L’organisation de plusieurs marches simultanément à traves le pays par des opposants au 5e mandat, vendredi a mis en évidence le poids des réseaux sociaux dans le paysage politico-médiatique national. Une action lancée et coordonnée uniquement sur
les réseaux a débouché sur une mobilisation populaire sans précédent dans l’histoire politique contemporaine de l’Algérie.
Par Aghilas Sadi et Leïla Zaïmi
De simples messages et commentaires appelant à une marche populaire le 22 février dans toutes les wilayas du pays lancés d’une manière anonyme sur les réseaux sociaux le soir du 10 février ont vite trouvé écho auprès des dizaines de milliers d’internautes algériens.
L’appel a vite fait le tour de facebook, twitter, mais aussi de Youtube. Des personnes connues par leur influence sur la toile n’ont pas tardé à se joindre à l’action. En effet, des chanteurs, des acteurs, des commentateurs sportifs, des journalistes, des hommes politiques et même de jeunes inconnus de la scène ont produit des vidéos, des textes et poèmes pour convaincre les internautes algériens à descendre dans la rue le 22 février après la prière de vendredi.
Les partis politiques et les personnalités nationales ont été les derniers à adhérer à la vague. Et ce n’est qu’à l’approche du rendez-vous que des partis comme le FFS, le RCD, le MSP, le FJD et autres ont réagi en appelant le pouvoir à respecter le droit du peuple algérien de manifester pacifiquement dans les rues des villes de son pays.
La généralisation de l’accès à Internet depuis le lancement de la 3G en fin 2013 et de la 4G en 2016 a permis à des millions d’Algériens de se connecter au monde virtuel et surtout à avoir des comptes, des pages et des chaînes sur les différents réseaux sociaux.
Les statistiques de Facebook montrent qu’en Algérie, il existe environ 21 millions de comptes actifs en 2018. A cela s’ajoutent plus de 100 pages facebook algériennes qui dépassent un million de fans. Ces chiffes témoignent de la pénétration de ce réseau dans la vie des Algériens. Selon toujours les statistiques de facebook, environ 90% des 21 millions d’Algériens inscrits sur la plateforme facebook se connectent via des terminaux mobiles. Autrement dit, ils se connectent avec des Smartphones et des tablettes. La campagne menée contre la marche du 22 février sur les réseaux sociaux par des certaines pages et personnalités dont certaines de l’opposition comme Ghani Mahdi n’ont pas pu stopper les partisans du «changement politique ».
La réduction du débit Internet jeudi soir et durant la journée du vendredi n’a pas non plus empêché la rue de se mobiliser. Les internautes ont trouvé une solution alternative au blocage partiel du facebook. Ils ont rapidement migré vers le réseau social Youtube qui a servi de plan B. Des vidéos en mode direct se comptaient, hier, par dizaines sur le premier réseau social au monde dédié à la vidéo.
Les réseaux sociaux sont aussi une plateforme pour les fake news et la haine
Mais attention, les réseaux sociaux ne sont pas seulement un espace d’expression libre. Cette plateforme numérique la plus populaire au monde est utilisée également pour diffuser des fakes news et des messages haineux. Le secrétaire général du Mouvement populaire algérien Amara Benyounes, est l’une des victimes des fakes news des réseaux sociaux ces derniers jours.
Certaines pages et comptes sur facebook ont diffusé, la semaine dernière, une vidéo qui remonte à l’élection présidentielle de 2014 qu’on a fait passer pour un événement d’actualité. Il aura fallu que le MPA diffuse un communiqué précisant que son secrétaire ne s’est pas déplacé en France pour animer un meeting populaire en faveur de Bouteflika pour que la vidéo en question arrête de circuler.
Sollicité hier sur le rôle des réseaux sociaux comme animateurs de la vie politique et sociale, l’expert Younes Grar a exprimé un point de vue nuancé : « Les réseaux sociaux sont un outil d’information alternatif » aux « médias traditionnels », a-t-il déclaré, expliquant qu’« en l’absence de médias traditionnels, les réseaux sociaux sont d’un secours extraordinaire ».
Sur les marches de vendredi, l’expert a un avis tranché : «Ce n’est pas facebook qui a poussé les gens à sortir manifester. Ce sont les personnes qui décident de sortir ». Il admet cependant que les nouvelles technologies servent à coordonner et aider les individus à bien s’organiser en cas d’initiative collective. « Facebook est un moyen très puissant qui aide à informer un maximum de personnes pour participer ou assister à un mouvement », a-t-il poursuivi. Younes Grar rappelle également que les nouvelles technologies comme beaucoup d’inventions sont « une arme en double tranchant » ; on peut l’utiliser pour défendre une bonne cause, comme on peut l’utiliser pour des intentions délictueuses. »