Ghania Oukazi
La décision de permettre aux Algériens d’importer des véhicules d’occasion a un caractère éminemment politique et semble être une concession de taille dans un contexte politico-économique dont la complexité ne peut être démêlée que par des négociations entre le pouvoir militaire et «l’Etat profond».
Contre toute attente, le gouvernement vient d’annoncer sa décision d’autoriser l’importation de véhicules «de moins de trois ans». Pour un effet d’annonce, c’en est un, puisque le ministre du Commerce avoue implicitement que la mise en œuvre «technique» d’une telle mesure est loin d’être mise au point. Peut-être dans un mois et même plus, «si le dossier est prêt dans une semaine, on le dira», a déclaré samedi le ministre du Commerce. Le timing de cette annonce laisse penser, disent des observateurs, que «le gouvernement veut satisfaire l’autre côté et fragiliser les grosses fortunes». L’autre côté est en évidence la France qui a été le premier pays à dénoncer l’interdiction des véhicules d’occasion décidée par l’Algérie en 2005. Les marques françaises en ont été directement touchées parce qu’elles répondaient à 90% de la demande nationale. Si l’on remonte dans le temps, l’on trouve que c’est Abdelatif Benachenhou qui était à cette époque ministre des Finances jusqu’au mois de mai 2005.
Il l’a été de 99 à 2001 et de 2003 à 2005, des années où il a fait valoir son refus de l’utilisation des financements publics dans la relance des investissements et a été à l’origine de la diminution de lourdes lignes de crédit accordées ici et là par les banques pour l’importation de produits superflus fortement surfacturés. La LF de 2006 est venue le confirmer et a plongé les milieux économiques français dans tous leurs états. La France de Hollande avait réagi à ces restrictions qui avaient porté un sérieux coup à sa balance commerciale et ont ébranlé sa position de 1er fournisseur de l’Algérie. Elle s’en était plainte auprès de la présidence de la République par des canaux diplomatiques et même économiques et financiers. En septembre 2016, le gouvernement rouvre le dossier de l’importation de véhicules de moins de trois ans et autorise son ministre du Commerce, Bakhti Belaïb, à en faire l’annonce publiquement. Octobre de la même année, Abdesselam Bouchouareb, alors ministre de l’Industrie et des Mines du même gouvernement, dément l’information et referme le dossier.
Ces concessions qui consacrent le pouvoir
En cette année, les concessionnaires d’automobiles neuves prenaient leur envol en Algérie et amassaient des fortunes colossales. Les portes leur ont été grandes ouvertes pour faire les affaires les plus juteuses. Bouchouareb en était le négociateur en chef. Il en avait fait un dossier de «première nécessité» en le frappant -pour le prestige- du sceau d’«une industrie automobile locale» dans une économie qui se contente jusqu’à aujourd’hui de l’assemblage de pièces venues d’ailleurs. Entre-temps, la forte implication de l’argent des affaires dans la politique avait pris des proportions inestimables. Preuve en est, novembre 2014, l’Algérie accepte que Renault la française s’installe aux alentours d’Oran pour faire assembler ses véhicules. «Ils n’auront jamais leur usine de fabrication de véhicules», nous disait un diplomate français pendant les phases de négociation sur ce projet entre Alger et Paris. L’Algérie a permis l’ouverture d’un simple hangar de montage à Oued Tlélat parce que, selon nos sources, c’était une parmi les importantes concessions qu’elle a faites à la France de Hollande pour qu’elle cautionne le 4ème mandat de Bouteflika».
Aujourd’hui, l’histoire se répète et oblige à voir en la restriction des visas aux Algériens, une des cartes de pression que la France sort à chaque fois que l’Algérie vit une situation politique sensible. Ceci, même si ses responsables diplomatiques accrédités à Alger refusent de l’admettre. Plus encore, la France doit certainement réfléchir à comment réagir tout au moins à la mise en détention préventive de Issad Rebrab, un de ses plus gros investisseurs après qu’il eut racheté une usine en faillite en banlieue parisienne et promis à son président de créer 1.000 emplois. L’incarcération du général Toufik n’est pas rien non plus pour les milieux avertis. Le chef d’état-major de l’ANP, vice-ministre de la Défense, le général de corps d’armée, Ahmed Gaïd Salah, le sait pertinemment.
Une demande récurrente de Paris
D’ailleurs, il doit trouver étrange comme tout le monde le «No Comment» de milieux étrangers comme ceux de l’Internationale socialiste, du Parti communiste français ou des ONG des droits de l’Homme après la mise aux arrêts de Louisa Hanoune, une «trotskiste» et première femme candidate à la présidentielle algérienne qui a la côte à l’étranger.
Dans ce magma politico-militaire, l’annonce de la levée de l’interdiction d’importation des véhicules d’occasion ne peut répondre uniquement à des considérations économiques même si l’importation de véhicules neufs par les concessionnaires a dépassé les 3 milliards de dollars. Elle répond d’une pierre deux coups, à une demande récurrente de Paris et à l’affaiblissement sur le court terme d’hommes d’affaires comptés sur le clan présidentiel. En parallèle, le chef d’état-major a dû se rendre compte qu’il en a trop fait en quelques jours seulement du début de la contestation populaire. Il a vu que la mise en examen de puissantes personnalités par le tribunal militaire n’a pas eu l’effet positif escompté. Le «hirak» du 12ème vendredi le lui a fait savoir. Pour les observateurs, «les manifestants comprenaient trois groupes, les arouch de Kabylie qui ne sont pas uniquement contre Gaïd Salah mais carrément contre l’armée, les islamistes qui brandissaient et embrassaient un portrait de Abassi Madani et un 3ème groupe qui scandait des slogans en faveur de l’armée». Gaïd Salah s’est abstenu de parler depuis plus d’une semaine.
Il a probablement pensé prendre une pause pour revoir sa feuille de route tout en agissant sur d’autres plans pour plaire au «hirak». Des analystes pensent même qu’il sent l’impasse au regard de l’approche rapide du 4 juillet, date de la tenue de l’élection présidentielle à laquelle il tient. «Le 9 juillet prochain, les 90 jours constitutionnels du chef de l’Etat seront terminés, l’Algérie se retrouvera sans président», font remarquer des analystes. L’on pense que le chef d’état-major va devoir tabler sur «un smig» de compromissions avec ses clans adverses et leurs réseaux externes. Certains analystes avancent même dans ce sens que « les négociations » ont commencé. L’on imaginerait mal d’ailleurs que des personnalités aussi influentes que l’ex-DRS crouleraient longtemps dans une cellule. A moins d’un retournement de situation encore plus fracassant, Gaïd Salah sait que son pouvoir en pâtira sérieusement.