Les catastrophes naturelles sont prévisibles. Non pas sur le calendrier mais sur le terrain déjà.
Dans notre pays au climat semi-aride, voire aride dans la majeure partie, la survenance d’inondations, par exemple, ne peut-être qu’un paradoxe, mais quand cela se produit, l’impact est dramatique, autant sur les personnes que sur les biens. Si certaines régions, comme la capitale ou l’Est du pays sont concernées par ces risques, tout le territoire y est, en définitive, sensible. Les wilayas de Bordj Bou-Arreridj (1994), Adrar (octobre 2004) et janvier 2009), Béchar (2008),Ghardaïa (2008) et Biskra (2009) ont en fait les frais et leurs habitants ont gardé, à ce jour, des séquelles indélébiles.
En conséquence, la problématique des inondations doit être, à l’orée de cette basse saison, une priorité pour le gouvernement et, par extension, une urgence pour les 1541 maires du pays qui seront au premier plan en termes de prévention, d’intervention et de secours aux populations menacées ; sont-ils, pour autant, préparés à ces échéances, sachant que près de 600 communes sur les 1541 que compte le pays, nécessitent des opérations de mise à niveau en matière de moyens d’intervention et de lutte contre les risques majeurs ? Les inondations survenues à Béchar, en 2015 par exemple, auraient pu être évitées si l’on avait pris la précaution de curer et de nettoyer l’oued qui traverse la ville.
Pour résumer, les maires et de façon plus générale les collectivités locales, doivent faire usage des outils de planification urbaine qui sont à leur disposition (le PDAU notamment) afin d’assurer la prévention du risque « inondation » en empêchant le développement de l’urbanisation dans certaines régions qui ne s’y prêtent pas. Le laisser-aller, l’absence, parfois, de plans Orsec et les interventions conjoncturelles d’un personnel non formé pour la circonstance aggravent la situation, quand la catastrophe se produit. Les opérations d’entretien préventif, quand elles ont lieu, ne doivent pas, en principe, s’inscrire dans un calendrier saisonnier, dans la mesure où les calamités sont imprévisibles, n’ont cessé de répéter tous les spécialistes de la question qui, par ailleurs, font remarquer qu’en matière d’intervention, la coordination interministérielle doit revêtir, obligatoirement, un caractère intersectoriel, ce qui n’est pas souvent le cas et les résultats s’en ressentent.
Il y a aussi le manque d’informations concernant la consistance et l’état des moyens à mutualiser et à mobiliser à l’échelon national et aussi des ressources humaines à réquisitionner quand la catastrophe touche une ou plusieurs wilayas, ce qui laisse perplexe les responsables en charge de coordonner les secours, en l’absence d’un fichier central informatisé.
Dans le même ordre d’idées, un responsable du ministère des Ressources en Eau avait annoncé, il y a quelque temps, qu’un « Plan national de protection des villes contre les inondations avait été établi, dans le cadre d’une stratégie allant jusqu’à 2030 ».
Plus encore, on a entendu parler « d’une étude sur le phénomène des inondations en Algérie et les moyens de réduire leur impact », financée par l’Union européenne pour un coût de 1,2 million d’euros, qui sera, a-t-on dit, bientôt lancée et ses conclusions devaient être rendues publiques courant 2015. Simples effets d’annonce ou projets concrets, toujours est-il qu’au jour d’aujourd’hui, les inquiétudes demeurent et l’esprit des citoyens est encore hanté par:
1.-Les inondations de Bab El-Oued (10 novembre 2001) et les torrents de boue qui se sont déversés dans l’oued principal du Frais-Vallon faisant 1000 victimes et aucun responsable n’a été inquiété.
