Farouk Belkaïd à Derby: «Le milieu du football est pourri, je raccroche»

Farouk Belkaïd à Derby: «Le milieu du football est pourri, je raccroche»

C’est d’ailleurs lui-même qui nous révèle dans cet entretien qu’il maintient toujours sa décision de raccrocher les crampons, en dépit des pressions qu’il subit de la part de ses dirigeants à l’Entente ainsi que de sa famille.

A 35 ans bientôt, l’ancien joueur de la JSK, de l’USMA et du MCA se dit « fatigué » par tout ce qui se passe dans le milieu du football algérien, et c’est là la principale raison qui le pousse à camper sur sa décision de partir à la retraite, bien que ses jambes « tiennent toujours », pour reprendre ses propos.

En attendant de trancher définitivement sur la question, il a bien voulu revenir avec nous sur son parcours dans le monde du football, qu’il a débuté très jeune en signant à la JSK à l’âge de 19 ans en provenance de la JSBM. Il évoque ainsi les moments de joie, et aussi de peine, qu’il a vécus pendant toutes ces années.

Il n’hésite pas, en outre, à conseiller à ses deux coéquipiers à l’ESS, Djabou et Aoudia, d’embrasser une carrière professionnelle à l’étranger, c’est-à-dire là où il avait échoué lorsqu’il était au sommet de son art, car, dit-il, les deux vedettes de l’Aigle noir n’ont plus rien à prouver dans le championnat algérien.

Vous devez être un homme comblé en terminant la saison avec un doublé…

Et comment ne pas l’être ! Un tel exploit n’arrive pas tous les jours, surtout pour un joueur qui est en fin de carrière. Evidemment, je ne souhaitais pas un meilleur scénario que celui-ci pour raccrocher les crampons après plusieurs années passées sur les terrains algériens.

Le mérite revient à tous les joueurs, entraîneurs, dirigeants et supporters de l’ESS qui ont fait d’énormes sacrifices pour réaliser un doublé historique que le club n’a plus réussi depuis 44 ans. Ce qui donne encore de la valeur pour les deux titres qu’on vient de s’adjuger.

Pourtant, lors de l’intersaison, personne ne donnait cher de votre peau, notamment après le départ massif des joueurs…

C’est vrai, plusieurs joueurs avec lesquels j’avais passé de très bons moments, avaient choisi de changer d’air durant l’intersaison. On a joué ensemble pour au moins trois saisons, durant lesquelles nous avions connu des moments de gloire. Mais la vie d’un joueur est ainsi faite, on ne peut pas rester dans un même club pour l’éternité.

Certes, tout le monde avait craint le pire pou nous cette saison, notamment après un départ des plus difficiles en championnat, mais on a réussi par la suite de se racheter avec les résultats que tout le monde connaît.

Il y a aussi la venue de l’entraîneur suisse, Alain Geiger, qui vous a complètement métamorphosé…

Exact. La preuve, depuis sa venue à partir de la quatrième journée, l’équipe n’a pas cessé d’enchaîner les bons résultats pour passer du bas du tableau à la première place. C’est un entraîneur qui avait fait ses preuves lors de son passage à la JSK où il avait réussi à mener l’équipe jusqu’aux demi-finales de la Ligue des champions d’Afrique, ce qui n’est pas une mince affaire.

Le parcours qu’il vient de réaliser avec l’ESS prouve, si besoin est, qu’il est un technicien de haut niveau, et, franchement, on a vraiment de la chance d’avoir travaillé sous sa coupe, car il est pour beaucoup dans ce doublé.

Quelle est sa principale qualité?

La communication. C’est quelqu’un qui sait très bien communiquer avec ses joueurs. Il accorde un intérêt particulier au volet psychologique, et c’est grâce justement à sa manière gérer le groupe qu’on a pu faire face aux turbulences qui ont secoué le club durant toute la saison pour des raisons financières.

Et ce sont les mêmes raisons qui vous ont certainement privé d’un bon parcours en coupe de la CAF…

Oui, d’autant plus qu’avant le match retour du premier tour, nous avions traversé des moments très difficiles suite à un mouvement de grève des joueurs. Malgré cela, nous étions tout proches de la qualification, n’était le but encaissé dans les ultimes minutes de la partie, alors que nous détenions le fameux sésame entre les mains.

Personnellement, n’avez-vous pas craint le pari de rester au sein d’un club qui a vu l’arrivée de plusieurs joueurs de divisions inférieures, sachant que vous étiez annoncé du côté du MCA ?

