Par Walid AÏT SAÏD
Ce vendredi sonnait la 11e symphonie du Hirak. Beaucoup la prédisaient comme étant celle du «doute» avec un recul inévitable de la mobilisation à la veille du Ramadhan et au lendemain de la mobilisation quelque peu ratée des syndicats pour la fête du Travail. Mais encore une fois, les millions d’Algériens ont déjoué le pronostic pour maintenir le cap comme ils le font depuis le 22 février dernier. L’occasion de revenir sur 11 leçons que nous a données ce peuple unique en son genre…
Le pacifisme
«Silmiya»: c’est le mot d’ordre que se sont donné les Algériens depuis le début de la révolution du 22 février. Du jamais-vu de par le monde: des millions de personnes qui sortent chaque semaine dans les rues du pays sans que le moindre incident ne soit signalé. Un pacifisme qui a résisté au temps et aux provocations! Car, durant ces 11 semaines il y a eu l’épisode des provocations des forces de l’ordre, il y a eu aussi les tentatives de manipulation pour plonger le Hirak dans la violence. Il faut aussi ajouter l’infiltration de «baltaguia» qui ont commis quelques agressions, mais ce peuple, unique en son genre, a réussi à maintenir le cap du «silmiya». Mieux encore, il a fait preuve d’ingéniosité en se gérant lui-même! L’exemple le plus concret est celui des «gilets oranges» qui se mettent entre les forces de l’ordre et les manifestants pour jouer aux médiateurs en cas de heurts. Magnifique!
Une maturité politique
Ces dernières années, on a eu tendance a croire que les Algériens et la politique ça faisait deux! Certains allaient même jusqu’à qualifier le peuple de «tube digestif». Le «chaâb» a prouvé le contraire durant ces 11 semaines de mobilisation. Tous les «subterfuges» tentés par le pouvoir pour faire reculer le Hirak ont été déjoués avec brio. La rue n’est pas tombée dans le piège de la «transition sur mesure». Mieux encore, on assiste tous les jours dans les quatre coins du pays à des débats de haut niveau entre jeunes et moins jeunes. L’avenir du pays, les solutions pour une sortie de crise…sont scrutés comme dans de grands «think tanks». Nos universités ont même retrouvé leur rôle de créatrices d’idées avec de grandes discussions estudiantines qui accouchent de grandes idées.
La détermination
«Houma samtine, hna samtine aâlihoum» (ils sont têtus, mais nous sommes l’essence même de l’entêtement, Ndlr). C’était l’un des mots d’ordre de la manifestation de vendredi dernier. En fait, cette phrase résume l’esprit des Algériens qui ne lâchent rien! Beaucoup prédisaient un essoufflement pour cette 11ème symphonie du Hirak, surtout qu’elle est intervenue à la veille du Ramadhan et au lendemain de la mobilisation quelque peu ratée des syndicats pour la fête du Travail. Ajoutés à cela les conditions climatiques et les barrages qui ont bloqué tous les accès vers Alger, mais cela n’a aucunement fait reculer la détermination des manifestants qui promettent de poursuivre leur mouvement jusqu’à ce qu’ «irouhou gaâ» (Ils partent tous, Ndlr)…
La fraternité
C’est l’une des plus grandes leçons que le Hirak a données au reste du monde. Qui a déjà vu des manifestants et des forces de l’ordre défiler ensemble sous les cris de «khawa khawa» (frères-frères)? Les Algériens l’ont fait! Cette fraternité s’est aussi fait ressentir lors des tentatives désespérées de division avec l’arme du régionalisme. La réponse a été des plus sanglantes, puisque ces jeux des plus dangereux ont permis de resserrer les rangs. «M’zabi, Chaoui, Kabyle, Arabe, Targui, tous unis, tous des Algériens» est le mot d’ordre qui circule dans les 48 wilayas du pays. Le meilleur exemple a été donné le 26 avril dernier avec ce défilé dans la rue Didouche-Mourad de 48 drapeaux algériens, où sur chacun était inscrit le nom d’une wilaya du pays. Au milieu, flottait le drapeau amazigh, le tout sous les youyous des femmes et des applaudissements des hommes. Magnifique!
Partis politiques et syndicats à l’index!
Certains ont tenté de «surfer» sur la vague avant de se noyer! Le Hirak ne se reconnaît pas dans les partis politiques ni les organisations syndicales, qu’ils soient du pouvoir ou de l’opposition. Preuve en est: ces personnalités politiques qui ont été chassées des manifestations. Les syndicats, eux, n’arrivent pas à mobiliser une grande foule comme le 1er mai dernier où leur appel lancé depuis plusieurs semaines, a été partiellement suivi. Seuls Mustapha Bouchachi, Karim Tabbou et à un degré moindre, Zoubida Assoul, ont réussi à tirer leur épingle du jeu.
