Indigènes a marqué les esprits. En compétition, il y a quatre ans, au Festival de Cannes, cette saga sur des Algériens portant l’uniforme français pendant la seconde guerre mondiale avait décroché un prix d’interprétation masculine collectif… et poussé le Parlement à voter une loi accordant des pensions à ces anciens combattants.
Hors-la-loi, du même Rachid Bouchared, en compétition sous pavillon algérien, marquera aussi les esprits, au moins pour la controverse que le film a suscitée, jusqu’à Cannes, sur la façon de montrer les massacres de Sétif, dans le Constantinois, en 1945. Cette séquence est impressionnante. Le 8 mai, la manifestation pour fêter la fin de la guerre est transformée par des Algériens en revendication pour l’indépendance de leur pays. Elle devient une boucherie après le tir d’un policier sur un jeune qui arborait le drapeau national.
Le film raconte l’histoire de trois frères chassés de chez eux et déterminés à reconquérir un jour leur pays. Ils sont installés dans le bidonville de Nanterre. Après un séjour en prison comme opposant politique, Abdelkader (Sami Bouajila) s’engage dans le Front de libération nationale (FLN). Il est bientôt rejoint par l’aîné, Messaoud (Roschdy Zem), soldat en Indochine. Refusant de « faire l’esclave chez Renault », le troisième frère, Saïd (Jamel Debbouze), choisit la filière des voyous, fait fortune à Pigalle et rechigne à apporter son soutien aux militants clandestins.
Plus encore qu’Indigènes, cette fresque dépeignant les combats parisiens de la branche armée du FLN jusqu’à l’indépendance, en 1962, a du souffle. Rachid Bouchareb hausse sa mise en scène d’un cran, emporté par un lyrisme qui lorgne sur les maîtres. Il serait ridicule de le comparer à Melville, à Coppola, à Visconti ou à Johnny To.
Mais d’évidence, il pense à L’Armée des ombres, de Jean-Pierre Melville (1969), quand il oppose Abdelkader à un ténébreux flic au chapeau feutre (Bernard Blancan) et fait dire au premier que sa lutte s’apparente à celle que menèrent les résistants français contre les Allemands. La scène de l’étranglement du militant ayant raflé la caisse renvoie à une scène du film de Melville dans laquelle un jeune résistant identifié comme traître subissait le même châtiment.
Radicalité sauvage
Portrait de famille, Hors-la-loi se veut un Parrain dont la conscience morale et nationale est incarnée par la mère. A partir de l’assassinat dans son bureau de l’inspecteur Picot, flic prompt à torturer les « bougnoules » et à les jeter dans la Seine, nous basculons dans un western. Les mitraillettes crépitent, l’irréalisme s’affiche. Le traquenard nocturne final lorgne sur la légende des films noirs.
C’est sur ce lyrisme, ce goût du cinoche populaire, cette dévotion à une mythologie du flingue et des cabarets louches, qu’il faut juger Hors-la-loi. Et aussi sur son refus de faire la moindre concession au terrorisme. Personnage central, le dogmatique Abdelkader est montré comme un homme dont l’humanité et le sens de la justice sont dépassés par une radicalité sauvage et glaçante. La manière dont il liquide un Algérien préférant le combat démocratique est de nature à dissiper le doute sur le militantisme de Bouchareb. Comme ces pleurs de Messaoud, dont les mains tremblent d’avoir tant tué, y compris des compatriotes.
Entre porteurs de valises et fanatiques de la Main rouge (groupuscule criminel à la solde du pouvoir français), Bouchareb montre qu’en dépit des idéaux, il est divers degrés dans l’engagement, plusieurs manières de gérer sa conscience et de préserver son âme.
Film algérien de Rachid Bouchareb avec Sami Bouajila, Roschdy Zem, Jamel Debbouze, Bernard Blancan. (2 h 18.) Sortie le 22 septembre.
Jean-Luc Douin
Article paru dans l’éditio