En Algérie, les femmes sont sous-représentées dans le secteur des affaires. Bien que l’État ait lancé plusieurs initiatives pour les aider, le chemin est encore long pour venir à bout des aprioris misogynes sur le rôle des femmes et de la discrimination à laquelle ces idées donnent lieu.
Leader dans l’éducation des femmes, à la traîne dans l’entrepreneuriat féminin
Selon un rapport de l’UNESCO publié en 2021 et intitulé « Pour être intelligente, la révolution numérique devra être inclusive », l’Algérie possède la plus forte proportion de femmes diplômées en ingénierie au monde (48,5 % du total des diplômés). À titre de comparaison, ce chiffre est de 26,1 % en France, de 19,7 % au Canada et de seulement 14 % au Japon. Si les Algériennes ont brisé le monopole des hommes sur les études d’ingénieur, la profession elle-même reste cependant dominée par la gent masculine.
Les femmes entrepreneurs restent, par contre, sous-représentées. Deux catégories de contraintes freinent leur élan. La première est d’essence socioculturelle ; il s’agit de la répartition traditionnelle des rôles des hommes et des femmes, et du manque de soutien familial. La seconde concerne les obstacles financiers comme la difficulté d’accès au capital à travers les prêts bancaires.
Dans le monde arabe et au-delà, l’Algérie est un leader en matière d’éducation des femmes. Le taux d’alphabétisation des femmes est passé de 62,2 % en 1987 à 97,3 % en 2018. L’éducation de masse a permis aux femmes d’accéder au marché du travail. En 1987, les femmes représentaient 8,1 % de la population active ; trois décennies plus tard, ce chiffre atteignait 20 %. Malgré ces progrès, les femmes restent sous-représentées sur le plan professionnel. En 2019, l’emploi féminin adulte en Algérie n’était que de 13,8 %, contre 60,7 % pour les hommes.
Les femmes sont également sous-représentées dans le secteur des affaires, même si la principale association de femmes algériennes chefs d’entreprise, Savoir et vouloir entreprendre (SEVE), tente d’offrir une image plutôt rose de la progression des femmes. Le SEVE a été créé en 1993 pour contribuer à l’intégration des femmes dans l’économie nationale en guidant celles-ci dans le processus de création d’entreprises et en leur facilitant le dialogue avec les institutions économiques. Selon le SEVE, le pourcentage de femmes dans le secteur des affaires a augmenté de 25 % entre 2013 et 2018. Pourtant, le même SEVE affirme que, si l’on exclut les professions libérales et les activités agricoles, l’Algérie ne comptait pas plus de 150 000 femmes entrepreneurs en 2018. Cela signifie que sur les 1,96 million d’entrepreneurs que compte le pays, les femmes ne représentent que 7,6 %.
Selon l’indice Mastercard 2020 de l’entrepreneuriat féminin (MIWE), la situation est encore moins reluisante. L’Algérie se situe à l’avant-dernière place de la liste des 58 pays mesurés, avec 37 points d’indice. On remarque que d’autres pays d’Afrique, comme le Ghana et l’Ouganda, s’en sortent mieux, avec 60 et 56 points respectivement. En effet, le taux de propriété des entreprises par les femmes est de 36,5 % au Ghana, de 39,6 % en Ouganda et d’à peine 6 % en Algérie.
Un autre élément mérite d’être souligné. Selon des journalistes d’investigation, les chiffres cités par le SEVE (et même par le MIWE) sont trompeurs, car de nombreux hommes utilisent le nom de leur femme, celui de leur mère ou de leur sœur lorsqu’ils désirent créer une entreprise.
Ils recourent à ce subterfuge pour réduire leur patrimoine personnel déclaré et éviter ainsi des impôts supplémentaires ; dans d’autres cas, parce qu’ils sont fonctionnaires et n’ont donc pas le droit de posséder une entreprise. La sous-représentation des femmes dans le milieu des affaires apparaît plus clairement lorsque les Algériens participent à des forums économiques régionaux ou internationaux — leurs délégations comprennent très peu de femmes.
