L’anarchie est tellement criante que la population finit par croire qu’il n’y a pas d’autorité.
Gué de Constantine, c’est ici que l’anarchie a tissé sa toile. La population locale croit qu’il n’y a plus d’autorité. Il y a des lacunes partout. L’insalubrité est criante à chaque coin de rue. Des gouffres que l’on rencontre sur toutes les routes, et dont le début a toujours été de simples nids-de-poule. Les égouts qui déversent leur contenu à ciel ouvert.
Des murs surchargés de graffitis, dont certains nous rappellent la lutte acharnée entre certaines formations politiques lors de la dernière campagne électorale pour les municipalités.
Pis encore, des commerces informels squattent la voie publique dont un vendeur de cassettes audio et CD à la cité Aïn-Naâdja. C’est à croire qu’en ce lieu, tout est permis ! C’est aussi en toute impunité qu’un trafic de drogue et la prostitution s’y développent de façon vertigineuse. Parallèlement au développement des activités informelles, cette localité fait face à une montée grandissante du nombre de bidonvilles. On relève aussi une dégradation de l’habitat, des conditions de vie de la population et des infrastructures et services nécessaires au développement des activités économiques urbaines. Et c’est surtout au bidonville proche du marché de Aïn-Naâdja, celui de Remli et à la cité des 720-Logements que la toxicomanie fait des ravages.
Ces lieux sont devenus des repaires pour des réseaux de dealers que démantèlent régulièrement les services de sécurité et qui, tel le phénix, renaissent tout aussi régulièrement.
La violence en ces lieux met en évidence une multitude de groupuscules de délinquants.
Le seul point positif dans ce tableau plus que désolant est que les populations de cette localité contestent cette dégradation auprès des élus locaux.
On a constaté au niveau du bidonville de Diar El-Khedma, sinon Diar El-Mehna comme on l’appelle ici où 60 familles vivent dans la misère, la présence de sommiers installés en enfilade et séparés par des vêtements, des cartons et de la vaisselle. «En hiver, les occupants de ce bidonville protègent leurs sommiers par des parpaings pour faire face aux infiltrations des eaux de pluie», nous dit-on. Ces taudis ont été construits à l’économie, vite fait mal fait. Le parquet n’est pas du tout étanche. Résultat : les murs suintent d’humidité, la peinture s’écaille, les champignons prospèrent, nichés dans les fissures que les infiltrations d’eau creusent le long des murs. Une forte odeur de moisi imprègne ces logis. C’est d’ailleurs au milieu de ces images sombres et désolantes qu’un riverain nous dira : «Notre misère est insurmontable. Nous n’avons jamais connu de responsable au sens noble du terme. Notre quotidien est géré par des affairistes». «Pour prétendre à une prise en charge des autorités locales, il faut se plier à une condition : montrer patte blanche», conclut-il. C’est ce que nous confirme un autre citoyen résidant au niveau du bidonville dénommé Remli. «Quels que soient les élus qui se sont succédé à la tête de la municipalité, pour prétendre au relogement, le scénario a toujours été le même, la tchipa.»
La désolation est partout. La dénomination des sites frise le ridicule. La placette, château-d’eau, Casnaf, Sonelgaz, SNS, Biotic, Madrid. Ou encore, 720-Logements, 310-Logements, 386-Logements, cité Cnep… Au centre-ville de cette localité, noyée dans la boue en hiver et poussiéreuse en été, de gigantesques constructions sont érigées au lieu dit Semar, que les propriétaires ont transformé en zone d’activité en tous genres.
Une zone urbaine transformée par la force de la bêtise humaine en zone d’activité sans que l’APC en récolte les dividendes.
Il s’agit surtout de grossistes qui recrutent leur personnel parmi les adolescents, une main-d’œuvre très jeune, donc facilement exploitable, sous-payée et à l’abri de tout contrôle. Ce lieu ressemble de plus en plus à ces villes tumultueuses du tiers-monde, où les enfants ne peuvent jouir de leurs droits les plus élémentaires.
Juste en face, s’offre à nos yeux un autre décor tout aussi désolant.
Ce sont les chauffeurs de taxi clandestins qui accaparent une bonne partie de la station de transport urbaine, gênent les piétons et les automobilistes dans leurs mouvements. Des marchands ambulants ont imposé un marché informel. La prolifération de rats et de toutes sortes de bestioles est aussi la conséquence de ce laisser-aller.
Traverser les ruelles de Semar à pied ou en voiture relève de l’exploit. C’est à un véritable parcours du combattant que doit faire face le visiteur, tellement le délabrement des routes a atteint un degré qui n’existe nulle part ailleurs. Un riverain ironise : «La coalition a bombardé Tripoli, pour trouer les routes de Semar.» C’est effectivement une réalité, il est impossible de traverser ce quartier sans se retrouver face à des nids-de-poule, des crevasses ou même des gouffres.