Hommage à une grande dame de la chanson algérienne : Djamila ou l’art d’être artiste

Hommage à une grande dame de la chanson algérienne : Djamila ou l’art d’être artiste

Un vibrant hommage a été rendu, samedi à la salle Ibn Zeydoun de Ryad El-Feth, à la grande dame de la chanson kabyle, Djamila.

Cette artiste s’est sacrifiée pour l’amour de la musique, de l’art. Elle a égayé de sa voix limpide «Ourar Nelkhalat» à la Chaîne II,

à la télévision par ses différents rôles, en arabe ou en amazigh, ainsi que le théâtre radiophonique

Durant toute sa carrière, elle a su nous restituer à travers ses chants, la beauté du verbe et l’harmonie d’une ligne mélodique. C’est donc un vibrant hommage qui lui a été rendu en présence de la ministre de la Culture Khalida Toumi, du directeur de la maison de la culture de Tizi-Ouzou,  d’une pléiade  artistes qui ont animé la soirée, en l’occurrence Djamel Chir, Nacera Khaloui, Mohamed Lamraoui et Nadia Baroud, en présence des membres de sa famille, de ses amis ainsi que de nombreuses personnalités du monde de l’art et de la culture. Cet hommage rentre dans la cadre de la série d’hommages organisés par le ministère de la Culture en collaboration avec l’office Ryad El Feth.

La cérémonie d’honneur dédiée a débuté par la projection d’un film documentaire sur le parcours artistique et personnel de Djamila. De son vrai nom Djohar Bachane, née le 2 mai 1930 à Ait Bouhouni,  commune de Azazga, wilaya de Tizi-Ouzou. Mariée à l’âge de 12 ans, elle vivait entre Ben Aknoun, Bouzaréah et Alger-Centre où elle a eu la chance d’avoir à ses côtés,  la grande chanteuse kabyle Na Chabha. Cette dernière était la première à avoir découvert le talent, le don et la voix cristalline de Djohar (Djamila). Pour mettre en lumière son talent,  Na Chabha  l’a amenée à la Radio algérienne pour lui faire des essais dans une émission de radio, diffusée dans les deux langues,  en arabe et en amazigh, avec les deux maîtres  de l’époque Boudali Safir et Saïd Rezagui et dont le chef d’orchestre était Cheikh Nourredine Meziane, qui l’a beaucoup encouragée, conseillée et aidée. C’est en 1951 qu’une nouvelle étoile de la chanson kabyle vient de naître, Djamila marque, alors son nom en lettres d’or sur la scène musicale et commence sa carrière par l’animation radiophonique dans une émission qui s’intitule «les femmes au foyer» ainsi qu’une autre émission pour enfants avec Abdelmadjid Ben Nacer, Ahmed Halit, Ibrahim Darri et Hassen El Hadj. En 1953 et après la petite expérience qu’elle a acquise  à la radio, Djamila s’est mise à écrire et à chanter des chansons qui ont eu un grand succès populaire tel que Abahri, Sioutass Sllam, qui étaient des messages pour émigrés. Par la suite elle a rejoint la chorale féminine Ourar L Khalath à la Chaîne II, sous la houlette de «Lla Yamina, Chabha, Wrida et bien d’autres qui étaient les leaders de la chanson amazigh. Le domaine artistique n’a pas empêché Djamila de militer pour la cause de son pays, chose qui était bien exprimée dans sa chanson Tamourth ladzayer, Aya Assas El Djamaâ.  Après l’Indépendance, Djamila a connu une grande notoriété en compagnie d’une pléiade d’artistes comme   Nouara, Cherifa Elle a fait beaucoup de tournées en Algérie et à  l’étranger avec Akli Yahiatene  Youssef Abjaoui. Elle  était sollicitée pour jouer dans des rôles cinématographiques dans des courts métrages comme Le colonel Si Belaid, Le bus des rêves en 1962 réalisé par Mustapha Tizraoui, Le vent des Aurès de Lakhdar Hamina et  Les hors la loi de Toufik Farés,  Leila et les autres de Sid Ali Mazif… et bien d’autres. Elle a aussi un répertoire musical bien riche qui comporte plusieurs titres qui ont fait des succès dans cette période des années 60 et 70 comme Arnouyess Amen a khali, Amelayoun, Aya h’mem… Djamila fait partie de ces femmes qui se sont révoltées contre leur époque, contre un joug  imposé par une société masculine, où la liberté de la femme constituerait le plus grand des sacrilèges. C’est une femme qui a préféré l’errance et toutes les misères dues à la  soumission et au fatalisme. Une femme pleine d’espoir et d’émotion. Elle se fraye un passage, une place pour coller le verbe libre à toutes les bouches.

