Maculés d’une épaisse purée rouge sang, des pépins plein les cheveux, 20.000 jeunes du monde entier se sont livrés mercredi à Buñol, dans l’est de l’Espagne, à une gigantesque bataille de tomates sous la pluie pour la traditionnelle « Tomatina », devenue payante cette année.
« C’est fou, fou, un vrai chaos », s’esclaffait Leane Stout, une Néerlandaise de 20 ans, lunettes de plongée relevées sur ses cheveux couverts de pulpe rouge.
Tunique blanche devenue rose sous l’impact gluant des fruits, elle piétinait avec ses amis les ruisseaux de jus qui dévalaient la rue.
Autour d’eux, la foule se pressait, chantant et hurlant sans se laisser décourager par la pluie battante et l’odeur âcre des tomates écrasées.
« J’ai failli mourir en me faisant écraser par la foule : ça aurait était le meilleur endroit pour mourir », s?enthousiasmait Levi James, un Britannique de 40 ans, venu pour la première fois.
Derrière lui, les murs blancs des immeubles qui n’avaient pas été protégés par des bâches se tâchaient aussi de rouge.
Entassés sur 400 mètres de parcours, sangria et briques de vin à la main, les milliers de participants avaient attendu depuis tôt le matin les six camions chargés de 130 tonnes de tomates, un volume record dans l’histoire de la « Tomatina ».
Petite Australienne blonde de 24 ans, Melissa Johnsteone avait aussi prévu un bonnet de douche : « On m’a dit que les cheveux blonds devenaient rouges », expliquait-elle.
Comme elle, la majorité des jeunes participants venaient cette année d’Australie (19%), du Japon (18%) et de Grande-Bretagne (11%), tandis que les Espagnols ne représentaient qu’une minorité (8%).
Aujourd’hui copiée aux Etats-Unis, la Tomatina est née, selon ses responsables, lorsqu’en 1945, des jeunes de Buñol, petite ville dominée par un château fort mauresque, s’étaient emparés des tomates de l’étalage d’un primeur pendant une bagarre.
Peu à peu, la tradition s’est installée malgré les réticences des autorités, qui l’avaient interdite dans les années 1950. En 1957, la mairie l’a finalement autorisée et organise elle-même depuis cette fête qui a atteint une renommée mondiale dans les années 1980.
« C’est un festival très connu », lançait Kohei Onizaki, jeune Japonais qui s’était dessiné une tomate sur une joue et le drapeau de son pays sur l’autre.
« Et c’est moins dangereux que les lâchers de taureaux, » renchérissait Brad Fisher, un Australien de 22 ans.
Mercredi, le « gazpacho humain » était d’autant plus juteux que face au poids record de tomates lancées, le nombre de participants avait été divisé par deux par rapport aux années précédentes, pour des « raisons de sécurité », selon la mairie de Buñol.
C’est aussi au nom de la sécurité que les autorités ont décidé cette année de faire payer un minimum de 10 euros le billet d’entrée. Une décision qui a fait réagir dans une Espagne en crise, certains craignant de voir de plus en plus de mairies en difficultés privatiser leurs fêtes.
« Cela faisait huit ou dix ans que nous avions un problème : la Tomatina n’était pas contrôlée, on ne savait pas combien de gens allaient venir et ce doute, dans un tel événement de masse, comportait un risque », s’est justifié le maire de Buñol, Joaquin Masmano.
Mais la mairie reconnaît également que l’organisation supposait « une lourde charge » pour ses finances publiques, plombées par une dette de 4,1 millions d’euros. Pour la première fois, c’est donc une entreprise privée, SpainTastic, qui a été chargée de vendre les tickets d’entrée.
Casquettes, t-shirts, tasses : en plus du droit d’accès, les visiteurs pouvaient acquérir plusieurs formules et même payer 750 euros pour avoir le droit de grimper sur les camions d’où ils piétinaient et jetaient les tomates sur leurs compagnons.
Buñol avait réservé 5.000 entrées gratuites pour ses habitants.
Le prix « n’a pas empêché que toutes les entrées soient vendues plus de deux semaines avant la fête », affirme SpainTastic.
Après le passage tonitruant des camions, les responsables du nettoyage, armés de lances à eau, ont rapidement fait disparaître les restes de pulpe rouge pendant que les derniers fêtards essoraient leurs t-shirts rougeâtres.