Le général-major Bousteïla se confie à “Liberté”
Profitant des Journées portes ouvertes qui se déroulent jusqu’à la fin du mois de juin à travers les 48 wilayas du pays, Liberté a approché le général-major Ahmed Bousteïla, commandant de la Gendarmerie nationale, pour évoquer la nouvelle stratégie qu’entreprend cette institution républicaine pour lutter contre le crime sous toutes ses formes.
À commencer par la formation de la ressource humaine et les nouvelles technologies que déploie ce corps d’arme pour faire face à une violence conjuguée à une population délinquante aux multiples profils, M. Bousteïla évoque toutes les mesures prises pour promouvoir la Police judiciaire, le maillage sécuritaire et la présence optimisée des troupes sur le terrain, mais aussi le saut quantitatif de l’activité et l’aspect névralgique qu’est la communication. M. Bousteïla évoque également la lutte contre la délinquance sur la voie publique et la stratégie de la Gendarmerie en Kabylie. Serein et convaincu des résultats probants de cette stratégie, M. Bousteïla nous reçoit dans son bureau. Écoutons-le.
La criminalité et le banditisme se sont développés en relais au terrorisme, quelles ont été les mesures prises par la Gendarmerie nationale pour promouvoir la police judiciaire ?
Ahmed Bousteïla : La société algérienne se développe et subit des mutations profondes qui bouleversent fondamentalement les paramètres de sécurité publique. Le problème de la criminalité a commencé à prendre de l’ampleur en Algérie depuis les années 90.
La violence traumatisante du terrorisme a profondément marqué le comportement des adolescents qui se sont habitués à s’exprimer par l’incivilité, l’agressivité et le refus de toute autorité y compris celle des parents. La frange actuelle des 20-35 ans, qui représente près de 70 % de la population, a vécu dans un environnement marqué par la banalisation de la violence.
Cette situation s’est répercutée négativement sur la sécurité et l’ordre public et a généré une délinquance prononcée. Pour y faire face, la Gendarmerie nationale a réadapté ses structures et moyens à travers un dispositif articulé autour de trois axes principaux.
Le premier est constitué par une chaîne de police judiciaire regroupant au niveau central une structure chargée de la direction et de l’orientation des activités de police judiciaire, de l’évaluation et de l’analyse criminelle et une entité ayant pour missions principales le traitement et la répression d’affaires criminelles liées particulièrement à la délinquance économique et financière et au crime organisé. Au niveau régional, un service régional de la police judiciaire qui est l’interlocuteur des pôles judiciaires régionaux mis en place par le ministère de la Justice.
Au niveau territorial, la brigade territoriale, unité de base de la Gendarmerie nationale a pour mission d’assurer la surveillance générale du territoire. Elle veille à ce titre au respect des lois et règlements, à la protection du citoyen et de ses biens.
Les enquêtes importantes sont confiées aux Sections de recherches qui agissent sur toute l’étendue de la wilaya.
Il y a également l’Institut national de criminalistique et de criminologie assurant deux fonctions majeures. L’une concerne le développement de la police judiciaire par la formation de spécialistes en police judiciaire en collaboration avec l’école de police judiciaire récemment créée, le développement et la perfection des techniques et des méthodes d’investigations criminelles, l’étude et l’analyse du phénomène criminel et l’appui technique aux enquêtes.
La deuxième fonction est relative au soutien technique et scientifique et elle s’articule autour des examens et analyses criminalistiques des indices prélevés sur la scène du crime pour l’établissement de la preuve matérielle, des expertises et contre-expertises ordonnées par les magistrats. Elles permettent de préserver les droits des justiciables et conforter ainsi l’État de droit.
En effet si le choix d’accompagner notre développement a été porté sur les sciences légales c’est pour solutionner les crimes en remettant aux mains des juges des preuves irréfutables en vue de préserver les droits et libertés des citoyens. L’institut constitue également une interface pour la coopération internationale dans le domaine de la criminalistique et de la criminologie.
Aussi, en plus de la documentation judiciaire qui gère des bases de données numérisées et automatisées, des systèmes d’identification biométrique et balistique de dernière génération ont été mis en place pour optimiser les recherches dans le temps et augmenter le taux de résolution des affaires notamment celles commises par des réseaux criminels.
Tout ce dispositif est complété par la formation des personnels qualifiés dans les méthodes et techniques d’investigations. Ce volet a nécessité un effort particulier qui a porté sur l’augmentation des capacités pédagogiques, l’adaptation des programmes, la qualification du corps enseignant par la formation des formateurs en Algérie et à l’étranger et évidemment l’acquisition de moyens pédagogiques modernes.
En plus des efforts soutenus pour le développement et la modernisation de la Gendarmerie nationale, l’homme a fait l’objet d’une attention particulière considérant qu’il est le vecteur de tout développement. C’est ainsi que la ressource humaine a connu une croissance sur les plans qualitatifs et quantitatifs. Elle est passée de 13 000 hommes en 1988 à 100 000 hommes en 2010.
Ces dernières années les spécialistes de la question sécuritaire s’accordent à dire que l’activité de la Gendarmerie a connu un saut qualitatif, qu’elles en sont les causes majeures ?
Pour faire face aux réseaux criminels, la technologie constitue un instrument incontournable. Pour cela, nous avons privilégié l’ouverture sur les centres de recherches et l’université pour la mise en œuvre d’un programme de modernisation efficace et cohérent.
