins de trois ans par les citoyens à l’aide de leur propre argent, alors que le transfert de devises à l’étranger est totalement interdit, ce qui veut dire que cette mesure ne profitera qu’aux Algériens établis à l’étranger, exhortant le gouvernement à revoir ce détail. Même son de cloche chez les partis de l’allégeance, notamment le FLN et RND, pour qui, le PLF 2020 «est sans réponses concrètes à l’urgence de la situation économique actuelle», accusant le gouvernement «d’irresponsabilité» et de «ne pas présenter les bilans des gouvernements précédents».
Le député FLN, Lyes Saâdi, a rappelé les propos du candidat à la présidentielle, Abdelmadjid Tebboune, qui avait accusé, dans un entretien télévisé, Mohamed Loukal à l’époque où il était gouverneur de la Banque centrale, de lui cacher des données financières quand il avait été ministre de l’Habitat. Il a pointé du doigt aussi l’ancien système et le FCE comme responsables de la situation désastreuse de l’économie nationale.
Le député RND, Mustapha Nassi, a proposé d’amender l’orthographe contenue dans l’article 104 du PLF 2020, en échangeant les mots «endettement étranger» par «endettement des pays étrangers» et «les institutions financières de développement» par les «institutions financières internationales» pour lever toute confusion chez le citoyen.
Le député MPA du sud du pays, Al-Bakay El Hammel, a refusé carrément de débattre du PLF 2020, accusant le gouvernement d’échec dans tous les secteurs et de faire dans la discrimination entre le Nord et le Sud. Ses mots étaient très tranchants : « Je ne peux pas débattre aujourd’hui d’un PLF présenté par un gouvernement ne respectant pas les représentants du peuple, incapable de garantir un poste de travail aux jeunes qui préfèrent aujourd’hui immigrer dans des embarcations de fortune, un gouvernement incapable de construire une école primaire et qui construise plus de prisons que d’écoles et autres infrastructures ».
Hamid Mecheri