Alors que le débat faisait rage autour des dispositifs de la Loi de finances 2016 et que les médias étaient plus enclins à suivre le feuilleton des polémiques violentes de « basse politique » et les batailles des déclarations et de répliques, le président de la République surprend les observateurs par une énième annonce concernant la révision de la Constitution.
Il présida ainsi, il y a deux jours, un Conseil restreint consacré à l’examen de l’avant-projet de révision, signe que la finalisation du projet est arrivée à maturité et que la dernière étape de son adoption est imminente.
Un conseil restreint qui a regroupé pratiquement tous les hommes forts du moment, de Abdelmalek Sellal, Premier ministre et Gaïd Salah, général de corps d’Armée, vice-ministre de la Défense nationale et chef d’Etat-major de l’ANP à Ahmed Ouyahia, ministre d’Etat et directeur de cabinet de la Présidence, en passant par Tayeb Louh, ministre de la Justice et Garde des Sceaux et les autres conseillers du président Abdelaziz Bouteflika, comme Tayeb Belaiz ou Boualem Bessaieh. Bien que le communiqué officiel précise que d’autres rencontres de ce genre auront lieu prochainement, il semble bien que le projet est déjà « consommé » pour reprendre les propos d’un chef de parti.
En effet, depuis presque deux ans, des consultations ont été engagées par des proches de Bouteflika avec des acteurs politiques, associatifs et de l’élite universitaire.
Des consultations qui ont touché plus de 150 partenaires, des personnalités de divers horizons, des personnages consensuels ou conformistes aux plus controversés comme le chef intégriste de l’AIS, l’ancien bras armé du FIS dissous.
Une révision que Bouteflika ne cesse depuis son premier mandat de revendiquer. Il avait l’opportunité de la faire en profondeur, lorsqu’il annonça dans un célèbre discours au siège du MDN en juillet 2005 le lancement de cette révision de la Constitution, allant jusqu’à préciser que cela pourrait avoir lieu avant la fin de l’année.
Le projet ni cette année-là ni après même si, en 2008, Boutflika procéda à quelques réaménagements, notamment le fameux article qui limitait le nombre des mandats présidentiels.
Alors qu’au début de la déferlante des révoltes arabes, en 2011, les observateurs s’attendaient à ce que Bouteflika plie l’échine et accepte enfin cette révision, il changea d’optique en lançant d’abord des réformes politiques, se contentant du dialogue qu’il a initié à travers la commission Bensalah.
« Il a mis la charrue avant les bœufs ! », critiquèrent les chefs des partis de l’opposition, qui insistèrent sur le fait que c’est la Loi fondamentale qui devrait être la locomotive des réformes politiques et sociales. Cependant, comme pour rectifier le tir et tenter d’apaiser les tensions, Bouteflika a décidé, dès son intronisation pour un quatrième mandat en 2014, de relancer ce chantier.
Un chantier qui s’éternisa encore davantage avant qu’un message de sa part vienne éclaircir l’atmosphère. C’était à l’occasion de la célébration du 61e anniversaire du déclenchement de la Révolution de novembre 1954, soit un mois et demi.
Un message dans lequel il affirma que cette révision « vise à garantir les libertés et instaurer une démocratie plus apaisée dans tous les domaines », indiquant que des « réalisations restent à consolider ou parachever, y compris dans les domaines politiques et de la gouvernance, et le projet de révision se projette dans cette direction ».
D’ailleurs, pour la première fois, Bouteflika donna des indications sur cette révision, en soulignant qu’elle aspire « à consolider l’unité nationale autour de notre histoire et de nos valeurs spirituelles et civilisationnelles » et promouvoir « la place et le rôle de la jeunesse face aux défis du millénaire ».
Bien plus, il évoqua surtout la consécration des libertés des citoyens, les droits et leur respect ainsi que la séparation des pouvoirs, allant jusqu’à parler de la dotation de l’opposition parlementaire de moyens d’assumer leurs rôles, comme la saisine du Conseil constitutionnel.
C’est surtout à travers ce message que Bouteflika avait mis un point d’honneur à satisfaire l’une des revendications essentielles de l’opposition, notamment la coordination nationale des libertés et pour la transition démocratique, en évoquant la mise en place d’un mécanisme indépendant de surveillance des élections, comme garantie constitutionnelle de contrôle de l’exercice démocratique.
Reste maintenant à savoir pourquoi le chef de l’Etat a mis du retard et reporté ce chantier à plusieurs reprises. Est-ce à cause d’une opposition frontale au plus haut sommet de l’Etat, comme le suggèrent certains analystes ?
Faut-il y voir que la guerre des clans qui se déroulait depuis des mois était beaucoup plus motivée par l’absence d’un consensus ? Faut-il y voir que ce chantier s’est enfin libéré avec le départ du général Toufik et l’entame de la restructuration du DRS ? Et que maintenant rien ne pourra ni le bloquer ni le geler ?