Fake news
Depuis le 22 février dernier, les Algériens ont eu à découvrir les fake news et leurs dangers. La Toile algérienne, qui est la plaque tournante du Hirak, a été noyée par les fake-news. On a assisté à différentes tentatives de partis obscurs visant à détourner le mouvement de ses objectifs avec ces fausses informations. Du régionalisme en passant par les fausses polémiques idéologiques et religieuses jusqu’à l’amplification des petits incidents pour en faire des foyers de discorde. On a vu des vertes et des pas mûres, dont certaines ont failli faire mouche. Heureusement que des initiatives citoyennes et «cybériennes» ont permis d’éviter le pire. Mais ce n’est pas encore fini…
Les réseaux sociaux domptés
Les réseaux sociaux sont la «clé» de la révolution du Sourire. La viralité de «Facebook and co» a permis de rassembler des millions de personnes dans un seul endroit et dans un temps record. Néanmoins, avec les ravages qu’ils ont faits dans le Monde arabe ils laissaient craindre le pire. Les Algériens ont réussi à les dompter pour faire de cette «arme» la clé du bon déroulement des manifestations qui durent depuis 11 semaines. Puisque c’est grâce à eux qu’ils relayent les messages de sensibilisation afin d’éviter que le Hirak ne sombre dans la violence ou ne soit détourné de son objectif. N’est-ce pas grâce à Facebook que les casseurs ont été identifiés pour être ensuite arrêtés? C’est cela le cyberpacifisme!
Civisme
Les Algériens sont un peuple incivique! Une étiquette qui nous colle a la peau à tort et a raison. Toutefois, le Hirak est venu «casser» cette idée avec des manifestations de civisme on ne peut plus remarquables. Dans les 48 wilayas du pays, ou même dans les villes étrangères où ils ont manifesté contre le pouvoir, les Algériens se sont fait remarquer en nettoyant les rues derrière eux. Jeunes et moins jeunes, de toutes catégories sociales confondues, se sont également rassemblés pour nettoyer et réparer les dégâts commis par les casseurs lors des rares incidents enregistrés durant ces 11 semaines. On a aussi vu des actions de nettoyage et d’embellissement de quartiers et d’infrastructures publiques afin de donner une touche bien de chez nous à cette révolution que l’on veut politique et sociétale!
Solidarité
La solidarité est une vertu bien de chez nous. Le Hirak a encore été une occasion de le prouver. Depuis le 22 février dernier, les Algériens forment un seul Homme. Chaque semaine nous réserve son lot de solidarité. Il y a bien évidemment ces personnes qui préparent à l’avance des repas pour les partager avec les manifestants. Il y a aussi ces bouteilles d’eau qui fusent des balcons pour «rafraîchir» le Hirak. Il y a également les «Street medic» et «Gilets Verts» qui viennent en aide aux manifestants en cas de détresse. Ces militants se mettent aux premiers rangs pour prêter main forte aux marcheurs. Même les anonymes font preuve d’une solidarité déconcertante, comme ces jeunes qui rattrapent les voleurs de portables ou s’interposent contre les voyous qui viendraient embêter les manifestantes. Bref, un cocktail «made in Bladi» qui fait que cette révolution n’est pas comme les autres…
Créativité et humour
La créativité des Algériens rendrait jalouses les plus grandes agences de communication du monde. Chaque semaine apporte son lot de slogans et pancartes, plus originales les unes que les autres. Usant d’un humour bien de chez nous, les manifestants adaptent leurs slogans au rythme des évolutions de la scène politique. Mais derrière cette petite touche d’humour se cachent des messages politiques très forts. Chacun y va de sa contribution pour répondre à sa façon aux propositions du pouvoir. Les réseaux sociaux s’occupent de les relayer en collector où le message principal de chaque manifestation de vendredi est envoyé à ses destinataires avec cette méthode qui ne manque pas de perspicacité. Ça, c’est du talent!
Une jeunesse à toute épreuve
On ne pouvait conclure ce petit résumé des 11 semaines de révolution sans parler de la jeunesse algérienne. Elle résume les 10 points cités précédemment puisque nos jeunes sont les acteurs principaux de la révolution du Sourire. Ce Hirak a fait redécouvrir à l’Algérie sa jeunesse, trop vite enterrée. Critiqués, marginalisés, qualifiés de bons à rien, nos jeunes ont prouvé le contraire. Comme un seul homme, ils se sont dressés face au dessein machiavélique d’un régime qui n’a pas réussi à leur voler le droit de choisir par eux-mêmes leur destin. Les jeunes Algériens ont montré que s’ils n’étaient pas marginalisés, il pouvaient faire déplacer des montagnes.
L’annulation du 5e mandat en est la meilleure preuve. Ils ont aussi fait preuve d’une maturité déconcertante qui a permis au mouvement de ne pas déraper. C’est également ces jeunes, à travers les étudiants, qui continuent de maintenir la pression pour un véritable changement. Avec cet espoir qui renaît depuis le 22 février, ils ont mis de côté leurs projets de harraga pour construire ensemble l’Algérie de demain. Une jeunesse à toute épreuve, qui laisse entrevoir une Algérie qui ne sera que meilleure!