Ce qui n’était jusque-là que rumeurs s’est confirmé hier. Le parquet général près la cour d’Alger a annoncé avoir établi une liste de personnes frappées d’interdiction de sortie du territoire national en raison de l’ouverture d’enquêtes liées à la corruption et transferts illicites de capitaux vers l’étranger.
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Même si l’information en elle-même circule depuis plusieurs jours déjà, sa confirmation par la justice a fait l’effet d’une bombe hier. Des personnes bien connues dans le monde des affaires, celles que l’opposition désigne par le terme «oligarchie», font désormais l’objet d’enquêtes judiciaires et se trouvent à présent frappées de la fameuse ISTN (interdiction de sortie du territoire national) évoquée depuis un moment avec insistance par de nombreuses sources bien au fait de la situation.
Le communiqué émanant de la justice n’en disait pas plus hier, mais elle semble avoir été rendue nécessaire en raison de l’intensification des rumeurs et les demandes pressantes, exprimées sur les réseaux sociaux, d’établir ou de rétablir la vérité sur ces affaires. Si, pour des raisons inconnues, les noms des personnes concernées, ni leur nombre, n’ont pas été cités de manière officielle, une liste semble avoir en revanche été mise à la disposition de plusieurs médias afin d’avoir un plus grand aperçu de la situation. Pour l’heure, il semblerait ainsi qu’au moins douze personnes sont ciblées par les mesures annoncées.
Les enquêtes sont ouvertes au niveau des parquets d’Alger (dix) et de Chéraga (deux) et concernent dans leur ensemble des personnes très connues du monde des affaires. On y retrouve Ali Haddad et son frère Omar connue sous le nom de Rebbouh (président de l’USMA), Mahieddine Tahkout, son fils Bilal, ses deux frères Rachid et Nacer. Baïri Mohamed, numéro deux du FCE, Boudina Ibrahim, Ould Boucif Mohamed et trois frères Kouninef (Rédha, Noah et Abdelkader Karim).
Selon les informations en cours, toutes ces personnes ont été sommées de remettre leurs documents de voyage à la justice.
Hier après-midi, et à l’heure où se bousculaient les informations ayant trait à cette affaire, des internautes bien informés ont mis à la disposition du public des noms de personnes ayant réussi à prendre l’avion pour Nice quelques heures seulement avant l’établissement de l’ISTN les frappant. Une capture d’écran de la liste d’embarquement des personnes ayant quitté le territoire national le 31 mars à 16h30 permet de vérifier le départ de Kouninef Noah.
La famille est soupçonnée de s’être enrichie grâce à la proximité qu’elle entretient avec le président de la République. Longtemps resté inconnu du grand public, le nom des Kouninef s’est affiché dans les slogans et affiches brandis par les manifestants qui dénoncent le pillage du pays par des milieux bien précis. Dans la fratrie, le nom de Rédha Kouninef a été mis en évidence par plusieurs médias occidentaux qui le surnomme le «prince des oligarques». On évoque aussi la grande influence qu’il aurait eue auprès du frère conseiller du président de la République.
Dimanche après-midi, et quelques heures après l’annonce de l’arrestation de Ali Haddad à la frontière algéro-tunisienne, Mahieddine Tahkout, homme d’affaires et patron d’une usine de montage de voitures, avait voulu laisser paraître une certaine sérénité, tranquillité même en affirmant aux journalistes qui l’avaient contacté n’avoir fait l’objet d’aucune mesure judiciaire. Son nom figure parmi les personnes auxquelles le parquet de Sidi M’hamed a demandé de remettre leur document de voyage.
Dans une déclaration au journal en ligne TSA, Mohamed Baïri (numéro deux du FCE) a tenu à dire qu’il n’avait «rien à se reprocher» et qu’il se trouvait à la «disposition de la justice en qui j’ai une grande confiance». Quelques heures après l’arrestation de Ali Haddad, et en l’absence de communiqué officiel émanant de la justice ou des parties ayant procédé à son interpellation, le FCE a réagi en évoquant la «disparition» de son ancien patron. Il avait été arrêté dans la matinée de dimanche alors qu’il s’apprêtait à traverser la frontière algéro-tunisienne par le passage d’Oum-Tboul.
Hier, en fin de journée, aucune instance habilitée n’avait communiqué sur son passage devant la justice.
Selon l’agence de presse officielle qui cite une source judiciaire, le tribunal d’El-Kala a ordonné lundi le transfert vers le tribunal de Bir-Mourad-Raïs de Ali Haddad.
«Le concerné, qui a été placé en fin d’après-midi en garde à vue avant d’être présenté aux environs de 15h devant le magistrat instructeur, sera transféré «incessamment» vers le tribunal de Bir-Mourad-Raïs (Alger) où il aura à répondre des griefs qui lui sont reprochés, à savoir la non-déclaration de devises et présentation de dossiers non conformes à la réglementation alors qu’il tentait de se rendre en Tunisie. «Au moment de son arrestation, il était en possession de 5 000 euros (la législation limite à 1 000 euros à déclarer).
L’APS ajoute que Ali Haddad a «présenté des documents de voyage non conformes à la législation».
Cette institution semble pourtant aujourd’hui avoir pris en charge l’un des dossiers les plus lourds de son histoire. Impliqués dans le mouvement populaire en cours depuis le 22 février dernier, de très nombreux magistrats exigent d’en finir avec les méthodes passées, les «injonctions» venant d’en «haut», la justice «expéditive» ou de «nuit». Les affaires dont elle est en charge sont probablement ces premiers pas vers une nouvelle épreuve, déterminante en matière d’indépendance et de recherche de vérité.
Les personnes frappées d’ISTN et faisant l’objet ont, en effet, toutes un lien commun : celle de s’être enrichies de manière douteuse en bénéficiant de la couverture du chef de l’Etat ou de ses proches. Elles ne seraient pas les seules. Des informations non officielles continuaient à circuler hier soir encore. De nouveaux noms ont été avancés. La justice a pour rôle d’éclairer sur leur véracité…
A. C.