2.- Celles de Ghardaïa en 2008, quand des pluies diluviennes se sont abattues sur la région pendant 48 heures. En amont, elles ont trouvé comme réceptacle des oueds et de là, les eaux ont déferlé, débordé et emporté tout sur leur passage, à travers huit communes, dont celle située dans la vallée du M’zab, Ghardaïa ! Le bilan s’est soldé par 49 morts, des dizaines de blessés et autant de personnes traumatisées, sans compter les dégâts matériels qui se chiffrent en milliards ! Selon certains élus, en fonction à l’époque, l’effondrement d’une retenue collinaire construite en 2005 à l’oued Laadhira, dans la région de Djaref, à 20 km du chef-lieu de wilaya, serait à l’origine de cette catastrophe, les normes requises n’auraient pas été respectées dans la construction de ladite retenue, faite en gabionnage.
Faut-il se résigner à penser que le « déchaînement des éléments » est seul responsable de ce qui s’est passé à Ghardaïa, mais aussi à Bab El-Oued ?
En France, des élus ont été poursuivis par la justice dans l’affaire dite du « procès Xynthia », la tempête qui a fait 29 morts dans cette station balnéaire de Vendée en février 2010, pour avoir signé des permis de construire pour des maisons de plain-pied qui auraient dû comporter un seul étage, en raison du risque fort de submersion de la digue censée protéger les habitations. Les victimes se sont même portées partie civile ! Les deux anciens élus ont prétendu n’avoir pas pris connaissance du risque d’inondation, car celui-ci n’a jamais été, clairement, expliqué par les services de l’Etat, qui avaient, en outre, validé des permis de construire avant qu’ils ne soient autorisés par la commune.
En Algérie, pas de procès, encore moins de jugement ! Mais si, à Dieu ne plaise, il venait à se produire une quelconque catastrophe dans une région où «on aurait fermé les yeux sur des habitations édifiées sur des conduites de gaz, ou des bâtisses construites dans des lits d’oueds, ou plus encore des travaux de réalisation ou de réfection bâclés par des entreprises non compétentes et qui auraient impacté, gravement, sur des citoyens ou leurs biens», chaque responsable, direct ou indirect, de cette situation aurait à répondre de sa gestion, pour ne pas dire négligence !
A ce propos, beaucoup de citoyens s’interrogent sur la qualité des travaux entrepris en 2014 et 2015 pour protéger la ville de Tamanrasset et les périmètres agricoles de sa périphérie sur les risques de crus des oueds ; les ouvrages de protection des agglomérations n’ont pas résisté à la furie des eaux qui ont touché la région il y a quelques jours causant des dégâts et aussi des victimes parmi la population !
Ceci dit, il faut aussi reconnaître qu’en l’état, nos communes sont démunies devant ces périls ! La plupart d’entre-elles ne disposent même pas d’un «système d’alerte et d’information de la population». A cela il faut ajouter le manque d’organisation des services de nettoyage et d’entretien ainsi que le laxisme de certains responsables locaux qui ne prennent pas les mesures d’anticipation qui s’imposent en cette basse saison et qui ne donnent même pas suite aux BMS qui leur sont transmis !
Il y a aussi tous ces oueds qui sont autant de bombes à retardement ; le dernier en date, se trouve à Djelfa où une famille entière a été emportée par les eaux en furie ! Les oueds menacent nos villes et les alertes météo vont être fréquentes et il n’est pas question de se défausser sur les autres, comme l’a fait, par exemple, le maire d’Alger-centre dans un entretien qu’il avait accordé à un journal en ligne. S’expliquant sur les inondations provoquées par les premières pluies qui ont bloqué la circulation automobile pendant des heures, il a affirmé : «je pense que cela s’est produit à cause des travaux qui sont en cours et notamment le sable utilisé dans les chantiers ; il ne faut pas oublier aussi le manque d’effectif puisque ce jour-là, a dit le maire, il y avait une opération de relogement à Haï-Erremli, et près de 70% des agents de Netcom et d’Asrout étaient sur les lieux pour assurer les déménagements des familles recasées».
A la question de savoir qui était responsable, le maire a pointé du doigt les entreprises SEAAL et Sonelgaz « qui font la sourde oreille à nos réclamations en refusant de remettre en état les lieux quand elles interviennent sur la chaussée, laissant sur place les gravats qui obstruent les avaloirs et les égouts ! ».