Je ne vous cache pas que j’étais très emballé par l’idée de revenir au MCA, dont les dirigeants étaient en contacts avancés avec moi, notamment après avoir engagé mon ami Chaouchi. Mais ça n’a pas marché en dernier lieu pour des raisons financières. Croyez-moi, si j’avais songé à un départ de l’ESS, c’est pour des raisons purement familiales, car je voulais me rapprocher de ma famille, et cela n’avait rien à voir avec les changements intervenus au sein de notre effectif.

Et comment avez-vous décidé de rempiler?

Le discours que m’avaient tenu les dirigeants m’a convaincu. Et puis, je voue un respect particulier à Serrar et Hamar, et je ne pouvais pas leur tourner le dos lorsqu’ils m’ont sollicité pour les aider à reconstruire une équipe compétitive. C’était là l’objectif principal assigné par la direction du club, mais au fil de la saison, on s’était rendu compte qu’on avait un bon coup à jouer, que ce soit en championnat ou en Coupe d’Algérie, et on ne s’est pas trompé.

En vous retrouvant parmi les rares anciens joueurs de l’ESS à encadrer le nouveau groupe mis en place, n’avez-vous pas senti une certaine pression sur les épaules?

Croyez-moi que non. Je savais dès le départ que ma responsabilité, en compagnie des autres anciens cadres qui ont décidé de rester dans l’équipe, à l’image de Diss, Delhoum et Benchadi, que notre responsabilité allait être énorme. Malgré cela, j’ai accepté le pari car j’avais confiance en le nouveau groupe.

Dieu merci, on avait la chance d’avoir à faire à de jeunes joueurs de bonne famille et qui sont réceptifs à notre discours. Même des joueurs comme Djabou, que tout le monde considère comme le « chouchou » des supporters, est toujours attentif quand il s’agit de lui donner des conseils.

C’est peut-être cet état d’esprit qui vous a permis de gagner ce doublé historique…

C’est certain. Et puis, pratiquement tous les joueurs étaient assoiffés de titres. Ces jeunes qui nous ont rejoint de paliers inférieurs avaient de grandes ambitions de gagner des titres avec l’ESS, et ils sont récompensés par ce doublé qu’ils n’auraient peut-être jamais imaginé.

Mais, à un certain moment, vos supporters avaient craint le pire pour vous  en championnat, notamment en récoltant un seul point en quatre matches, alors que l’exercice tirait à sa fin, au moment où l’USMA, qui était votre concurrent principal, enchaînait les bons résultats…

C’est vrai, l’enchaînement des rencontres nous a vraiment usés, mais notre victoire en finale de la Coupe d’Algérie nous a donné un grand appui sur le plan moral. Nous avons plus que jamais cru en notre belle étoile, et nous nous sommes engagés à tout faire afin d’ajouter le titre de champion à celui de la Coupe pour que la joie de tous les Sétifiens soit totale.

En parlant de la finale de la Coupe d’Algérie, vous avez également brillé par un second souffle lors des prolongations, alors qu’une autre équipe à votre place aurait craqué en encaissant le but égalisateur dans les ultimes minutes de la partie…

Oui, j’avoue que ce but égalisateur du CRB nous a scié les jambes, mais on s’était beaucoup parlé avant d’entamer les prolongations, et on s’est encouragé pour relever la tête. Personnellement, je n’ai pas cessé de booster mes coéquipiers en leur rappelant qu’ils étaient face à un rendez-vous historique qui pourrait ne pas se reproduire dans leur carrière.

Ce n’est pas tous les jours qu’ils ont cette occasion de recevoir la Coupe d’Algérie des mains du président de la République. Ce discours a donné ses fruits, puisqu’on est revenus en force dans les prolongations, à l’image de Benmoussa qui a été tout simplement époustouflant et qui a continué à courir jusqu’au coup de sifflet final de l’arbitre. Ça été vraiment un moment fabuleux.

C’est aussi votre troisième Coupe d’Algérie sur le plan personnel, après avoir perdu trois finales avec la JSK et l’USMA…

Oui. Je suis très fier d’avoir gagné trois Coupes d’Algérie, des trophées qui ont une saveur particulière. Je suis quelque peu chanceux, car beaucoup de grands joueurs n’ont pas réussi un tel exploit. Pourtant, après avoir perdu trois finales consécutives, j’étais quelque peu démoralisé. Je me suis même dit que jamais je vais gagner ce trophée. Je pense notamment à ma finale perdue contre le MCA en 2006, alors que je portais les couleurs de l’USMA. Cet échec m’avait vraiment fait mal, d’autant plus qu’on disposait d’un bon groupe.

La saison suivante, vous aviez remporté votre première Coupe d’Algérie, et le hasard a voulu que ce soit sous les couleurs du MCA et face à l’USMA que vous veniez de quitter…

Exact. J’avoue qu’avant la finale, j’avais beaucoup d’appréhensions. Je craignais tout simplement que le mauvais sort me poursuive, mais, Dieu merci, tout s’était bien passé pour nous et nous avons gagné grâce à un très joli but de Fodhil Hadjadj. Ça reste aussi l’un de mes meilleurs souvenirs dans ma carrière footballistique.

