Face aux assauts de l’opposition et aux retombées de la crise , Un gouvernement pare-chocs

Face aux assauts de l’opposition et aux retombées de la crise , Un gouvernement pare-chocs

Le gouvernement innove: dire et agir simultanément, casser les tabous et choquer pour mieux aiguiser les consciences, mobiliser les esprits et sortir le pays des ornières de la crise.

Abdelmalek Sellal a déjà consommé quatre gouvernements mais, casting concluant, l’actuel semble être le bon. Non pas parce qu’il aura duré plus que les précédents, ce qui n’est pas encore avéré, mais parce que c’est sous sa houlette que les décisions les plus «importantes» ont été prises. Bien évidemment, parler de décisions importantes n’est pas oeuvre facile car, par les temps qui courent, il est difficile de faire admettre comme telle une décision, aussi pertinente soit-elle. De plus, ce qui fait l’importance des décisions récentes prises par le gouvernement, c’est plus l’audace qu’elles revêtent, inconnue jusque-là, qu’une quelconque dimension de génie ou d’originalité. Sortir de la sphère du virtuel et intégrer celle du réel et permettre au pays de fonctionner rationnellement, c’est un impératif vital et le gouvernement actuel est en train de mener cette entreprise. Brutalement. Mais c’est là justement l’élément fort de la chose. C’est d’une thérapie de choc qu’il est question. Induite ou provoquée, peu importe. Le plus important est qu’elle prenne.

Une démocratie en devenir

Sur le plan politique, l’Algérie est une démocratie précaire. C’est tout le monde qui le dit. Elle est en devenir. Mais depuis ce qui a été appelé le «printemps arabe», un processus vers une démocratie effective s’est enclenché. Spontanément ou organiquement, peu importe. Des conglomérats politiques se sont mis en place, des alliances se sont tissées et des partis qui faisaient la fine bouche depuis toujours ont, soudain, décidé de se mettre autour d’une table.

Le dialogue politique, même timidement, s’est installé. Les Algériens, qui ont rarement vu des mains de deux adversaires politiques se serrer, ont eu droit à des échanges plus que cordiaux entre des hommes et des femmes politiques de diverses obédiences. Amar Saâdani entouré par les cadres du FFS, Said Sadi embrassant un leader du FIS, Louisa Hanoune défendant Issad Rebrab, etc., sont des images qui ne laissent nullement indifférent. Des personnages nouveaux, essentiellement des généraux, des officiers de l’ANP, investissent la scène politique nationale après avoir passé leur vie dans les rangs de l’armée. Les généraux Yala, Benhadid, Medjahed, les colonels Adimi, Hemlat, Merimeche, etc., sont, à cet égard, des exemples édifiants. La mise à la retraite du «tout-puissant» chef du DRS dégage, elle aussi, une image fort marquante de la fin d’une «époque». Décidément, les images frappent et celles-ci plus car, inhabituelles, elles suscitent des interrogations d’une force telle qu’il est impossible de ne pas songer à ce «changement» qui s’opère en sourdine. Tout ceci sans oublier, bien entendu, l’ouverture du champ audiovisuel qui, malgré les innombrables lacunes, notamment en matière de contenus, constitue un pas énorme en matière de possibilité d’accès à l’information, de pluralité des expressions et de diffusion d’images. Celles-ci re-façonnent les esprits. Dans le domaine de l’économie, divergence idéologique oblige, il y a moins de consensus au sein de la classe politique et le bruit est, par conséquent plus fort. Les attaques sont souvent frontales.

L’introduction des expressions «oligarchie», «mafia politico-financière», «bradage de la souveraineté nationale», etc., dans le jargon politique algérien, les empoignades qu’il y a eu récemment à l’APN lors du vote de la loi de finances 2016, les accusations de trahisons qui fusent de toutes parts… ne laissent aucun doute là-dessus. Néanmoins, le virage effectué au sommet de la pyramide marque une rupture brutale dans les politiques économiques du pays. Confiné jusque-là dans une approche trop socialiste du fait économique, le gouvernement algérien s’est toujours méfié du marché et contenté de gérer la rente pétrolière paisiblement. Des tentatives de mise en place d’une industrie et d’une agriculture prospères ont occupé la part belle de tous les gouvernements qui se sont succédé, y compris du temps du «socialisme spécifique», mais la méfiance de la sphère marchande a toujours pris le dessus. Le discours damait toujours le pion à l’action. Le secteur privé qui, à l’indépendance, était maigre et peu prometteur, était tout le temps menacé d’être phagocyté par le secteur public. C’était le temps de «la psychose des nationalisations». Cette culture économique qui sacralise l’Etat et qui fait de sa présence dans le secteur économique la condition sine qua non de toute survie paralysait l’initiative privée.

Nécessité

Depuis quelque temps, le gouvernement Sellal est en train de faire tomber l’un après l’autre ses réflexes socialisants. Non pas au nom d’une quelconque vision idéologique, mais par nécessité. C’est la fin des maquillages. En effet, la réforme du système des subventions, qui était jusque-là, un sacré tabou pour tout le personnel politique national, y compris ceux qui se réclamaient de la mouvance libérale, est aujourd’hui sur toutes les lèvres. La question des privatisations aussi. Celles-ci étaient plus ou moins acceptées au milieu des années 1990 parce qu’elles étaient imposées par le FMI dans le cadre du Plan d’ajustement structurel. Et encore. Jamais il n’aurait été imaginable que des responsables politiques algériens chantent les vertus de la privatisation des entreprises publiques au vu et au su de tout le monde. Mais l’article 66 de la LF 2016 est sans appel à cet égard: toutes les entreprises publiques qui ne relèvent pas des secteurs déclarés comme stratégiques vont ouvrir leur capital aux investisseurs privés résidents à auteur de 34% avec la possibilité que ceux-ci acquièrent la totalité des actions après 5 ans. Autre mesure de rupture: le gouvernement compte, en application de l’article 37 de la Constitution, aller vers l’ouverture de tous les secteurs au privé national résident. Toujours dans le même sens, une amnistie fiscale qui ne dit pas son nom, se cachant derrière ce qui est appelé la bancarisation de l’argent de l’informel, fait déjà du chemin. D’autres mesures sectorielles qui visent à aider les entreprises sont prises. Peut-on pour autant dire que la machine du «changement» est en branle? Le rêve d’une «économie sociale de marché» est grand et il l’est d’autant plus qu’il est devenu une question de vie ou de mort. Toute cette batterie de décisions prises par le gouvernement est évocatrice d’une prise de conscience indéniable, l’Algérie étant dans l’absolue obligation de rompre avec le populisme d’essence rentière, mais son caractère brutal qui a suscité des résistances farouches dans les milieux de gauche, notamment de la part du PT et du FFS, fait peur à certaines catégories sociales qui commencent déjà à s’agiter pour réclamer des assurances de la part du gouvernement. Ahmed Ouyahia, secrétaire général du RND par intérim, reproche au gouvernement de ne pas avoir expliqué assez ses politiques. En partie, c’est vrai. Toutefois, ces décisions, dont il est attendu comme résultat une sorte de «thérapie de choc», ne sont pas suffisamment «choquantes» pour le moment. Le seront-elles à l’avenir? Seule la continuité du gouvernement actuel qui, pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie, ne s’encombre d’aucun complexe idéologique, nous le dira.