Plus de place aux tabous ni à la frilosité. Les autorités viennent d’oser une série d’opérations à même de faire frémir le secteur de la santé englouti depuis longtemps dans d’immenses problèmes et dysfonctionnements.
S’il y a un domaine où l’Algérie a réussi l’échec, c’est bien celui de la santé. Turbulences syndicales, pénuries récurrentes de médicaments et des prestations hospitalières médiocres. La prouesse a été telle que le mot «hôpital» est devenu dans l’imaginaire algérien synonyme de mouroir. Ce n’est pas du pessimisme exagéré sur notre système de santé qui montre de réels signes d’essoufflement.
Le mécontentement est généralisé. Il n’y a qu’à voir les chaînes interminables des malades dans les salles des hôpitaux. Que dire alors des patients souffrant du cancer? Trois centres anticancer pour un pays de près de 40 millions d’habitants! Hier, le ministre a annoncé que quatre nouveaux centres anticancer (Cac) devraient être ouverts à travers le territoire national d’ici à la fin de l’année en cours.
En attendant, c’est la galère pour les cancéreux. Trouver un rendez-vous pour une radiothérapie sans recourir aux «relations» peut durer jusqu’à deux ans. Cette situation est-elle normale dans un pays qui dort sur des milliards de dollars? Si l’argent des Algériens sert à importer des kiwis, des bananes et autres délices exotiques, cela est un luxe dont l’Algérien peut aisément s’en passer, mais le médicament, quel qu’en soit le prix, n’est jamais un luxe.
Pas plus loin qu’hier, le président du Snapo, Fayçal Abed, a évoqué les ruptures actuelles de médicaments, indiquant que 220 marques de médicaments manquaient sur le marché national. C’est un crime que de ne pas soulager les patients, surtout que l’Etat ne manque pas de moyens financiers pour bâtir des hôpitaux, assurer la disponibilité de tous les médicaments et les vaccins et attirer les meilleurs professeurs de médecine au monde.
Les Algériens ne peuvent-ils pas se hisser au niveau de la Jordanie? Ce pays est devenu un pourvoyeur de soins et de médicaments pour le Monde arabe dont l’Algérie. Pourtant, durant les années 1970, la Jordanie n’avait pas la moitié de nos infrastructures et de nos ressources humaines.
Des exemples de réussite existent
La Tunisie, avec tous ses problèmes financiers, arrive à produire ses médicaments. Elle fait mieux, elle est en passe de devenir une très bonne adresse pour le tourisme médical. Que fait l’Algérie entre-temps? Elle laisse le secteur en totale jachère. Nombreux sont les grands professeurs et spécialistes qui quittent le pays pour d’autres horizons, et ceux qui restent sont broyés par le quotidien «sanitaire» algérien.
A tel point que la formation en pâtit. Selon la présidente de l’Union nationale des sages-femmes algériennes, Mme Akila Guerrouche, 80% des sages-femmes sont poursuivies en justice. «Les poursuites en justice des sages-femmes se multiplient et risquent d’atteindre les 100% dans quelque temps», a ajouté la responsable. Il y a une semaine, c’est le ministre de la Santé, Abdelmalek Boudiaf qui révèle un terrible scandale: les services de sécurité enquêtent sur le vol de médicaments dans les hôpitaux
. M.Boudiaf a indiqué avoir donné des instructions aux services de sécurité aux fins d’enquêter sur le vol de médicaments dans le secteur public et leur transfert vers une destination extérieure, y compris à l’étranger. Il n’y a pas que les médicament, les équipements et même le sang des Algériens, oui le sang est vendu en contrebande à l’étranger.
