Si le tribunal criminel prenait à la lettre les plaidoiries des avocats de Abdelmoumène Rafik Khalifa, il rendrait un verdict de relaxe, tant il est vrai qu’ils ont excellé dans le démantèlement des griefs retenus contre leur client, en s’appuyant exclusivement sur les articles du code pénal, du code du commerce et de la loi sur la monnaie et le crédit, mais aussi sur les règlements de la Banque d’Algérie.
Poursuivi pour dix chefs d’inculpation, Abdelmoumène Khalifa risque la perpétuité, comme l’a requis le représentant du ministère Public. D’où la tâche ardue de ses défenseurs.
Serein, méthodique, avec documents classés de manière chronologique, Me Mdjhouda Merouane entamera son intervention en disant : « je n’ai jamais vu un parquet demander par voie de presse aux déposants victimes de se rendre au tribunal de Chéraga pour déposer plainte contre Rafik Khalifa. » Et d’ajouter : « Pour sa part, le juge d’instruction près du même tribunal a écrit à Badsi (le liquidateur) pour lui demander de lui transmettre la liste des grands déposants pour les entendre en leur qualité de partie civile ». Faits inédits selon le défenseur de Khalifa qui s’est dit outré de ce que le procureur général ayant suivi de bout en bout l’instruction se trouve partie prenante dans le procès de 2007. Il dira que cette affaire a démarré sur la base de faux. « On accuse mon client d’avoir détourné de l’argent privé, or il n’est pas un agent public. L’avocat citera toutes les phases traversées par la banque. De l’étape de création à celle de la liquidation en passant par le développement de Khalifa Banque. Mais surtout, il évoquera ce qu’il qualifiera de la phase de provocation et d’acharnement contre l’établissement financier en précisant que les membres de la Banque d’Algérie étaient omniprésents à la banque.
Le Harcèlement de Touati
La robe noire explique la provocation par rappeler l’audition du vice-gouverneur Touati en 2007 lors du premier procès. « On a tarabusté Khalifa de manière régulière. On ne l’a pas rappelé à l’ordre parce que ma décision n’était pas de lui demander de régulariser sa situation. J’étais sur les nerfs parce que je n’arrivais pas à le coincer », lit l’avocat en affirmant que finalement le « rôle de la Banque d’Algérie était de détruire Khalifa Bank. L’avocat de Khalifa s’aidera beaucoup des déclarations des uns et des autres pour démontrer que tout était basé sur un véritable complot visant à détruire la banque privée et permettre aux banques étrangères de s’installer en Algérie. « Ce n’est pas fortuit que 14 banques privées ont été dissoutes dans notre pays. « Laksaci avait déclaré que la décision de geler le commerce extérieur ne venait pas de lui, mais du directeur des changes. Poste qu’occupait Touati à l’époque. Mais quand il est passé devant ce tribunal huit ans plus tard, il s’est rétracté en disant qu’il était obligé de le faire. Cela veut dire qu’il a fait un faux témoignage. De plus, ajoute l’avocat, le règlement de la Banque d’Algérie n°95-07 est irrégulier, la preuve en est que le conseil d’Etat avait tranché en la matière pour le cas de l’Union bank en disant que règlement était illégal.» Poursuivant ses arguments pour prouver le complot, Me Medjhouda fera le lien entre la nomination de Djellab, son installation le lendemain et la visite de Jacques Chirac le même jour dans notre pays.
« Phase de haute trahison »
E défenseur de Khalifa explique que Djellab, l’administrateur avait trouvé 400 milliards de dinars et les a transférés à la Banque d’Algérie. « Le trou qu’il a trouvé concerne les 11 écritures entre sièges en suspens. Lesquelles écritures ne sortaient pas de la caisse principale mais de l’agence de Chéraga. L’administrateur est resté un mois, élaboré un rapport et appelé à la liquidation de la banque. » L’avocat tire un rapport de la Gendarmerie nationale transmis au parquet de Chéraga sur les violations et infractions commises par le liquidateur, Moncef Badsi et de certains cadres de la banque. « Il y avait un compte à Khalifa Bank appartenant à Diprochim de 800.000 dollars que Djellab a tenté de transférer dans une banque publique. Alors qu’il était censé protéger et préserver les intérêts de la banque. » Quant au liquidateur, il l’accusera d’avoir voulu tromper le tribunal. » Khalifa Bank n’était pas dissoute par décision de justice, donc elle existe toujours. Dès lors, il fallait nommer des commissaires aux comptes, un conseil d’administration. Mieux il avait affirmé au juge d’instruction en 2005 qu’il y avait 7.700 milliards de centimes et 10 ans plus tard, il ne parle que de 104. Le manque à gagner a été mis sur le dos de Khalifa.