Les obstacles socioculturels et financiers à l’entrepreneuriat des femmes
Lorsque l’on évoque les obstacles à la promotion des femmes algériennes dans le domaine des affaires, les contraintes socioculturelles occupent une place prépondérante. Plusieurs femmes entrepreneurs expliquent qu’à chaque étape, elles doivent peser le risque d’un retour de bâton. Par exemple, les activités doivent de préférence avoir lieu la journée — en d’autres termes, des déjeuners plutôt que des dîners d’affaires —, car les rencontres en soirée entre hommes et femmes véhiculent des connotations indésirables.
En outre, la vision sociétale dominante stipule que les femmes se consacrent principalement, voire exclusivement, à l’éducation des enfants, et que les hommes sont mieux adaptés à la réussite dans les affaires.
Outre les barrières socioculturelles, les femmes entrepreneurs souffrent d’un accès restreint au financement. Cela malgré la présence en Algérie de plusieurs organismes créés pour venir en aide aux entrepreneurs, en particulier les jeunes.
Il s’agit de l’Agence nationale de soutien à l’emploi des jeunes (ANSEJ), de la Caisse nationale d’assurance chômage (CNAC) et de l’Agence nationale de gestion du microcrédit (ANGEM). Les chercheurs attribuent ce paradoxe à l’existence d’attitudes sexistes institutionnalisées. Selon un rapport de l’Organisation internationale du travail de 2016, seulement 10 % des femmes entrepreneurs en Algérie ont obtenu des fonds de la part de ces agences. En désespoir de cause, les femmes choisissent, quand elles en ont les moyens, d’autofinancer leurs entreprises.
Autre obstacle noté, les conditions, les délais et les retards dans le traitement des demandes de financement. Plusieurs femmes soulignent que cette bureaucratie excessive les affecte davantage que les hommes, car elles continuent, en même temps, à assumer l’éducation des enfants et la plus grande partie des tâches domestiques. Elles affirment également qu’en général, les banques ne sont pas intéressées à aider des femmes.
En Algérie, les banques non seulement compliquent la procédure d’obtention d’un prêt pour les projets liés à la technologie numérique, aux relations publiques et au conseil, car considérés comme risqués et générateurs de faibles retours sur investissement — mais elles semblent encore avoir une vision archaïque de l’entrepreneuriat féminin. Pour ces banques, l’entrepreneuriat féminin est synonyme de salon de coiffure, d’artisanat et de garde d’enfants.
Un ancien employé de l’ANGEM explique que les banques et les organismes de promotion de l’entrepreneuriat préfèrent accorder des prêts pour l’achat de matières premières. Ainsi, concernant les femmes, cela profiterait à celles qui souhaitent lancer des entreprises de transformation de produits alimentaires, de création textile ou d’offre de services tels que la coiffure, mais pas beaucoup plus.
En outre, les femmes déplorent les taux d’intérêt élevés appliqués par les banques. Par exemple, pour le service appelé « affacturage » les banques prennent une commission de 9 %, un taux prohibitif. En France, à titre de comparaison, ce chiffre se situe entre 0,5 % et 2,5 %. Par conséquent, les femmes n’ont souvent pas d’autre choix que d’autofinancer leurs projets. Cela les oblige soit à investir leurs propres économies, soit à emprunter à leur famille et à leurs amis. Dans de telles circonstances, les risques sont grands et le moindre échec peut signifier la ruine financière.
Quelle conclusion ?
Il ne fait aucun doute que, depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, les femmes ont parcouru un long chemin. Elles sont passées de la périphérie de la vie entrepreneuriale à son cœur. L’Algérie a commencé à mettre en place des programmes de soutien à l’entrepreneuriat et à l’autonomisation des femmes dans les années 2000.
Cependant, beaucoup reste à faire pour institutionnaliser ces initiatives, renforcer leur efficacité et endiguer la bureaucratie qui règne dans les administrations. En outre, l’Algérie a besoin d’une campagne de sensibilisation culturelle pour combattre l’influence néfaste des visions dépassées et misogynes concernant le rôle de la femme dans la société. Cela y va de l’intérêt des Algériennes et du pays tout entier.