Beaucoup de nos artistes ont depuis longtemps émis le vœu qu’un hommage soit rendu à une quelconque personnalité, un artiste notamment, son vivant. Leur vœu semble avoir été exaucé.
La maison de la Culture Mouloud-Mammeri de TiziOuzou, que dirigent Ould-Ali El-Hadi et son équipe de collaborateurs, répond fort bien aux aspirations de la grande famille artistique algérienne. En effet, nombre d’artistes, activant dans différents créneaux du vaste champ culturel, ont joui de la reconnaissance d’autrui leur vivant. Certains ont même pu voir leur mérite reconnu officiellement alors qu’ils sont encore en âge d’assurer des productions et des créations.
C’est le cas de la grande vedette de la chanson kabyle, Rabah Ouferhat. C’est justement pour sa personne et son profil artistique que le grand hall de la maison de la Culture était empli de monde hier. Parmi cette foule figuraient, en sus des membres de la famille et des amis de Rabah Ouferhat, des artistes comme Karim Abranis, BelaïdTagrawla et Taleb Tahar, des hommes politiques comme Hocine Haroun, des hommes de plume comme Abdennour Abdeslam, et tant d’autres personnalitésde différents horizons.
Certaines d’entre elles ont même fait le déplacement à TiziOuzou à partir d’Oran pour prendre part à cette manifestation en l’honneur de l’auteur de la célèbre chanson A thalailoughène(ô fontaine à l’eau trouble !).Dans le hall de l’institution culturelle, nombreuses ont été les personnalités à prendre la parole pour souligner le grand rôle joué par Rabah Ouferhat dans la propulsion de la chanson algérienne, kabyle notamment, mais aussi ses qualités humaines. Pour sa part, Rabah Ouferhat, autrefois blond, mais à présent le cheveu poivre et sel, a affirmé : « C’est grâce au public que j’ai tant aimé et que je continue d’aimer que j’ai réussi à devenir ce que je suis. » il convient de noter que les gens de LarbaâNathIrathen, région natale de l’artiste, sont venus nombreux à la maison de la Culture.
La cérémonie s’est terminée par une collation.
L’instant d’après, l’artiste, ses fans et ses amis se retrouvèrent dans l’espace du petit théâtre. Montés sur scène Rabah Ouferhat et Abdennour Abdeslam, se sont adonné au jeu des questions-réponses.
Abdennour Abdeslam, grand spécialiste des questions artistiques, a avoué que c’est pour son ami Rabah Ouferhat qu’il s’estdécidé à revenir, exceptionnellement, dans les espaces de la maison de la Culture Mouloud-Mammeri, qu’il a désertés depuis presque un an, s’apprêtant à prendre sa retraite.
De ce dialogue entre l’homme de la chanson et l’homme de lettres, l’assistance, nombreuse et attentive, a appris que Rabah Ouferhat est né le 12 mars 1952 au village d’Azouza, âarch de LarbâaNathIrathen.
Durant sa scolarité à l’école primaire du village, il participa aux chants écoliers dirigés par les maîtres d’école, qui remarquèrent tous que la voix de Rabah était remarquable et attirante, et qu’elle étaitde très loin différente de celles de ses autres camarades.
A l’indépendance naquit réellement son amour pour le chant et la musique. Aux yeux de ses parents et de son entourage familial, de son père notamment, c’était la catastrophe. « A l’époque, la musique et le chant étaient mal considérés et surtout mal vus par la société », a rappelé Rabah Ouferhat.
Cependant, l’appel du chant et de la musique était plus fort que toute autre considération. C’est pourquoi il fit son entrée à la Jeunesse du FLN, où il trouva un large équipement musical et un espace très approprié pour développer son art.
Au sein de la Jeunesse du FLN, la voix exceptionnelle de Rabah Ouferhat attira l’attention des connaisseurs en chant et musique qui luiconseillèrent d’embrasser une carrière artistique. En 1971, il fit son entrée au lycée de Bordj Menaïel (Boumerdès).
C’est au cours de cette année que ce lycée fut inauguré et qu’il composa la chanson qui lui fit connaître la célébrité et que tous les jeunes de Kabylie fredonnèrent durant des années à savoir A thalailoughène. Ce fut également au niveau de ce lycée qu’il continua à fréquenter feu LounèsMatoub, avec lequel il avait des liens de parenté (la grand-mère paternelle de feu Lounès Matoub est une Ferhat). Feu Lounès Matoub faisait encore ses études au collège, mais assurait son internat au lycée.
L’assistance apprit également que c’est avec la guitare de Rabah Ouferhat que feu Lounès Matouba appris à maîtriser les premières notions de guitare, et son premier initiateur à cet instrument de musique n’était autre que Rabah Ouferhat. Ayant décidé de se lancer dans la chanson, le jeune homme eut alors l’idée de transformer son patronyme Ferhat en Ouferhat. «
J’ai décidé de transformer mon nom ainsi pour ne pas mettre dans l’embarras ma famille car, je le répète, à cette époque, un chanteur était mal vu par la société », a signalé Rabah Ouferhat. L’année suivante, sa rencontre avec le maestro feu Cherif Kheddam fut décisive.
Celui-ci sera émerveillé par la chanson A thalailoughène, d’où sa décision de mettre à la disposition de Rabah Ouferhat l’ensemble orchestral de la Chaîne II, les instruments de musique ainsi que l’espace de l’auditorium pour l’enregistrement de cette chanson.
Le résultat fut fulgurant. C’est à partir de cette année 1972 que démarra la carrière artistique de Rabah Ouferhat. Il convient de signaler que son passage à l’émission « Iccenayen U Zeka (Les chanteurs de demain) » animée par les défunts Cherif Kheddam, Mohamed been Hannafi et Mohamed Medjahed fut un grand succès.
Les trois critiques lui donnèrent une très bonne note. Entre 1972 et 1975, Rabah Ouferhat enregistra un nombre considérable de 45 tours ainsi qu’un 33 tours. Avec l’apparition de la cassette Rabah Ouferhat, toujours prolifique en matière de production artistique, opta pour de ce support pour répondre aux attentes de ses fans, toujours nombreux.
Parallèlement aux activités menées dans les studios d’enregistrement, l’auteur de A thalailoughène participa à de nombreux galas et spectacles. En juin 2013, Rabah Ouferhat se produisit à Montréal, à l’occasion d’un hommage rendu à feu Lounès Matoub.
La lutte pour la reconnaissance du statut de l’artiste par les pouvoirs publics l’a grandement impliqué. Pour preuve : Rabah Ouferhat occupe aujourd’hui le poste de secrétaire général du Syndicat des artistes de la wilaya de TiziOuzou, poste où il n’est pas question d’une sinécure. Enfin, rappelons que Rabah Ouferhat est père de trois enfants et six fois grand-père.
D’ailleurs, son épouse, ses enfants, ses belles-filles et ses petits-enfants ont assisté hier à l’hommage qui lui a été rendu. Ce jeune grand-père a prouvé, à cette occasion, que ses doigts manient encore fort bien les fils de la guitare. La démonstration a été faite à travers l’interprétation de A thalailoughène et d’une autre chanson composée en 2000, intitulée Izri T’sradjoumiyi(Je sais que vous m’attendez).
Cette deuxième chanson a bercé l’assistance le temps de son écoute. Et pourtant, l’artiste n’eut recours qu’à sa propre voix et à sa guitare.