C’était spectaculaire ! D’un seul regard, on pouvait embrasser deux millénaires de l’histoire d’Alger », raconte, la voix empreinte d’émotion, l’archéologue Kamel Stiti en se remémorant la découverte en 2009 de vestiges en plein cœur de la capitale algérienne.
L’histoire de la plus importante découverte archéologique d’Algérie a commencé avec des sondages exploratoires sur le tracé du métro d’Alger.
Ces trouvailles ont ensuite mené à des fouilles, lancées en 2013, qui ont permis d’exhumer des vestiges s’étendant de l’ère romaine — à la fin du Ier siècle avant J.-C., quand Alger s’appelait Icosium — à celle de la colonisation française, en passant par les époques byzantine et ottomane.
Un édifice public pavé de mosaïques du Ve siècle et une vaste nécropole byzantine du VIIe siècle renfermant plusieurs dizaines de tombes ont ainsi émergé de ce chantier de 3000 mètres carrés.
Un grand nombre de vestiges et de matériaux, souvent fragmentés, ont été récupérés, notamment un ensemble de 385 pièces de monnaies (des réaux, monnaies royales) et des outils de défense comme des « boules catapultiques ».
Dans cette stratification de l’histoire, des parties de la mosquée Es Sayida, construite par les Ottomans, ont également été découvertes. Cette mosquée avait été rasée en 1831, au tout début de la colonisation française, afin, selon l’archéologue, de réaliser une grande place: la place du Roi, devenue ultérieurement place du Gouvernement, et rebaptisée place des Martyrs après l’indépendance du pays en 1962.
L’Algérie recèle des ruines romaines (en plein air) qui comptent parmi les plus importantes au monde, mais beaucoup pensaient qu’il ne subsistait rien de ces temps lointains à Alger même, assure le codirecteur des fouilles, M. Stiti.
Menées par un groupement constitué du Centre national de recherches archéologiques (CNRA) et de l’Institut national des recherches archéologiques préventives (INRAP, français), ces fouilles ont montré au contraire que les sites dans la capitale ont été bien conservés.
Les résultats complets sont actuellement en phase d’analyse et d’interprétation. Un rapport est attendu en fin d’année.
l’archéologie, ‘une plus-value’
La mise au jour des vestiges archéologiques place des Martyrs a entraîné une modification du chantier du métro, relève avec satisfaction M. Stiti, membre du CNRA.
« C’est une première » en Algérie, souligne-t-il. Le projet a pu être adapté sans être supprimé, signe que l’archéologie et le développement ne sont pas incompatibles, ajoute-t-il.
« C’est une plus-value », l’archéologie accompagne le développement « sans le freiner », dit-il en regrettant que les archéologues soient souvent vus comme des empêcheurs de construire.
Afin de préserver le patrimoine historique de la ville, la station de métro ne fera que 3.250 m2 au lieu des 8.000 m2 prévus initialement, et le tunnel du métro devra passer à 35 mètres sous terre.
« Pour ne pas accuser un retard, facteur de surcoûts pour le projet du métro, les archéologues ont travaillé d’arrache-pied, y compris les jours fériés », souligne M. Stiti.
Plus de 150 personnes de différentes nationalités et spécialités ont participé aux fouilles, une aubaine pour les jeunes archéologues algériens.
Une future « station-musée »
Place des Martyrs, la future station-musée qui doit être inaugurée en novembre s’inspirera de musées italiens et grecs.
« Mais à Rome ou à Athènes, le musée présente des séquences particulières alors qu’ici, le visiteur pourra embrasser toute l’histoire d’Alger sur 2.000 ans. C’est une fierté ! », se réjouit M. Stiti.
Une partie des objets mis au jour sera ainsi exposée dans un musée classique, à l’extérieur, doté d’une ou plusieurs salles. Mais les vestiges immobiliers seront eux présentés dans un musée in situ, pour certains à plus de 7 mètres sous terre, et sur 1200 m2.
« Je suis impatiente de voir la station ouverte. Fini les désagréments des travaux, je pourrai circuler en métro et surtout visiter le musée avec mes deux petites-filles qui sont écolières », se félicite Aïcha, 70 ans, une « voisine » du chantier des fouilles.
Saïd, 50 ans, rêve maintenant « de visites guidées pour les jeunes, scolarisés ou pas ». « Afin qu’ils puissent s’approprier le passé de notre ville plusieurs fois millénaire », explique cet enseignant d’histoire-géographie au lycée Emir Abdelkader.