Même son officialisation, en tant que seconde langue officielle, n’a, en rien, assoupli ses conditions d’accès aux salles de classes.
Depuis l’introduction de la langue amazighe dans le système éducatif durant l’année scolaire 1995-1996, fruit d’un combat de longue haleine mené par plusieurs générations de militants, elle reste otage de fuites en avant, de tentatives de sabotage et d’exclusion. Cet état de fait s’explique par la fragilité du corpus légal dans lequel cet enseignement est inséré. Son statut facultatif, conjugué à la précarité du statut de la langue à enseigner, ont fait en sorte que tamazight soit toujours le parent pauvre de l’éducation nationale. Un bref aperçu de l’évolution de cet enseignement renseigne, on ne peut plus clairement, sur la volonté manifeste de le maintenir dans sa fragilité et sa précarité.
Évolution des effectifs
Il faut rappeler que le lancement de l’enseignement a démarré dans 16 wilayas, durant l’année scolaire 95-96. Un collectif de 233 enseignants, formés par le HCA, assurait des cours pour 37 690 élèves. Sauf que cette expérience n’a pas été une réussite. L’enseignement a connu un recul progressif d’année en année jusqu’à son extinction totale dans certaines wilayas. À El-Bayadh, par exemple, l’enseignement s’était estompé en 1997. Deux ans plus tard, il connaîtra le même sort à Tipasa. En 2000, c’était le tour de la wilaya de Ghardaïa de voir l’enseignement de tamazight s’éteindre. Il reprendra en 2003 pour s’arrêter une seconde fois en 2009. La même oscillation a été enregistrée dans la wilaya de Batna. Un arrêt en 2001, et une reprise en 2005. Cet enseignement en ligne brisée affectera également Oran (2002) et Biskra (2010). Cette extinction a touché d’autres wilayas, même si une reprise a été signalée dans certaines d’entre elles. Il faut souligner que la Kabylie représente, à elle seule, plus de 80% de cet enseignement. Sur 343 725 apprenants, Tizi Ouzou en compte 137 483, Béjaïa 68 341, Bouira 26 756 et Boumerdès 7 045. Pour le nombre d’enseignants, sur 2 757, 1 100 exercent à Tizi Ouzou, 850 à Béjaïa, 205 à Bouira et 56 à Boumerdès. Sans oublier Bordj Bou-Arréridj où 2 100 élèves suivent les cours de tamazight assurés par 16 enseignants.
L’évolution de cet enseignement a connu aussi une courbe sinusoïdale à Batna où 14 425 élèves le suivaient en 2010 pour atteindre 21 806 en 2016. Sauf que dans cette wilaya, le nombre était de 24 965 en 2013. Durant cette même année, il a été établi, dans un rapport du HCA, que l’effectif des élèves par dialecte a été de 88,92% pour le kabyle, 10,64% pour le chaoui et 0,54 % pour le tamachaq. Le chleuh, le mozabite et le chenoui n’y figurent pas, puisqu’ils ne représentent que 0% de cet enseignement. Idem pour le corps professoral qui a connu une hausse. Il est passé de 233 enseignants en 1995 à 2 757 cette année. La quasi-majorité de ces enseignants sont licenciés des départements de langue et culture amazighes des wilayas de Tizi Ouzou, de Béjaïa et de Batna. Concernant l’engagement des pouvoirs publics à œuvrer à la promotion et à la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe à travers tout le pays, Djamel Ikhloufi, chargé à la formation des enseignants de tamazight, dans une contribution publiée dans la presse, a relevé que vu le nombre de postes budgétaires pour l’année scolaire 2017-2018, ceux intéressant tamazight ne dépassent pas un taux de 0,59%. Il a expliqué que “tamazight a eu 59 postes sur 10 009, soit 31 postes en Kabylie (3 wilayas) et 28 postes à travers 45 autres wilayas”. M. Ikhloufi a également relevé la disparité entre le nombre d’élèves et ceux apprenants de tamazight. Ainsi, il a indiqué que le nombre d’enseignants de tamazight a atteint 2 757 en 2017, ce qui représente un taux de 0,56% du nombre global des enseignants puisqu’ils sont 495 000 à travailler dans l’éducation. Idem pour le nombre d’élèves qui étudient la langue amazighe qui a atteint 343 725 en 2017 au niveau de 38 wilayas du pays. Sachant que le nombre total d’élèves est de 8 691 006, cela représente un taux de 3,95%. Le nombre d’élèves qui étudient la langue amazighe dans le secondaire a atteint 68 436 en 2017 au niveau de 38 wilayas du pays. Sachant que le nombre total d’élèves dans le secondaire est de 1 261 198, cela représente un taux de 5,42%. “Nos enfants entament l’enseignement d’une langue officielle, tamazight, en 4e année primaire, après une année d’étude d’une langue étrangère, le français, en 3e année”, a fait remarquer M. Ikhloufi, ajoutant que “le coefficient de la langue amazighe est de 2, alors que celui des langues étrangères est de 3 et plus”.
Le caractère facultatif : un piège
L’énoncé contenu dans la loi n°08-04 du 15 moharram 1429 correspondant au 23 janvier 2008 portant loi d’orientation sur l’éducation nationale est considéré comme un piège et un frein à la généralisation de l’enseignement de tamazight. Il est précisé, ainsi, dans son article 34, que “l’enseignement de la langue amazighe est introduit dans le système éducatif pour répondre à la demande exprimée sur le territoire national. Les modalités d’application de cet article seront fixées par voie réglementaire”. Cet article de la même loi conditionne, en fait, tout enseignement de cette langue à la demande sociale. Cela dit, si cette demande sociale n’est pas exprimée, tamazight ne fera pas son entrée dans un établissement scolaire. Ce même enseignement a été assujetti à une autorisation paternelle.
Aussi, des parents ont eu recours aux services des P/APC pour “dispenser” leurs enfants des cours de tamazight. C’est cette situation qui a fait de l’enseignement de tamazight un cas marginal au sein de l’école algérienne. Même son officialisation, en tant que seconde langue officielle, n’a, en rien, assoupli les conditions d’accès de tamazight aux salles de classes. Au-delà de cet aspect que d’aucuns considèrent comme technique, les réactions de rejet de tout ce qui est amazigh est d’abord d’ordre politique.
Maintenir tamazight dans cet état n’est autre que l’expression de son rejet. Un rejet qui ne peut être assumé par les pouvoirs publics. Si la généralisation de l’enseignement de tamazight “effraie” certains responsables, il est tout à fait logique que les militants resteront encore mobilisés pour arracher encore des acquis.
Mohamed Mouloudj