En parlant de votre carrière, vous êtes l’un des rares joueurs a avoir porté les couleurs de quatre grands clubs : la JSK, l’USMA, le MCA et l’ESS…

Oui, et c’est un grand honneur pour moi d’avoir joué pour ces quatre clubs qui ne sont pas à présenter sur les scènes nationale et africaine, c’est une autre fierté pour moi.

Quel est le club qui vous a marqué le plus parmi ces quatre là ?

Evidemment, la JSK où j’ai passé plus de sept ans. C’est aussi dans ce club que je me suis fait un nom, et gagné mes premiers titres. C’est grâce à la JSK aussi que j’ai eu l’insigne honneur de porter les couleurs de la sélection de mon pays. J’étais très jeune, et malgré cela, on m’avait donné ma chance pour m’imposer au sein de l’équipe première.

C’est peut-être la raison pour laquelle votre départ vers l’USMA avait surpris plus d’un à la JSK, en particulier le président Moh-Chérif Hannachi qui n’a pas apprécié votre comportement à l’époque. Peut-on connaître les raisons qui vous ont poussé à quitter les Canaris ?

Il n’y avait pas de raison précise, sauf que j’avais envie de jouer pour l’USMA. J’avais besoin de changer d’air pour connaître d’autres sensations et l’offre de l’USMA à l’époque était tombée à point nommé.

J’ai compris toutefois la colère  de Hannachi, qui reste pour moi un président exemplaire, car il a beaucoup donné à la JSK. J’ai quitté les Canaris tout en n’ayant aucun regret, car j’ai tout donné dans ce club sans avoir triché la moindre fois.

Et quelles sont vos relations avec Hannachi aujourd’hui ?

Elles sont toujours amicales, et on se salue et on discute ensemble à chaque fois que l’occasion se présente.

Quel commentaire faites-vous sur la saison difficile qu’il vient de passer à la JSK ?

Croyez-moi, ce qui se passe à la JSK me fait mal au cœur. C’est un club qui m’est très cher, et je ne souhaitais pas qu’il fasse l’objet d’une guerre de tranchée sans merci.

Qu’on le veuille ou non, Hannachi a servi la JSK pendant de longues années, et ce n’est certainement pas de cette manière qu’il doit être récompensé. Ceci dit, je souhaite de tout cœur que la stabilité revienne dans ce club où, personnellement, j’ai passé des moments inoubliables grâce à l’esprit familial qui y régnait et qui faisait d’ailleurs notre force.

Lorsque vous étiez à la JSK, vous aviez failli décrocher un contrat professionnel à Auxerre…

Exact. A l’époque, j’étais en pleine forme et c’était pour moi l’occasion ou jamais d’embrasser une carrière professionnelle en Europe, mais comme j’étais toujours lié à la JSK, je n’avais pas mon destin entre les mains.

C’est le président Hannachi qui avait pris le dossier en charge et, au jour d’aujourd’hui, je ne sais toujours pas ce qui s’était passé exactement, d’autant plus que je me voyais bien opter pour ce club, puisque tout plaidait pour que je signe mon contrat sans même passer par des tests. Malheureusement, tout était tombé à l’eau.

Vous donnez l’impression d’avoir regretté l’échec de ce transfert…

Bien sûr. Tout joueur souhaite embrasser une carrière professionnelle en Europe, car elle est bénéfique pour lui sur le double plan sportif et financier. Bref, c’est du passé et, en tant que musulman, je me devrais d’accepter mon destin.

Le destin a voulu également que vous ne fassiez pas une grande carrière en Equipe nationale malgré le fait que vous étiez l’un des meilleurs joueurs du championnat…

Oui. C’est mon deuxième regret dans ma carrière de joueur, même si j’ai fait quelques apparitions sous les couleurs de la sélection nationale. Il faut avouer qu’à l’époque, la concurrence était très rude au milieu de terrain, avec la présence de grands joueurs comme Benarbia, Dziri et Meftah, pour ne citer que ceux là.

Vous avez laissé entendre après la finale de la Coupe d’Algérie que vous aviez l’intention de raccrocher les crampons à l’issue de cette saison. Maintenez-vous toujours cette décision ?

Oui. Au jour d’aujourd’hui, je suis toujours décidé à ne pas revenir sur les terrains de football. Pour être franc, rien ne m’encourage à poursuivre ma carrière de joueur, tant le milieu du football en Algérie devient de plus en plus pourri. J’ai eu la chance de gagner un doublé cette saison et je veux bien raccrocher en beauté, même si les dirigeants de l’ESS m’ont demandé de rester pour au moins une autre saison. Idem pour ma famille qui m’encourage aussi à jouer encore, mais j’avoue qu’il m’est très difficile de revenir sur ma décision.