La soirée d’honneur s’est poursuivit par le passage d’une pléiade d’artistes qui sont venus spécialement pour partager ces moments avec elle et pour lui apporter un peu de bonheur, mais aussi pour lui témoigner leur reconnaissance pour tout ce qu’elle a donné pour la musique amazigh. Parmi eux, Djamel Chir qui a tenu à être présent pour lui faire plaisir en lui chantant Ya Djamila, puis Ayemess hagiyess abarnous et a enchaîné avec Ah ya toulawine, où il a mis le feu dans la salle sous les youyous et les forts applaudissements de l’assistance. La jeune chanteuse kabyle venu de Tizi-Ouzou, Nacera Kheloui n’a pas manqué à son tour ce rendez-vous où elle a interprété Cheikh Amokrane et Awid Afoussik suivi du chanteur chaâbi Mohamed Lamraoui qui a rendu à son tour un hommage à tous les artistes par une chanson de sa composition Ya hasra alik ya fanen, et  Zahriw de Djamila. Lamraoui a suscité les émotions des présents en les transportant dans un climat de quiétude. A son tour la coqueluche de la chanson kabyle Nadia Baroud a rendu hommage à cette grande dame tout en la remerciant pour ce qu’elle a donné à la scène musicale féminine. «Je dois d’abord lui dire merci parce qu’elle nous a ouvert les portes et elle nous a donné du courage pour entrer dans  ce milieu qui était interdit à  la femme»,  déclare t-elle.

La soirée se termine   dans une ambiance très spéciale qui  a régné durant la cérémonie. Elle fut  empreinte d’émotion, de confidences et de chagrins narrés par l’artiste qui est montée sur scène pour saluer son public et lui chanter  un court achouik très prisé par le public.

Kafia Ait Allouache

Djamila : “Cet hommage me va droit au cœur”

«Je suis vraiment contente pour cet hommage qui m’a été rendu  attribué aujourd’hui, par toutes  ces personnes qui ont tenu à partager ma joie et ma fierté d’être parmi elles. Je remercie la ministre de la Culture Mme Khalida Toumi pour tout ce qu’elle fait en direction de la culture et en particulier pour sa constante sollicitude envers le monde des artistes. C’est un geste que j’apprécie fortement et qui renseigne d’une  manière éloquente, le souci de la ministre à encourager les artistes surtout ceux qui ont fait un long chemin dans ce domaine.

Pour ma part, je considère que cet hommage est un humble témoignage de reconnaissance à ma longue carrière au service de la chanson, du cinéma et de la radio.»

Djamel Chir : “Djamila est une digne pionnière de la chanson féminine”

«Djamila fait partie des premières chanteuses  que j’ai connues  au début de ma carrière artistique à la radio algérienne. Elle m’a beaucoup encouragé et par la suite on est devenu de bons amis. On a travaillé ensemble dans plusieurs galas. Elle a souvent corrigé mes chansons parce que en tant qu’auteur compositeur né à Alger, je fais beaucoup de fautes dans la prononciation des mots kabyles, alors elle me corrige. Elle est pour moi comme un membre de ma famille. Elle est gentille, simple, humble et pleine de générosité. J’aime beaucoup cette femme et je lui souhaite un bon rétablissement parce qu’elle est un peu malade, je lui souhaite aussi  une longue vie.»

Mohamed Lamraoui :

“Profiter de son talent”

«C’est un très grand honneur pour moi de participer à l’hommage d’une grande dame de la chanson kabyle, qui a donné beaucoup pour la scène musicale et artistique d’une manière générale. Parce qu’elle est actrice et comédienne aussi.

En tant qu’artiste de la nouvelle génération, je peux dire que c’est un devoir pour moi de lui rendre hommage.

C’est grâce à ces piliers de la chanson algérienne que nous existons aujourd’hui. Je souhaite que nous puissions profiter de leur expérience qui   nous sera utile, mais aussi nous permettra de préserver notre patrimoine.»

Nadia Baroud :

“Une chanteuse modèle”

«Pour nous les jeunes artistes, Djamila, Cherifa, Nouara et bien d’autres sont les pionnières de la musique amazigh. Elles nous ont ouvert les portes et c’est grâce à elles que nous existons aujourd’hui. Parce que il faut bien dire que la femme n’avait pas le droit d’entrer dans ce milieu, c’était strictement interdit. Le milieu artistique était une honte pour la gent féminine. Alors ces femmes pour nous, sont des modèles que nous suivons avec plaisir et amour. Nous souhaitons bien sûr avoir le même parcours qu’elles et la même gloire pour marquer notre empreinte dans ce milieu artistique. J’adore cette femme pour ce qu’elle a donné à la scène artistique et je lui souhaite une longue vie.»

Propos recueillis par Kafia A. A.