Fernand Iveton, militant de la cause algérienne et de l’anticolonialisme, est exécuté par la France coloniale le 11 février 1957. Il avait trente et un ans.
Né à Alger le 12 janvier 1926, d’origine européenne (parents d’origine polonaise), il adhère au Parti communiste algérien (PCA) dès l’âge de 16 ans.
Après la déclaration du 1er novembre 1954, Fernand Iveton est chargé, le 14 novembre 1956, de déposer deux bombes pour faire sauter le tuyau à gaz d’une usine d’Alger. Il est repéré, arrêté et torturé à la prison de Barberousse (Serkadji). 10 jours après son arrestation, il est jugé au tribunal permanent des forces de l’armée coloniale à Alger et condamné à mort dans un climat de haine.
Après cassation du jugement et demande de grâce présidentielle, l’exécution de la peine est maintenue. René Coty, président français de l’époque, scelle sa mise à mort. Il est guillotiné en compagnie de deux autres frères d’armes : Mohamed Ouenouri et Ahmed Lakhnache, le 11 février 1957. La France hâte son exécution. «On m’a averti de son exécution le 10 février à 20 h.
Une heure avant le couvre-feu. L’exécution a eu lieu vers 4h du matin. Les autorités [françaises] avaient peur de la mobilisation des gens. Il fallait donc agir vite», témoigne Maître Albert Smaja, avocat de Fernand Iveton, présent au forum d’El Moudjahid hier. Iveton constituait un bouc émissaire parfait pour la France coloniale.
Un jeune communiste poseur de bombe pour justifier une révolution née de l’injustice. Réduire un idéal anticolonialiste par des tentatives de déstabilisation communiste aurait pu être une formidable pichenette historique. Il fallait en faire un exemple à ne pas suivre. Et comment réagissait la France coloniale face à ces idéalistes ? Par la mort à l’aide d’un instrument barbare : la guillotine.
Il s’agissait d’étêter les consciences. Fernand Iveton fut le seul Algérien d’origine Européenne à être guillotiné (sur 198 exécutions). Il est le troisième sur la liste des mis à mort par cette machine infernale. «Iveton est notre frère», assène M. Mustapha Boudina, président de l’association Machaal Echahid et ancien condamné à mort. «Il est le digne fils de l’Algérie indépendante», poursuit-il, en rappelant que les Européens qui ont soutenu la cause algérienne étaient nombreux.
«Il y a le réseau Johnson, les insoumis, les intellectuels qui ont apporté des aides logistiques, qui nous ont cachés…». Me Smaja rappelle également que des Algériens d’origine européenne ont milité pour l’indépendance de l’Algérie et contre le colonialisme dès les premières heures et avant le 1er novembre 1954. «Les motivations étaient peut-être différentes, mais le combat était le même», dit-il. Voilà des réalités qu’il faudrait sortir de l’ombre.
A l’heure de débats sur l’identité, les sempiternelles querelles historiques entre belligérants de la guerre d’indépendance nationale des deux rives de la Méditerranée, à l’heure où les vérités assénées sont prises comme des coups de couteau dans des plaies laissées volontairement ouvertes, des voix s’élèvent pour réinstaller le pont qui jadis a fait porter haut les plus saints des idéaux : la fin des spoliations, de la servitude et de l’asservissement. La fin du colonialisme qui «n’était pas du tout sympathique», disait encore hier Maître Marini, un avocat français impliqué dans les débats.
Rappeler que des Algériens sont morts pour la France, pendant les guerres mondiales et que des Français ont payé de leur vie pour une Algérie indépendante. «Il faut mettre un pont entre les descendants de ces deux catégories.
C’est avec eux qu’il faut écrire l’avenir», propose Boudina sous l’œil approbateur de Mme Yvette Maillot, sœur de Henri Maillot, l’aspirant ayant déserté avec un camion chargé d’armes et de munitions qu’il a livré à l’ALN, en 1956.
Et si ces Iveton, Maillot, membres du réseau Johnson constituaient le chaînon manquant pour une réécriture «salutaire» de l’histoire de la guerre d’Algérie ? Louis Iveton, frère du martyr Fernand, était en larmes. Un trop plein d’émotion l’empêchait de parler. «Il vient de prendre conscience de toute la dimension que représente son frère», tempère Maître Smaja.
«La vie d’un homme, la mienne, compte peu, ce qui compte, c’est l’Algérie, son avenir et l’Algérie sera libre demain», déclarait Fernand Iveton au greffe de la prison avant sa mort. Un Algérien d’origine européenne qui a rejeté sa condition confortable contre un idéal : l’anticolonialisme. Il est temps, que la mémoire se régénère. L’oubli est un mal qu’il faut combattre par la reconnaissance.
Il est urgent de faire figurer les noms de ces humanistes, engagés, révoltés, allant jusqu’à payer de leur vie les rêves qu’ils caressaient, sur des rues, des établissements scolaires et autres institutions. Les intervenants du forum insistent sur cette démarche. «C’est comme cela qu’on peut créer une union pour l’éternité», tranche Me Zertal, avocat de l’autre guillotiné Ahmed Zahana.
Par Samir Azzoug