Dans cet entretien, Faïza Mostefa, qui participera au Salon du livre de Paris du 24 au 27 mars 2017, revient, dans cet entretien, sur son deuxième recueil de nouvelles en langue arabe, El Berrani, paru en Algérie en novembre 2016 aux éditions El Faïrouz.
Dans cet ouvrage, le thème de l’émigration se décline en différentes histoires. Journaliste de profession, elle aborde également ce métier et la manière dont il nourrit son écriture, ainsi que son rapport au réel et ce qui l’inspire.
Reporters : El Berrani est un recueil de nouvelles portant sur le thème de l’émigration-immigration, comment est né cet ouvrage et votre intérêt pour ce thème que vous avez déjà abordé, autrement, dans un précédent recueil ?
Faïza Mostafa : J’ai traité du thème des harraga dans mon premier recueil de nouvelles, Azraq Djareh, publié en 2009, notamment parce que ce phénomène prenait de l’ampleur et ébranlait l’opinion publique algérienne. Ce phénomène est un thème récurrent dans la presse et intéresse également beaucoup les sociologues et l’élite intellectuelle de manière générale. Donc, il était tout à fait naturel que les histoires de ces jeunes qui se jettent dans le cimetière de la mer Méditerranée fuyant leur réalité sociale me touchent et m’interpellent. J’ai essayé de me rapprocher d’eux sur un plan humain, pour mieux saisir leur désarroi. Notre drame est cette envie collective de quitter le pays. Je pense que mon travail, dans mon deuxième recueil de nouvelles, El Berrani, est un prolongement de ce que j’avais abordé dans mon premier ouvrage. A savoir, l’exil et l’immigration. Sur ce dernier ouvrage, j’ai plus traité la dimension humaine de personnes algériennes qui peuvent être considérées, dans une image globale, comme étrangères. Au vu des différences concernant la religion, les ethnies et l’idéologie politique. Le thème principal se décline sous plusieurs aspects historiques. Pour exemples, l’émigration clandestine, les relations France-Algérie et les étrangers installés en Algérie…
Le thème principal se décline sous plusieurs histoires et exemples : émigration clandestine, Français d’Algérie, étrangers installés en Algérie…
Oui, dans ce deuxième recueil, j’essaie de trouver des thèmes et des codes communs entre l’aliénation, l’émigration, l’exil et l’immigration choisie. J’ai sûrement aussi essayé d’aller au-delà de tout cela en me questionnant sur les sentiments de non-appartenance, d’inutilité, tout en cherchant les causes de cet ennui que ressent l’Algérien qui vit dans un pays, où il y a tous les moyens pour devenir un pôle touristique et économique mondial. Cependant, ce même pays est confronté à une vague d’exode. Un exode choisi et contraint par l’Algérien lui-même, contrairement aux décennies précédentes durant lesquels nos pères immigraient pour le travail essentiellement ou contraints à l’exil à cause du système colonial ou du régime de l’époque. Je construis le personnage de l’étranger en puisant dans mon imagination. J’évoque aussi des étrangers qui ont longtemps vécu en Algérie, qui se sont battus pour notre cause durant la guerre de Libération nationale et qui l’ont célébrée dans leurs créations. L’Algérie n’a pu retenir la mémoire des étrangers et les a marginalisés, comme c’est le cas d’Isabelle Eberhardt. J’ai utilisé ses traits et ceux de Michel Foucault de manière surréaliste, comme dans la nouvelle « les Anges de Foucault ». De plus, j’ai été très intéressée par l’histoire des harkis dans la nouvelle intitulée « les Maisons du Soleil », où j’ai imaginé un dialogue entre un harki et le peintre Etienne Dinet, qui a beaucoup aimé la ville de Bou Saâda bien qu’il soit lui-même un étranger. Quant à l’histoire « El Berrani» (l’Etranger) que je considère comme centrale dans ce recueil, elle s’intéresse à la décennie noire qui a vidé l’Algérie de sa diversité humaine et culturelle. J’y raconte comment cette période a eu un impact direct sur le départ de plusieurs communautés étrangères qui a fait émerger un tissu social où chacun, hélas, a développé un sentiment d’étranger.
De manière générale, la Méditerranée est un lieu de rencontre, de croisement, mais si on va dans le détail, la réalité pourrait être autre. Quel est selon vous le rapport à l’autre chez nous ?
Il est vrai qu’on nous a appris à l’école que la Méditerranée est une séparation entre nous et les autres. Un point de rupture historique et culturelle. Or, quand on regarde de près, on réalise que 70% des monuments dans notre pays sont romains, byzantins, turcs et français. L’Algérie est considérée comme le deuxième pays, après Rome, qui comporte le plus de ruines et de monuments romains. D’un point de vue commercial, ses importations et exportations sont concentrées essentiellement en Europe. Nos jeunes tentent la traversée clandestinement vers la rive Nord de la Méditerranée. Je considère que la Méditerranée est un lien géographique qui rassemble nos deux rives et nos peuples ; et que la mer n’est pas une réelle séparation entre le Nord et le Sud. Celle-ci nous relie, nous mélange et fusionne les populations et enrichit les cultures. C’est pour cela, peut-être, que je suis très inspirée par les œuvres littéraires et artistiques françaises, espagnoles et italiennes… car je perçois beaucoup de similitudes et concordances entre notre histoire et nos civilisations. A présent, le temps est venu de renforcer nos liens. La culture peut apporter des solutions pour rassembler les peuples là où les politiciens ne sont pas forcément les meilleurs ambassadeurs. Je pense que les artistes et les écrivains algériens ont une chance en plus, car la géographie du pays est le pont entre l’Orient et l’Occident dans la culture arabe. En général, l’édition arabe et sa traduction en Europe sont très présentes.