Un autre président d’APC, celui de Tébessa, ville qui a été submergée par la boue et inondée jusqu’à la moindre maison, n’a pas trouvé de mieux pour expliquer la catastrophe que de dire : « il n’y a pas eu mort d’homme, donc ce n’est pas si grave ! ».
A l’orée de chaque hiver, les Oranais vivent le calvaire. Le moindre déplacement, la plus petite des activités se transforment en épreuves titanesques : rues gorgées d’eaux, boue, gravats jonchant la chaussée et bloquant la circulation automobile sont le lot des habitants de la ville. Cette situation qui, hélas, se répète est due généralement à l’inexistence des réseaux d’évacuation des eaux de pluie ou à leur vétusté.
On parle, aujourd’hui, de projets d’aménagements hydrauliques et de réalisation de nouvelles digues et d’avaloirs pour un coup de 12 milliards. Est-ce à dire que les élus et les responsables locaux ont, enfin, pris leurs responsabilités en matière de prévention contre les risques d’inondation ? Oui, semble-t-il, car la gestion du risque d’inondations est partagée entre l’Etat et les Collectivités Locales. Si l’Etat et les Collectivités Locales s’attachent aux mesures collectives, il revient, aussi, à chaque citoyen de prendre ses responsabilités au regard des aléas auxquels il est exposé, en s’assurant lui et ses biens.
A la décharge des communes, il faut dire, aussi, que les responsabiliser sur tout et rien, c’est quelque part aller vite en besogne au regard de la faiblesse des moyens mis à leur disposition. Dans l’absolu, que peuvent faire les collectivités locales devant le « dérèglement climatique » qui touche l’ensemble des pays du bassin méditerranéen ?
Anticiper les événements, alerter les populations, secourir les sinistrés, les reloger même provisoirement, c’est, pourtant, leur rôle pour peu qu’elles en aient les moyens. Nos communes, aujourd’hui, se meurent et plongent davantage dans les problèmes du quotidien financés, majoritairement, par les subventions de l’Etat. L’économie locale, par exemple, est quasi inexistante dans le processus de développement initié par l’Etat où un manque est perceptible en matière de management, de stratégies et de capacités d’anticipation, de création d’entreprises locales, de valorisation des ressources, du patrimoine et des revenus fiscaux !
Noureddine Bedoui, le ministre de l’Intérieur et des Collectivités Locales, avait pourtant intégré dans la stratégie de son département, outre « l’amélioration des services publics » qui était pour lui une exigence, et qui est devenue aujourd’hui une réalité, la nécessité d’enclencher « un plan de réforme des collectivités locales » susceptible de les doter en nouveau mode d’organisation et de gestion, en mécanismes et outils, de manière à leur permettre de réaliser leurs objectifs.
Après avoir mené avec succès le « choc de simplification » des procédures administratives en matière d’attribution du passeport biométrique délivré par l’APC, une grande première en Algérie, Noureddine Bedoui le ministre de l’intérieur, baisse du pétrole oblige, a musclé son discours à l’adresse des responsables des collectivités locales leur demandant de se muer, en « managers créateurs de richesse et d’emploi ».
Cela passe, nécessairement, par le changement des mentalités, l’engagement des responsables locaux, la dépénalisation de l’acte de gestion, mais également et surtout, par la « réforme des finances et de la fiscalité locales », celle-là même qui permettrait aux maires de «se remettre à flots» en valorisant leur patrimoine, et ainsi profiter de leurs ressources et gisements fiscaux pour monter des projets et les financer sans recourir aux subventions de l’Etat !
Cela nécessite également « une réforme consistante des codes communal et de wilaya » et, bien évidemment, un grand coup de balai dans le corps des walis qui, majoritairement, ont déçu y compris leur ancien camarade Noureddine Bedoui qui n’a pas pris de gants pour leur signifier leur faillite.