Gardons ceci en mémoire :
Ce mouvement citoyen sans précédent doit une partie de son éclosion à une jeunesse laissée pour compte qui, pendant de très longues années, n’a eu que les stades et le foot comme exutoires.
Au-delà de tous les sobriquets dont elle est notoirement affublée, cette jeunesse dont certains d’entre nous font partie et que d’autres croisent dans la rue, le triste qualificatif qu’elle a reçu sans le vouloir, c’est « 3raya » (des voyous – en algérien dans le texte).
De grâce, ne prononçons plus jamais ce mot sans nous arrêter sur le moteur de la cassure, sans nous interroger sur la mécanique de la désunion et quel carburant l’alimente à notre insu. Pourquoi cette jeunesse qui regorge d’énergie et de citoyenneté est-elle ce qu’elle est ? L’a-t-elle ouvertement sollicité ? Le destin a-t-il frappé à la porte de chacun pour lui demander de choisir d’être un 3aryane ou pas ?
Je ne souhaite pas être dans l’émotion ‘excluante’, ni encore moins dans l’excès grotesque de repentance. Bien sûr il y a parmi ceux-là comme parmi d’autres certains qui arrachent des téléphones et prennent la fuite, certains qui insultent des filles gratuitement et impunément, et bien d’autres choses encore. Mais pourquoi ? Et comment ? Qu’est-ce que cela cache ? De quelle dure réalité sociale et de quelle désolante politique éducative tout cela est le résultat ? Peut-on au moins se donner la peine de réfléchir un instant ? Chercher le pourquoi des choses au lieu de se contenter d’un adjectif vaguement formulé pour indiquer une virtuelle partie du monde habitée par ces autres, là, tout près mais séparément ?
Je suis honteux du peu de fois où il m’est arrivé de dire ou de penser ce mot à propos d’une personne, simplement parce qu’elle est habillée d’une certaine façon, simplement parce qu’elle habite un certain quartier, ou simplement parce qu’elle a certaines manières de se tenir. Je suis également honteux de devoir écrire cela, de devoir m’expliquer en mon nom et sans doute au nom de beaucoup d’entre vous qui auront l’humilité de l’aveu et non pas la suffisance du rejet. Je m’en veux de devoir écrire cela, car je m’efforce de mettre des mots sur une supposée altérité dont les symptômes ne sont que des taches féroces sur la façade de ce qui aurait dû être tolérance et fraternité.
Comme s’il existait moi, et puis cet autre que je ne suis pas.
Pourtant je le suis aussi, moi, un voyou ; un 3aryane. Je suis un voyou qui n’a pas réussi à l’être, un 3aryane raté qui n’a suivi le cursus de la rue que par intermittence. Je suis un voyou que le hasard fantasque a fait naître un peu plus loin mais dans la même ville que les autres. J’ai manqué de peu d’être parmi vous, mes chers frères de sang et de terre. J’ai manqué de peu de mériter autant que vous cette douce appellation de « voyou ».
À présent je suis à la traîne, derrière vous qui menez une marche qui a pourtant germé dans mes tripes autant qu’elle a germé dans les vôtres. Mais je vous suis avec assurance et respect, et j’aurais au moins rattrapé quelque chose de mon échec en récitant par cœur et sans balbutier les hymnes nouveaux que vous avez fait descendre dans la rue. Moi aussi j’en ai le cœur qui vibre et le corps qui tressaillit, quand je crie les mêmes refrains que des milliers d’autres autour de moi.
Moi aussi, sa3et el f’jer ou ma ijini noum. Car je pense à cette Algérie qui n’en finit pas de naître et dont les gémissements nous serrent l’estomac et nous montent brûlants à la gorge. La gestation a été longue et la naissance a pris du temps, car les uns pensaient pouvoir vivre l’Algérie sans les autres, et inversement. Maintenant que nous avons arraché la paternité à ceux-là qui d’en haut croyaient pouvoir nous duper indéfiniment, nous avons enfin compris que nous devons la vivre ensemble cette Algérie, que seule l’union rendra possible l’enfantement.
Larbi Amine Lamellad
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