Ghania Oukazi
«La grève des étudiants est suivie à 100% dans trois ou quatre villes, on risque d’allonger l’année au mois de juillet ou la continuer jusqu’en septembre, au pire renvoyer la rentrée des nouveaux bacheliers au mois d’octobre ou même novembre», est-il affirmé, au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.
«C’est un grand problème !», pensent des cadres du MESRS très inquiétés par une situation qui précise davantage le pourrissement de l’Université algérienne. L’on rappelle que les étudiants de l’ensemble du pays ont commencé leur débrayage depuis la première semaine du «hirak» populaire qui s’est déclenché le 22 février dernier. Pour être bien appréciés sur la scène de la contestation, les étudiants ont choisi un jour, à eux seuls, – le mardi – pour réclamer, haut et fort, «trouhou gaa» et en avouant en aparté «j’ai honte de dire que je suis bachelier, mon diplôme n’est reconnu nulle part, même pas en Tunisie», comme l’a fait un jeune gréviste devant une caméra. Tout autant que celui populaire, le «hirak» estudiantin en est à son 11ème mardi à se prononcer sur des questions constitutionnelles, politiques, militaires, politico-militaires, juridiques, d’architecture du nouveau système de gouvernance, mais jamais sur la réforme de l’Enseignement supérieur.
La chronologie des faits de la grève rappelle que Ahmed Ouyahia alors Premier ministre, avait instruit Abdelkader Hadjar, alors ministre de l’Enseignement supérieur pour avancer les vacances universitaires d’hiver d’une semaine et fermer conséquemment les résidences universitaires. Son idée était d’éloigner le plus possible d’étudiants d’Alger aux fins de les empêcher de grossir les rangs des contestataires. C’était l’un des actes les plus décriés qui a poussé à durcir le bras de fer entre les étudiants et les gouvernants.
«Il est très difficile de tout rattraper»
Bien que l’effet de contagion se soit propagé à l’intérieur du pays où l’on avance, à la tutelle que «le taux de grève est évalué par filière pour varier entre 35, 45, 70 ou 80%, (c’est en fonction des influences idéologiques, de langues, des réseaux sociaux )», nos sources au MESRS affirment que «la situation s’est gangrénée, notamment à Alger est et ouest, Tizi Ouzou, Bejaïa et Bouira, elle est dramatique !» Selon les données du ministère, la grève dans certaines parties de ces régions est suivie à 100%. «Il s’agit, particulièrement, de l’Université de Bab Ezzouar ainsi que des grandes écoles, Sciences économiques, Polytechnique, Informatique, Management, Commerce qui ont été délocalisées, il y a quelques années, à Koléa, à l’ouest d’Alger, il est très difficile de tout rattraper», estiment nos interlocuteurs. Ils nous expliquent que «si d’ici une semaine ou tout au plus, dix jours, enseignants et étudiants reprennent les cours, ils peuvent rattraper l’année, ils peuvent s’entendre sur un calendrier qui s’étendrait jusqu’au 20 juillet pour les examens en comptant avec des cours assurés jusqu’en juin. Ils rappellent que la grève a été déclenchée dans ces régions avant même que toutes les filières n’aient fini de passer leurs examens de rattrapage du 1er semestre, les choses se sont empêtrées les unes dans les autres, aujourd’hui, de nombreuses filières doivent, en premier, passer ces examens, terminer les cours et passer les examens du 2èmesemestre». Il est signalé dans cet ordre d’idées que «certaines facultés ont repris les cours normalement, d’autres timidement mais d’autres pas du tout, les situations diffèrent et ne peuvent être traitées toutes de la même manière.» La réunion qui a regroupé la semaine dernière le secrétaire général du MESRS et les différents présidents de conférence a examiné, selon nos interlocuteurs, toutes ces questions et un consensus a été retenu pour «ne pas adresser de note identique mais de laisser la liberté à l’ensemble des chefs d’établissements universitaires de contacter les enseignants sages pour qu’ils ramènent les étudiants à la raison et les convainquent de reprendre les cours selon un rythme intensifié et passer les examens selon un emploi du temps qu’ils auraient, préalablement, négocié entre eux en rapport avec le nombre de leurs jours de grève».
«Ultime solution» pour éviter l’année blanche
Malgré ces dispositions, l’on craint sérieusement que «l’année blanche concernerait certaines filières dans les quatre wilayas grévistes parce qu’elles ont de grandes difficultés à démarrer le 2ème semestre.» Et enchaînent-ils «si la grève continue encore au-delà des dix jours à venir, il serait impossible de penser qu’on pourrait rattraper l’année, elle sera totalement décalée et aura des répercussions sur les nouveaux bacheliers, ce sera un véritable drame.» L’idée d’aller au-delà du 20 juillet «pour ceux qui ne reprendraient pas dans maximum dix jours, est aussi retenue, c’est-à-dire inclure le mois de septembre dans la mise en application d’emploi du temps négocié», pensent nos sources.
L’on avoue au MESRS qu’il est «très difficile de préciser clairement comment vont être régler toutes ces situations parce qu’en réponse aux nombreuses démarches d’apaisement et de reprises menées à ce jour, on a des enseignants qui accusent les étudiants de ne pas se présenter aux cours et l’inverse est valable, des étudiants qui accusent les enseignants d’être absents, c’est très compliqué…»
Le plus grave pour les responsables du MESRS est de voir «les grèves se poursuivre au-delà du mois de mai.» Ce à quoi ils refusent de penser «parce que ce serait très grave, il faudra déclarer cette année universitaire année blanche’ et trouver des places pédagogiques suffisantes pour accueillir en même temps les étudiants qui refont leurs semestres et les nouveaux bacheliers.» Pour éviter cette autre descente aux enfers, le MESRS pourrait aller vers l’«ultime solution» de «différer la prochaine rentrée des nouveaux bacheliers au mois d’octobre ou novembre prochains pour permettre à toutes les filières grévistes des universités et des grandes écoles de régler leurs problèmes de retard en cours et en examens».