A la lumière de votre travail sur cette question d’immigration/émigration, comment se définit la notion de l’espace ?
Immigration, exil renvoient au même thème. Mais il y a une importante nuance et spécificité entre ces deux mots. La définition de «immigration» a quelque peu évolué. Au siècle dernier, on était forcé de quitter son pays pour des raisons politiques ou économiques. Or, aujourd’hui, la plupart des émigrés font le choix de quitter leur pays pour de meilleures perspectives de vie et d’avenir. La révolution numérique a largement favorisé les possibilités de communication entre nations et surtout, c’est une fenêtre sur le monde. On retrouve de plus en plus d’Européens et d’Américains qui s’installent dans les pays du Golfe et les Arabes y constituent une mosaïque de différentes communautés. Mais, le plus douloureux et difficile est d’être un réfugié. Malheureusement, durant ces cinq dernières années, le monde a connu une vague d’exode sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale. On le voit, la plupart de ces réfugiés sont des Syriens et des Irakiens. Ils inspireront très certainement de nombreux travaux littéraires et artistiques dans l’avenir.
Vous êtes journaliste de métier, comment ce dernier nourrit-il votre écriture ?
C’est sûr, le métier de journaliste nous offre la possibilité de rencontrer un grand nombre de personnes, de tous bords et de différentes classes sociales. Le plus important est que ce métier nous confronte à des situations humaines profondes, inspirantes, étranges. Par exemple, lorsque j’ai travaillé sur le dossier des réfugiés en France, la plupart d’entre eux ayant fui des zones de conflit au Moyen-Orient, j’ai été très touchée, bouleversée, par leurs histoires. Parfois, il est difficile de trouver les mots pour en rendre compte tant leur situation est douloureuse. J’ai aussi assisté à des spectacles artistiques fascinants où parfois on a besoin d’un poète pour décrire la splendeur et la beauté qu’on voit. Ces situations ne peuvent inspirer un auteur que s’il porte en lui une personnalité de journaliste. D’un autre côté, le journaliste a besoin de se débarrasser de sa subjectivité pour écrire les faits et rapporter l’information, alors que l’écrivain se nourrit d’imagination et d’émotion. Ce n’est pas important pour un créateur de raconter des choses qu’il a vraiment vécues, les personnages d’un roman ou d’une nouvelle ne doivent pas obligatoirement exister dans la vraie vie. Honnêtement, je crois, selon ma propre expérience, que le journalisme tue l’esprit de créativité de l’écrivain, en raison du temps limité dont dispose le journaliste et la force de l’image et de l’information qu’il rapporte. L’image sera plus forte que n’importe quel texte qu’il pourra écrire. Est-ce que n’importe quel auteur peut décrire, avec la même force qu’une caméra, l’oppression du Palestinien et la violence qu’on lui inflige ? Nous sommes dans une ère de l’image et du son, et l’écrivain doit pouvoir vaincre, utiliser sa force en créant une langue qui n’a pas encore été écrite.
Jusqu’à quel point votre vécu influence-t-il votre écriture ?
On peut évoquer des éléments de notre vie personnelle quand on écrit, par exemple, des histoires vraies qu’on a entendues, des légendes et des contes qu’on nous a racontés, ou des événements que des proches ont vécus. Mais cela ne signifie pas que le travail est une biographie de l’auteur. La mission de l’écrivain est d’imaginer des histoires qui peuvent croiser la réalité. Ce rôle est d’autant plus important pour la femme écrivain dans les sociétés arabes fermées, dont les membres lisent peu et ne peuvent s’empêcher de porter des jugements sur la femme qui créé, qu’elle soit peintre, écrivain, cinéaste, et qui elle-même s’autocensure évitant ainsi d’écrire sur des thèmes considérés comme interdits ou tabous. Il existe tout de même des femmes qui ont osé briser cette barrière de la peur et du silence. Personnellement, je considère que les œuvres réussies et exceptionnelles sont celles qui sont imaginées par un créateur qui a eu des expériences humaines profondes, une vie pleine et une culture vaste.
Beaucoup de gens souhaitent écrire mais ne franchissent jamais le pas. Vous l’avez fait. Quel a été le déclic ?
L’écriture, et plus généralement la créativité, est un don. De mon point de vue, on naît avec, on ne l’acquiert pas. Même s’il existe de nombreux ateliers d’écriture aux Etats-Unis, je crois que les participants qui réussissent sont ceux qui ont la capacité de raconter, de décrire, de créer une trame. Je pourrais comparer cela aux Instituts de lettres qui ne transforment pas leurs diplômés en écrivains, forcément. Au même titre, quelqu’un qui étudie le journalisme ne deviendra pas nécessairement journaliste ou grand reporter. On découvre son don lorsqu’on est enfant, on sent qu’on regarde les choses normales de manière anormale, comme disait le poète Nizar Qabbani. Par exemple, petite, j’imaginais les nuages blancs comme des tableaux et des images contrairement à mes amis. Je me rappelle aussi qu’au CEM, j’avais écrit une rédaction et aucun de mes camarades n’a cru qu’elle était de moi. Je me suis toujours sentie différente et cela me dérangeait. Plus tard, j’ai compris que mon regard sur le monde était différent. J’ai dans la tête beaucoup d’histoires qui se construisent et évoluent ; elles me poussent à les écrire pour que d’autres les lisent… peut-être que ce sont des histoires qui se sont vraiment déroulées dans d’autres lieux, à d’autres époques.