Le Forum des chefs d’entreprises « évolue ». De simple association patronale, le FCE est en passe de devenir un syndicat.La réélection d’Ali Haddad à la tête de l’organisation patronale, lors d’une Assemblée générale, ayant pris les allures de grand-messe, était l’occasion idéale pour annoncer une transformation, devenue le point d’orgue de l’action du patron des patrons. Il en fera personnellement l’annonce, lors de l’allocution ayant suivi son plébiscite. « Le FCE a constitué un dossier pour se convertir en organisation syndicale des chefs d’entreprises. Nous avons pratiquement tout finalisé. Il nous reste encore une ou deux rencontres avec le ministre du Travail et nous deviendrons une organisation syndicale des patrons », indiquera-t-il. Et au ministre du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, M. Mourad Zemali de confirmer lors des travaux de l’AGE que « le Forum sera, dans les jours à venir, agrée en tant que syndicat patronal. » Une sortie orchestrée au millimètre grâce à laquelle le Forum a tout de suite donné toute la dimension politique de l’évènement. Pourquoi le FCE ressent-il le besoin de devenir un syndicat des patrons ? Serait-ce une étape naturelle dans l’évolution d’une organisation patronale ? Est-ce le reflet de la volonté du Forum de légitimer son action dans la formulation des politiques économiques du pays, ou plutôt l’intention de se substituer à l’ensemble des organisations patronales et de fermer le jeu ? Serait-ce surtout liés au contexte de transition politique et qui fait craindre aux « ténors » du FCE une future extinction de leur influence ? Du côté du Forum on assume parfaitement cette transformation. Salah Abdessemed explique que la transformation du FCE n’est le fruit d’une conjoncture mais que celle-ci a été initiée, il y a de cela 4 ans à l’arrivée de Ali Haddad à la tête de l’organisation. « La réflexion sur la possibilité de se transformer en syndicat ne date pas d’aujourd’hui. Le FCE a été créé en 2000 et la question a depuis été débattue à plusieurs. Mais la proposition s’est opposée au « Non » de la majorité des membres, mais en 2015 les choses ont changé. Dès l’élection de M. Haddad, l’élargissement de la représentativité a été assigné comme objectif. De 400 membres le FCE compte aujourd’hui 7.000 entreprises », indique M. Abdessemed qui ajoute que cet élargissement s’est illustré non seulement par le nombre d’entreprises ayant adhéré au FCE, mais aussi en termes de secteurs couverts par les 27 commissions sectorielles, et de catégories grâce à Jil FCE, et l’entrepreneuriat Féminin. Le Vice-Président du Forum ajoute, que les structures du FCE ont changé avec la création de délégations de wilayas. Selon lui c’est ce qui a motivé d’amorcer un processus de transformation, et la création d’une task force en ce sens, avant que les nouveaux statuts ne soient adoptés en 2017. Pour M. Abdessemed, le FCE tire sa légitimité de cette représentativité qui lui permet d’avoir de « l’agilité », dans ses propositions. Des motifs qui peuvent paraître au premier regard légitimes, si ce n’est le contexte dans lequel ce processus a été initié et la conjoncture dans laquelle il a été finalisé. Ce qui sème le doute quant aux visées de cette reconversion en syndicat des patrons. Dès 2014, le FCE avait commencé à se déployer en annonçant chacune de ses actions avec fracas. A cette époque certains chefs d’entreprises, s’expliquaient ce zèle par le fait que les réseaux d’affaires tenaient là leur dernière chance de s’assurer définitivement le bénéfice de la rente et d’asseoir, une fois pour toute, leur influence. Le président du FCE, Ali Haddad, agissait d’ailleurs s’il appartenait aux appareils du système. S’imposant en audience auprès des ministres, recevant à tour de bras ambassadeurs, délégations étrangères et même le candidat Macron aux présidentielles françaises. Il s’agissait alors de s’immiscer dans les circuits de la décision économique. A telle enseigne que certaines dispositions des lois de finances portent l’empreinte du FCE. Le Forum n’a eu de cesse aussi, de vampiriser les réseaux des chambres de commerce, alors principal partenaire du gouvernement dans la formulation des politiques économiques. L’élection d’un vice-président du FCE, en la personne de Mohamed Laid Benamor à la tête de la Caci, suivie de l’éviction d’un DG qui ne se montrait pas coopératif, entrait en droite ligne de cette stratégie. L’élection de présidents de chambres de commerce régionales à la tête des délégations de wilaya du FCE a finalisé le processus d’absorption des réseaux de la Caci. Mais cette recherche de légitimité prend tout son sens aujourd’hui dans un contexte de transition politique dont les contours demeurent flous. Le report sine die du Next Economy Summit que le Forum prévoyait d’organiser début décembre à Alger, serait selon certains l’un des symptômes des craintes que l’organisation commence à avoir sur son devenir. La perspective de redevenir « un think thank élitiste » n’enchante guère les responsables du FCE. Pour Salah Abdessemed le FCE qui a été créé en 2000, bénéficie « d’un ancrage ». Les critiques « ne nous font pas peur. On va avancer », assume-t-il. Pour lui, le véritable enjeu réside dans le fait d’avoir « une économie forte. Un objectif qui ne peut se réaliser que par les entreprises, notamment privées » et de se dire « convaincu » du fait que « le rôle du FCE et du patronat sera capital durant les prochaines années ». Celui-ci se défend de toute velléité du FCE à fermer le jeu estimant que grâce à son ancrage « le Forum a contribué à la création de nombreuses organisations patronales et de chambres de commerce qui se sont constitués autour des membres fondateurs du FCE ». Et d’ajouter que le FCE qui siégeait jusque là à la tripartite en tant que membre observateur, était « un syndicat sans officiellement l’être ». Pour lui il est temps pour le Forum de « jouer son rôle de représentant du patronat ». L’organisation patronale se place donc dans une position plus revendicative et se légitime comme seule représentante légale du patronat. L’intention de conserver son poids sur la formulation des politiques économiques est claire, quoi que. Pour un observateur du marché algérien, dans ce contexte de transition politique, il ne s’agit pas pour le FCE de peser sur l’avenir mais de sauvegarder le passif, et préserver les privilèges et les acquis passés.n
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