Alors qu’il s’époumonait en criant que les destins respectifs des peuples tunisien et égyptien ne sont intimement liés, le chef d’Ennahda, sorte de franchise des Frères d’Egypte, le nez au mur, après le tourbillon des manifestations contre la gouvernance islamiste en Tunisie, a finalement promis d’ouvrir le jeu politique.
Ghannouchi qui tenait le même propos au sujet du terrorisme, jurant que son pays n’était pas l’Algérie de la décennie noire, s’est-il rendu à l’évidence lui qui était droit dans ses bottes ? Il a apparemment compris que le scénario de la chute de Ben Ali (janvier 2011), suivie un mois plus tard de celle de son homologue égyptien Moubarak, risquait de se rejouer à l’inverse cette fois-ci : son gouvernement islamiste pouvait être chasser comme celui de Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, le 3 juillet 2013, par un coup d’état militaire, plus de la moitié de nos voisins ayant emboîté le pas à leurs homologues égyptiens courroucés par la gérance au mode islamiste, similaire à la dictature de Moubarak.
La volonté de Ghannouchi de ne pas tenir compte des exigences démocratiques de la rue a conduit la situation politique en Tunisie dans l’impasse. Après les incessants avertissements de la rue, le coup fatal a été porté en fin de semaine dernière par Mustapha Ben Jaafar, le président de l’Assemblée nationale constituante (ANC) qui a suspendu les travaux de rédaction d’une nouvelle post Benali. “J’assume ma responsabilité de président de l’ANC et suspends les travaux de l’assemblée jusqu’au début d’un dialogue entre pouvoir et opposition, et cela au service de la Tunisie”, a déclaré le député du parti Ettakatol, le principal allié laïque de centre-gauche, du parti islamiste Ennahda qui avait raflé la mise de la révolution du Jasmin sans y avoir pris part !
Incrédules les Tunisiens, comme les égyptiens, avaient cru aux vertus de la solution prônée par les islamistes. Le départ de la nouvelle vague de protestation ressemblant au Tamarrod du Caire, été ouvert par l’assassinat par les islamistes du député d’opposition Mohamed Brahmi, le 25 juillet, après celle de Chokri Belaïd tué en février également par des islamistes radicaux. Le syndrome égyptien qui a emporté les islamistes au pouvoir en égypte a-t-il affecté la Tunisie ? Difficile d’y répondre pour la raison essentielle que chez nos voisins, l’armée, par tradition, n’a pas de rôle politique. C’est tout juste une armée “ordinaire” chargée de l’ordre à titre exceptionnel et évidemment de la lutte contre le terrorisme comme elle s’y emploie présentement contre les foyers djihadistes allumés notamment aux frontières avec notre pays.
Tunis n’a pas son général al-Sissi, ce patron de l’armée égyptienne qui a destitué, incarcéré et poursuit en justice le président Mohamed Morsi et des responsables des Frères musulmans. Pourquoi, contrairement aux us et pratiques des régimes arabes, l’armée tunisienne n’a-t-elle pas de prétentions politiques ? Bourguiba, le “père” de la nation, puis son dauphin, Benali, avaient bâti leur régime autoritaire sur la police et des services spécifiques de répressions de l’Intérieur. Avaient-ils peur d’un pronunciamiento militaire ?
Autre handicap qui contrarie sérieusement la transformation des manifestions anti Ennahda en un mouvement comme Tamarrod en Egypte, la division des opposants. D’où ce cri : “J’appelle tout le monde à participer au dialogue. Les Tunisiens en ont marre”, de Ben Jaafar, mais dont le parti a également refusé de claquer la porte à la coalition autour des islamistes. Aujourd’hui que Ghannouchi a plié le genou, Ettakatol se dit favorable à la mise en place d’une nouvelle équipe gouvernementale qui corresponde mieux aux exigences des protestataires. Mais, le plus inquiétant aux yeux de l’opinion républicaine tunisienne est que même après les assassinats de personnalités politiques démocratiques et le danger terroriste avec l’installation de maquis, la classe politique reste encore dans l’incapacité à s’unifier.
Démocrates, libéraux et laïcs semblent se complaire dans la voie de la division et de la sédition, leurs divisions loin de se diluer face aux appels de la rue ni même à ses victoires sur les islamistes. Alors que des partis voulaient arracher le départ du gouvernement et la dissolution de l’ANC, d’autres, en particulier la puissante centrale syndicale UGTT et le patronat Utica, plaidaient pour un nouveau cabinet, exigence que Ghannouchi promet d’exhausser. C’est du reste ce climat cacophonique qui a donné – et donne – du mou au numéro un d’Ennahda qui sait pouvoir tirer ses marrons du feu même s’il a renoncé à son gouvernement et a accepté la dissolution de l’ANC face au raz de marée protestataire de l’opposition de mardi soir dernier sur l’avenue Bourguiba de Tunis.
Politicien de premier ordre, pour avoir échappé au bourguibisme et à la traque de Ben Ali, Ghannouchi compte sur les divisions de son opposition pour rebondir. N’a-t-il pas étaler lui aussi ses forces en mobilisant tout ce la Tunisie compte d’islamistes ?
Ça reste impressionnant même si l’islamisme politique a reculé. Contrairement aux prévisions des vite en commentaires, cette idéologie ne vit encore ses derniers soubresauts même si elle se porte mal depuis sa déconfiture en égypte. Cela dit, et c’est le plus important, le parti Ennahda n’a plus sa superbe.