Cela n’a donc rien à voir avec votre âge, sachant que vous allez bientôt faire 35 ans…

Non, ça n’a rien à voir avec ma forme physique, car sur ce plan là, croyez-moi, mes jambes tiennent toujours, et pour preuve, j’ai joué pratiquement toutes les rencontres de mon équipe cette saison en tant que titulaire. Mieux, je vais vous faire une confession : dans les tests physiques que nous fait le staff technique de l’ESS, je me classe toujours à la deuxième place. Vous voyez, même si j’aurais bientôt 35 ans, je suis toujours apte à jouer.

Cette décision n’a-t-elle pas un rapport avec ce que vous aviez vécu dernièrement à l’ESS, quand certains vous ont accusé de tricheur après le match de championnat perdu à domicile contre le CRB ?

Ce qui a été dit à mon propos dans ce registre me conforte dans ma conviction que le milieu du football algérien est malsain. C’est vraiment absurde d’entendre certains avancer que j’avais combiné le match contre le CRB, tentant par tous les moyens de faire de moi un bouc émissaire. Heureusement qu’il s’agit d’une minorité de gens, car les vrais supporters de l’ESS, et avec lesquels j’entretiens de très bons rapports, savent très bien que je ne mange pas de ce pain-là.

On a parlé de votre carrière ratée en Equipe nationale. Que pensez-vous de la décision de Antar Yahia, Belhadj et Matmour  de mettre un terme à leur carrière avec les Verts ?

Bien qu’il s’agisse de décisions personnelles, je ne suis pas d’accord avec eux, d’autant plus qu’ils ont choisi le mauvais moment pour annoncer leur retrait de l’Equipe nationale, alors que cette dernière s’apprête à disputer des matches décisifs dans le cadre des qualifications à la CAN-2013 et la Coupe du monde 2014. Cela dit, j’espère que l’entraîneur national trouvera les solutions pour faire face à ces défections.

D’aucuns pensent que l’occasion est propice pour les joueurs locaux de s’imposer au sein des Verts après avoir été marginalisés pendant de longues années. Etes-vous du même avis ?

Effectivement, il y a de très bons joueurs dans notre championnat qui n’ont besoin que d’être mis en confiance pour étaler toutes leurs qualités. Je peux citer, à titre d’exemple, Djabou, Aoudia et Benmoussa, puisqu’ils sont trois joueurs qui évoluent avec moi à l’ESS et que je connais assez bien.

La prestation d’Aoudia lors du match de la Gambie conforte mes dires puisque, ce jour-là, il avait réussi un match de premier ordre de l’avis même de l’entraîneur national, Vahid Halilhodzic, qui l’a félicité à l’issue de la rencontre. Il a ainsi prouvé que le joueur local est capable lui aussi de faire de belles choses en Equipe nationale si on lui fait confiance.

Justement, c’est cette confiance que réclament beaucoup d’observateurs pour Djabou en Equipe nationale. Un commentaire ?

Djabou est un joueur pétri de qualités. Il a été d’ailleurs pour beaucoup dans le doublé de l’ESS cette saison. Malheureusement, il attend toujours sa chance en sélection. Je pense que le moment est venu pour que le joueur soit mis en confiance et je suis persuadé qu’il saura jouer son rôle de moteur de l’équipe.

On parle de plus en plus de son transfert à l’étranger…

C’est la meilleure décision qu’il devrait prendre. Je pense qu’il n’a plus rien à prouver ici en Algérie. Mieux vaut pour lui donc d’opter pour une carrière professionnelle. Idem pour Aoudia, qui m’est très proche d’ailleurs, et qui me confie à chaque fois qu’il ambitionne de décrocher un contrat professionnel en Europe, et ma foi, il le mérite bien.

Pour terminer, d’aucuns se demandent comment vous avez réussi à vous reconvertir de joueur de milieu de terrain en libéro ?

C’est simple. Quand on avait Ali Mechiche comme entraîneur, il m’avait demandé de jouer comme libéro pour pallier les absences enregistrées dans ce secteur de la défense. J’ai tout de suite accepté et je m’en étais bien sorti. Et depuis, je me suis retrouvé dans ce poste et même le président Serrar m’a encouragé à jouer comme libéro. Vous savez, je n’ai pas trouvé beaucoup de difficultés pour m’y adapter. Je peux confier aussi que je me suis inspiré du style de jeu de l’ancien défenseur central de la JSK, Rachid Adghigh, de qui j’ai beaucoup appris lors des saisons qu’on avait passées ensemble.