Des titres de la presse privée, écrite et en ligne, ont accusé le ministre de la Communication, et, derrière lui le gouvernement et le pouvoir, de vouloir asphyxier financièrement certains journaux. Par conséquent, de vouloir rétrécir encore plus le champ de la libre expression. Du moins, celle de cette partie de la presse qui a enregistré une chute drastique de ses recettes publicitaires ces six derniers mois.
Le bras de fer avec les autorités de tutelle est toujours engagé et son feuilleton n’est pas prêt de connaître rapidement son épilogue, à l’avantage des uns ou au désavantage des autres. Ce combat ne se déroule pas à fleurets
mouchetés, c’est le moins que l’on puisse dire, entre gentlemen qui seraient des épéistes animés d’intentions louables. Il permet cependant, au-delà du tumulte des allégations, des dénégations et des accusations, des torts comme des bonnes raisons des uns et des autres, de procéder à un état des lieux serein de la profession.
Ceci, bien entendu, dans l’attente d’«états généraux» que la profession, inorganisée et divisée à ce jour, n’est pas encore en mesure d’organiser par elle-même, sans que les pouvoirs publics soient pour autant disposés eux-mêmes à procéder à cette remise à plat du secteur.
Depuis 1990, précisément depuis que le gouvernement Hamrouche a permis la naissance de journaux non étatiques, l’Algérie dispose d’une presse publique et d’une presse privée écrites et de la même configuration dans l’audiovisuel. Avec, en outre, la création de titres en ligne, tous privés. On retrouve cette dualité aussi dans la publicité, avec l’existence de deux pompes financières, l’Anep, centrale de ventilation de publicités d’annonceurs publics, et le privé algérien et étranger.
Avec une grande particularité : la profession, journalistes comme éditeurs, n’a jamais pu, su ou voulu s’organiser. Cependant que le marché de la publicité est totalement dérégulé, opaque même. Et qu’il manque toujours d’un cadre clair assis sur des principes définissant, par exemple, des règles pour l’éthique, la concurrence non faussée, la position dominante, l’abus de position dominante. Le but étant d’éviter le développement d’oligarchies médiatiques qui vampiriseraient un marché où les autres, c’est-à-dire les entreprises de taille et de masse critique moindres, peineraient à participer à la vie publique, et, ce faisant, au développement de la démocratie dans le pays.
On en est là aujourd’hui, indépendamment de la guerre de la pub en cours entre une partie de la presse privée et le ministre de la Communication, en sa qualité de représentant le plus visible et le plus facile à atteindre du pouvoir. Ce même ministre, indépendamment des accusations qui lui sont portées et au sujet desquelles il répondrait ou non, à sa façon, par voie de presse, réglementaire ou devant une juridiction compétente et impartiale, a, c’est sa raison d’être, une mission précise : régler, réguler, accompagner, encadrer, fixer des règles du jeu. Il a surtout une feuille de route en bonne et due forme, tracée par le chef de l’Etat dans un message à la presse, en mai dernier.
Où il est question en effet de «poursuivre, activement, le processus législatif et réglementaire» relatif à «l’organisation de la presse et des métiers y afférents, et aux organes de régulation compétents, ainsi que celles relatives à la publicité et aux sondages». Il est également demandé au gouvernement d’élaborer un plan de formation «à compter de cette année et jusqu’en 2019».
De même que de «réguler l’exercice de la liberté de la presse et de l’encadrer». L’objectif, par principe noble, étant de mieux asseoir la démocratie en Algérie «sur une presse libre, compétente, soucieuse de l’intérêt national et imbue du sens des responsabilités».
En somme, de vrais travaux d’Hercule ! Il n’est jamais trop tard de passer alors du désordre institutionnalisé par des pratiques informelles, parfois en marge ou en violation de la loi, à l’ordre démocratique et à l’organisation rigoureuse que tous respecteraient. Il est temps d’appliquer la loi, toute la loi, sans parti-pris, sans concession et passe-droits et, surtout, sans faiblesse. Voici donc venu le temps de régulariser, réglementer et réguler, avec le concours actif de la profession, des domaines aussi complexes que la presse écrite et l’audiovisuel, l’Internet, la publicité, la communication et les sondages d’opinion. Fini donc le temps où presse et pouvoirs publics avaient, peu ou prou, fonctionné dans une zone grise. Où les uns et les autres étaient à la lisière du droit.