Que faire alors? Il faut agir et en urgence, car il y a un peuple en danger. Des exemples de réussite dans le secteur médical existent. A titre d’exemple, la clinique El Bordj en est un de ces projets réussis, aussi bien en termes de prise en charge que de la qualité des soins prodigués aux patients. Il s’agit de trouver des mécanismes d’accès à ces structures. Il faut pour cela une réorganisation efficace du secteur pour répondre aux préoccupations du citoyen. Il ne s’agira surtout pas d’une privatisation «sauvage» qui laisserait les plus pauvres sur le carreau, mais de consolider le système de santé publique existant puisqu’il demeure fort et viable, à côté d’un système privé complémentaire et régulé.
On a senti comme une précipitation à aller vers les privatisations de ce secteur ou alors il s’agissait d’une crainte d’assumer publiquement cette décision. Cette hésitation apparaît en filigrane dans le timing choisi pour annoncer la construction du premier hôpital privé en Algérie. En effet, c’est juste après avoir révélé le scandale du vol des médicaments dans les hôpitaux que le ministère de la Santé a annoncé avoir donné son accord pour la réalisation d’un hôpital privé dans la wilaya de Blida, une première en Algérie.
«C’est une première en Algérie, une autre phase pour dire que nous sommes ouverts au changement. Nous encourageons à faire ainsi un travail de complémentarité entre le privé et le public», a déclaré à la presse, M. Boudiaf, à la clôture des assises régionales (centre) de la santé. M.Boudiaf a, par ailleurs, indiqué que le dossier de la carte sanitaire qui aura pour mission de réorganiser complètement le fonctionnement du secteur de la santé avait été finalisé et allait être présenté au gouvernement en vue de son adoption.
Un pôle biotechnologie à Sidi Abdellah
Mais le malheur des uns fait le bonheur des autres. C’est le cas de le dire à voir le comportement des différents laboratoires pharmaceutiques qui se bousculent au portillon, car le marché est très juteux. L’Algérie représente un marché de près de 3 milliards de dollars, l’un des plus grands en Afrique et dans le Monde arabe. C’est un nouvel eldorado du médicament qui se dessine et la course est ouverte entre Français, Américains, Chinois et Britanniques. Le laboratoire français Sanofi a annoncé, en septembre 2013, le début des travaux de construction de sa nouvelle usine de médicaments en Algérie pour un investissement de 70 millions d’euros.
Implantée au sein du pôle pharmaceutique et biotechnologique de la ville de Sidi Abdellah. Le site dont l’exploitation est prévue en 2017 deviendra le plus important site industriel de Sanofi en Afrique. Il aura une capacité de production et de distribution de 100 millions d’unités par an.
Ne faisant pas les choses à moitié, les Américains voient grand: après le Singapour en Asie, et l’Irlande en Europe, c’est Alger qui accueillera le troisième pôle régional au monde d’excellence dans le domaine de la biotechnologie. Un pôle qui rayonnera d’ici à 2020 sur l’Afrique et le Moyen-Orient. Le président du Conseil d’affaires algéro-américain (Uabc), Smaïl Chikhoune, dira que ce projet pourra capter des investissements de 12 milliards de dollars à l’horizon 2020. C’est «le marché» de la gestion des hôpitaux que les Britanniques visent en Algérie et les Chinois se penchent sur les équipements. Le secteur est vierge et l’argent existe à flots.
Durant ses périples à travers le territoire national et durant ses meetings de campagne électorale, le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, a beaucoup insisté sur la démocratie de proximité. N’est-il pas plus judicieux de commencer par la démocratie sanitaire? On a beaucoup spéculé sur le principe de décentralisation.
Commencer par le secteur sanitaire en consolidant cette décentralisation en matière de prise de décision, ainsi que les actes de gestion ferait gagner de l’argent et épargner et sauver des vies. Enfin, le débat sur les relations entre les secteurs public et privé n’a pas été tranché.
Les choses sérieuses doivent commencer dans le secteur de la santé en créant des passerelles légales et réglementaires entre le secteur public et privé dans le but d’assurer une complémentarité réelle et transparente de prise en charge des usagers.