L’Algérie est passée par un terrible joug colonial jalonné de répressions, de massacres mais aussi marqué par la bravoure et le don de soi pour que les survivants à cette atroce guerre pour l’indépendance puissent un jour respirer la liberté et la dignité tant convoitées.
De ces journées phares, où se sont mêlées bravoure et barbarie, surgit le 20 août 1955.
Mieux qu’une insurrection, plus qu’une offensive, plus qu’un soulèvement, le 20 Août 1955 est indéniablement le tournant de la guerre de libération nationale.
Le 20 Août 1955 a transformé la révolution algérienne, proclamée le 1er novembre, en une véritable guerre.
Les multiples opérations d’insurrection synchronisées, organisées et lancées par Zighoud Youcef, nouveau chef de la Zone II après la mort de Didouche Mourad le 18 janvier 1955, avaient pour objectif de généraliser la guerre d’indépendance circonscrite jusqu’à cette date dans les Aurès mais surtout rassembler tous les Algériens autour de l’Armée de libération nationale pour faire face aux colonisateurs.
Dix mois après le 1er novembre 1954, l’ALN, épaulée par la population, attaque simultanément plus d’une vingtaine d’agglomérations situées dans le Nord-Constantinois.
Zighoud Youcef choisit la journée du samedi 20 août 1955. Cette journée constitue la première démonstration populaire défiant la loi de l’état d’urgence.
Le 30 septembre, à l’ordre du jour des Nations unies, la communauté internationale prit acte de la revendication de souveraineté nationale des Algériens.
Le colonel Zighoud Youcef, qui tombera au champ d’honneur en septembre 1956, a eu l’immense satisfaction d’avoir magistralement rempli sa mission de maître d’œuvre de l’internationalisation du conflit.
La Wilaya II lance une offensive généralisée dans l’immense forêt de chênes-lièges contre une cinquantaine de garnisons et PC en plein jour. Pourquoi le 20 août à midi ?
Que cherchait Zighoud Youcef ? Comment déclencher une insurrection généralisée avec seulement quelque 300 combattants et presque autant de fusils ?
Avant la réunion destinée à organiser l’événement à Zamane, près de Collo, Chihani Bachir, remplaçant à la tête de la Zone I (Aurès-Nemenchas) Mostepha Benboulaïd, arrêté le 18 février 1955 à la frontière tuniso-libyenne, avait demandé dans un message à Zighoud d’intensifier les opérations dans le Nord-Constantinois pour desserrer l’étau étranglant les Aurès, pilonnés inlassablement par l’armée française, qui pensait ainsi étouffer dans l’œuf la révolution armée.
Zighoud Youcef fixe alors les objectifs, désigne les responsables et donne les instructions.
Sur son carnet sont inscrits les noms des villes et des villages où il faudra frapper : Skikda, Jijel, Collo, El Milia, Khroub, Guelma, Annaba, Azzaba, El Harrouch, Oued Zenati, Saint-Charles, Robertville, Aïn Abid, El Halia, Kellermann, Gallieni, Condé Smendou, Aïn Kechra.
La liste donnait le tournis au fur et à mesure qu’elle s’allongeait… Si Zighoud voulait une vaste opération qui ferait autant de bruit sinon plus que celles du 1er novembre 54, ses objectifs étaient clairs.
Le chef de la Zone II, avec son staff, voulait avant tout stimuler le moral du peuple par des actions d’envergure qui dépasseraient le harcèlement habituel des forces françaises.
Des attaques qui prouveraient que des actions audacieuses étaient possibles sur toute l’étendue du territoire national.
Le choix de l’heure du début des opérations, soit midi, était destiné à frapper l’imagination de l’ennemi.
Les actions devaient avoir lieu sur les sites militaires, couper les routes et les ponts pour arrêter les secours, ainsi que l’électricité et le téléphone dans les fermes et les habitations des colons.
Intimider ces derniers en leur montrant qu’ils étaient vulnérables et récupérer leurs armes pour qu’ils ne réitèrent pas la répression et les punitions collectives, de mai 1945.
Zighoud et ses pairs voulaient également affaiblir les partis algériens en lice avec la ligne Soustelle et obliger les autres nationalistes à se rallier à la ligne et aux directives du FLN.
Le chef de la Zone II ambitionnait de mettre en place un plan qui permettrait la mise en œuvre des actions militaires sur tout le territoire pour éparpiller les troupes françaises et faire jonction avec les Aurès et la Kabylie.
L’armée coloniale riposte avec promptitude. Ce fut une démonstration, sans équivoque, de la nature véritable des opérations de maintien de l’ordre et la preuve notoire que l’Algérie n’est pas une partie de la France, qui y mène bel et bien une guerre, avec engagement de chars et de l’artillerie lourde pour écraser une population civile sans armes, avec le rappel de 60 000 réservistes.
L’armée française, sous la direction du sanguinaire Paul Aussaresses, ramasse un important nombre d’hommes suspectés d’avoir participé aux opérations et les fait exécuter sans jugement.
Comme en mai 1945, des milices civiles sont constituées à l’appel du maire de Skikda, Benquet-Crevaux, dont les cris passionnés de représailles constituaient de véritables appels au meurtre des Algériens.
A cette différence près, que cette fois-ci l’état-major FLN/ALN avait le regard dirigé vers New York, siège de l’Organisation des nations unies, née en octobre 1945.
Les quotidiens français titraient, non sans satisfaction, sur l’ampleur et la vigueur de la répression, sur ordres de J. Soustelle.
Les récits parus dans la presse relataient les raids éradicateurs sur les mechtas, l’anéantissement de Zef-Zef, les exécutions massives de femmes, d’enfants et les centaines de cadavres exhibés au stade.
Du côté algérien, les officiels français annonceront 1 273 morts. Lakhdar Bentobbal, adjoint de Zighoud Youcef à l’époque, indique pour sa part plus de 12 000 victimes de la répression féroce.
«Le prix que nous avons payé était très lourd. Après le 20 août, pas moins de 12 000 morts ont été inscrits sur nos registres avec le nom et l’adresse de chacun d’eux, car leur famille devait recevoir une allocation. C’est la raison pour laquelle nous avons insisté pour que le recensement soit exact».
La révolution devient véritablement une guerre d’indépendance, embrase toute l’Algérie et instaure l’insécurité dans toutes les villes.
Dès le 23 août 1955, le gouvernement français décide le rappel du demi-contingent libéré en avril et le maintien sous les drapeaux du premier contingent de 1954.
Le processus de guerre est dès lors enclenché. Aux yeux de tous, rien ne peut plus être comme avant, car la révolution est devenue une guerre populaire nationale et elle a atteint un point de non-retour.
Ghada Hamrouche