Me Medjhouda poursuivra sa plaidoirie en démentant les qualifications criminelles du parquet pour laisser place à son confrère de continuer. Mais avant d’achever son intervention, il lancera au tribunal que la défense de Moumène va déposer plainte contre Laksaci, Touati, Djellab, Badsi et Khemoudj (membre de la commission bancaire). Parce qu’il a estimé qu’ils se sont rendus coupables de crimes ? Me Lezzar, dont l’humour est reconnu par tous, n’en a pas beaucoup eu aujourd’hui. Il a commencé par déplorer le fait que des témoins importants pour la manifestation de la vérité n’ont pas été convoqués par le tribunal. « Cela aurait permis la confrontation »
L’énigme des documents d’hypothèque
Parce que le défenseur de Réfik Abdelmoumène Khalifa a relevé que beaucoup de gens (cités comme témoins) ont fait des déclarations contradictoires. « Ils ne se sont jamais imaginé que Moumène allait rentrer un jour au pays. Dès lors, ils lui ont tout mis sur le dos. Mais, ajoute l’intervenant, durant cette affaire nous avons assisté à beaucoup de rétractations. » Comme son confrère, Me Lezzar abordera une à une les accusations portées contre son client. A commencer par les fameux documents d’hypothèque dont le parquet affirme que Khalifa les a falsifiés et utilisés. « Il y a eu des perquisitions chez les notaires et on n’a jamais retrouvé ces documents. On ne sait pas d’où ils sortent. En tout cas, ils ne sont pas le fait de mon client et ils n’ont pas servi à obtenir un crédit pour la création de la banque. Ces documents, affirme-t-il, concernent une société de matériaux de construction qui n’a pas été inscrite au registre de commerce. C’est donc une société écran. « Il se retournera contre la Banque d’Algérie, dont il dira qu’elle n’a pas le droit de se constituer partie civile.
« Quant au liquidateur, il s’est donné le rôle de liquider au lieu de protéger la banque ». Il conteste les accusations d’association de malfaiteurs. « On ne crée pas une association de malfaiteurs avec un acte notarié », précise l’avocat. De plus, ajoute-t-il, Khalifa et ses cadres n’ont pas volé les dépôts à terme des clients et encore moins les comptes courants. Ils ont travaillé avec et c’est comme cela qu’il y a eu la création des six filiales. « Si Khalifa avait l’intention de créer la banque pour voler l’argent, il n’aurait pas investi et fait fructifier ses entreprises. Avec le matelas qu’il s’était constitué, il aurait pu acheter une ville aux îles Caïmans et s’y installer. Epuisé, Me Lezzar demande au président de lui permettre de reprendre sa plaidoirie demain matin.
Dans la matinée, c’était Me Ouali et Tinghidar qui se sont partagé la plaidoirie pour défendre l’ex-aide de camp de Khalifa et l’ex-directeur adjoint de la comptabilité de Khalifa Bank. Mouloud Toudjane, dira Me Nacéra Ouali, n’a rien falsifié, il ne travaillait pas dans les agences. Et c’est grâce à lui qu’on a pu retrouver le trou généré par les 11 écritures entre sièges qu’il a refusé, avec son collègue de déboucler. »S’il avait réellement falsifié des documents bancaires, vous pensez que le liquidateur l’aurait gardé avec lui comme assistant depuis 2003 et jusqu’à sa prise de corps », s’est interrogée la défense. Pour Abdelouhab Réda, ses deux avocats mettront en exergue son parcours et sa carrière militaire. « N’eut été ses problèmes de santé, il serait aujourd’hui général comme ses camarades de promotion. En 1986, c’était le plus jeune commandant en Algérie, il avait 26 ans. » Ils expliquent que ce militaire a travaillé avec Khalifa et s’occupait de sa maison et de ses affaires. Il a en effet reconnu avoir été à l’agence de Chéraga à la demande Rafik Abdelmoumène pour retirer l’argent qui devait servir à payer les salaires des employés de la maison. « Il n’y a rien de plus. Et il n’a absolument rien pris pour lui».
Le procès se termine en principe demain dimanche avec la poursuite des interventions de l’avocat de Abdelmoumène et celui de Rahal Omar, le notaire hospitalisé depuis presque le début du procès à l’hôpital de Blida.
Faouzia Ababsa