Phénomène encore plus visible dans la distribution, livrée depuis la dissolution des messageries publiques, et pour grande partie, à une mafia organisée. Dont des camarillas dominées par des voyous et des salafistes, qui ne possèdent pas de registres de commerce et qui ne payent pas l’impôt, ont fait main basse sur la grande majorité des titres, en établissant leurs quartiers généraux au sein même des rotatives étatiques ! Fini aussi le temps où la création des journaux était soumise à l’agrément arbitraire d’une administration inspirée en sous-main par des muses providentielles mais toujours anonymes.
La manne publicitaire, qui obéissait rarement aux lois de l’offre et de la demande, était utilisée parfois comme instrument de gestion et de sujétion politiques, quand elle ne donnait pas lieu à des transferts douteux et délictueux et à de l’enrichissement illicite et notoire.
C’était aussi le temps où certains titres accumulaient des créances toxiques auprès des imprimeurs d’Etat et des organismes sociaux qu’elles doivent apurer aujourd’hui, sous peine de se voir disparaître. Et ne respectaient pas, peu ou prou, la vertu budgétaire et pratiquaient impunément une sorte de désobéissance fiscale et sociale. Aussi, est-il temps de garantir la transparence des règles économiques et veiller tout aussi scrupuleusement au respect des normes éthiques et commerciales en matière de publicité, en dotant le pays de conseils supérieurs pour l’audiovisuel, la presse écrite et l’Internet, ainsi que d’un bureau national de vérification de la publicité.
Sans oublier la mise en place d’un organisme de justification de la diffusion, un OJD national, typiquement national, qui vérifierait lui-même, in situ, les chiffres que lui fourniraient les éditeurs.
C’est cela même le «cercle vertueux» dont parle le ministre de la Communication et qui ne se limite pas seulement à la diffamation et au respect plus global de la déontologie. Inclure également dans cette dynamique vertueuse, l’interdiction d’abus de position dominante. Renforcer, avec la force de la loi, les droits sociaux des journalistes et le droit de propriété littéraire et artistique.
Et, dans ce même ordre de mouvement vertueux, les professionnels du secteur doivent apprendre à se prendre en charge eux-mêmes, à s’organiser, sans arrière-pensées de leadership stériles. A savoir, créer des syndicats professionnels de journalistes réellement représentatifs et démocratiques. A côté d’unions d’éditeurs qui le seraient aussi, loin de toute idée que les uns auraient de caporaliser les autres. Au motif que le poids et la taille de leurs entreprises leur permettraient de s’ériger en leaders hégémoniques.
Consolider donc l’exercice démocratique du journalisme, en incitant, par la voie réglementaire, les professionnels à constituer des sociétés de rédacteurs participant à la bonne gestion de leur outil de travail. A charge pour ces derniers, à titre d’exemple, d’édicter eux-mêmes les règles de respect de l’éthique et de la déontologie, en rédigeant une charte consensuelle, à ce jour inexistante. D’être les seuls à reconnaître à leurs pairs, la qualité de journaliste.
Donc, de délivrer eux-mêmes la carte professionnelle des journalistes, qu’on peine à établir depuis l’indépendance du pays. Une carte professionnelle, pas celle que les médias délivrent eux-mêmes à leurs employés, établie demain par une commission paritaire composée exclusivement de journalistes élus par les journalistes.
En somme, comme disent les Arabes «chouiya Lallah, wachouïa él Abdallah». Un peu pour Allah et un peu pour Abdallah. C’est-à-dire, la profession doit faire librement tout ce qu’elle doit faire et l’Etat doit rester dans son rôle : aider la presse à se développer de manière saine et dans la transparence, en faire un pilier de la construction démocratique. Faisant en sorte à ce que les journalistes soient redevables devant l’opinion publique et comptables, le cas échéant, devant la justice de la République.
N. K.