Les unités territoriales ont été dotées de moyens d’investigation modernes et leurs personnels ont subi une formation de haut niveau. Il faut reconnaître également que la législation a évolué pour s’adapter à toutes les formes de la criminalité.
À titre indicatif, le terrorisme routier, de par les conséquences dramatiques qu’il génère, constitue une forme de criminalité qu’il convient de combattre. Indépendamment de l’amélioration des infrastructures routières et de la revalorisation des moyens de sécurité routière que la Gendarmerie nationale a mis en place, la législation a été adaptée et durcie par les pouvoirs publics pour mieux réprimer ce terrorisme routier.
En somme l’amélioration de l’activité est le résultat de la montée en puissance de la Gendarmerie nationale qui s’est concrétisée par une meilleure occupation de l’espace territorial, une meilleure surveillance du réseau routier par le développement d’unités spécialisées et leur dotation en moyens appropriés (radars, motos, terminaux embarqués) et une qualification accrue des personnels. En matière de criminalité organisée, les criminels agissent en réseaux et utilisent les technologies les plus sophistiquées pour accumuler illicitement des ressources financières qu’ils recyclent dans les activités licites.
Elles se caractérisent par les trafics de stupéfiants, d’armes, de munitions et de véhicules, la contrebande, les atteintes à l’économie nationale et les faux ainsi que l’immigration clandestine. Les résultats probants obtenus s’expliquent par le renforcement et le durcissement des dispositifs sécuritaires, un meilleur traitement de l’information et de l’exploitation du renseignement au niveau central et régional, l’introduction de moyens de communication, de géolocalisation… etc. Ce qui a induit une action plus efficace sur le terrain.
La délinquance de voie publique devrait également constituer un axe prioritaire, qu’en pensez-vous mon Général ?
L’environnement du citoyen demeure perturbé par la récurrence et la multiplication des atteintes contre les personnes et les biens. Cette délinquance de voie publique génératrice d’un sentiment de malaise et d’insécurité se caractérise généralement par les larcins, les vols d’accessoires de véhicules, de téléphones portables, à la sauvette, les rixes et autres formes d’incivilité.
L’action de la Gendarmerie nationale, par sa présence sur le terrain, s’est traduite par une répression plus efficace de ses infractions qui empoisonnent le quotidien du citoyen. Les opérations dites “coups-de-poing” combinées avec les Sûretés de wilaya ont contribué grandement à l’amélioration de la situation dans ce domaine.
Des citoyens exigent le retour de la Gendarmerie nationale en Kabylie, par l’ouverture de brigades, quelles sont les mesures qui ont été prises ?
La Gendarmerie nationale ne s’est pas retirée totalement de la Kabylie. Nous avons tiré les enseignements qui s’imposent, celui qui n’arrive pas à se remettre en cause ne peut pas évoluer.
C’est une région qui nous est chère et l’important a été d’axer nos efforts sur une formation de qualité du gendarme. Les doléances légitimes des citoyens d’exiger la sécurité des personnes et des biens seront satisfaites. Nous avons élaboré en collaboration avec les autorités locales un plan de réalisation d’unités.
Des renforts en matière d’unités constituées et d’intervention ont été mis en place pour lutter contre le banditisme et le terrorisme aux côtés des autres forces de l’ordre. L’activité au niveau des wilayas de Béjaïa, de Tizi-Ouzou et de Bouira a connu une évolution sensible du fait particulièrement de la confiance et de la coopération des citoyens.
Vous accordez une grande importance à la communication de vos activités. Pourquoi ?
Toute l’action de la Gendarmerie est accompagnée par une communication en temps réel pour informer le citoyen, le sensibiliser et gagner sa confiance. L’image de la Gendarmerie est la résultante du comportement de chaque gendarme.
C’est d’ailleurs pour cela que la rigueur morale est une de mes préoccupations majeures. La Gendarmerie nationale est une tour de verre et une source d’information accessible, faut-il aussi que nous ne soyons pas embarqués dans des campagnes de diversion dont parfois le but inavoué est de ternir le pays et ses institutions. Pour éviter l’incompréhension et barrer la route à ceux qui ont tendance à cultiver l’amalgame, j’invite les organes de presse à se rapprocher davantage de l’institution en faisant prévaloir l’objectivité, le sens des responsabilités et l’intérêt national.
La Gendarmerie nationale maintient son contact avec les médias pour leur permettre d’informer et d’éclairer les citoyens et aussi de faire connaître une institution républicaine dont les personnels sont issus du peuple et chargés de garantir la préservation des personnes et des biens.
Un mot pour conclure ?
Les exigences en matière de sécurité publique appellent une modernisation de potentialités et une obligation de résultats qui peuvent être satisfaites par une présence accrue sur le terrain de personnels mieux préparés à l’exigence de leurs missions. Cette préparation devra leur permettre de disposer d’une grande capacité de réactivité aux faits et évènements et d’assurer une meilleure qualité de service public.
Je pourrai avancer que le développement décidé par les pouvoirs publics fera acquérir à la Gendarmerie nationale des capacités d’adaptation pour répondre aux défis générés par un nouveau contexte sécuritaire. Enfin, nous réaffirmons notre volonté d’instaurer une confiance mutuellement partagée avec le citoyen en étant à l’écoute de ses préoccupations légitimes de sécurité. Le flambeau de Novembre est entre les mains de jeunes gendarmes qui se feront violence de relever le défi dans le seul dessein de voir une Algérie stable et développée.
Farid Belgacem