“On attend toujours de l’État algérien, qui s’est engagé, qu’il concrétise ces mesures. Celui qui doit nous répondre, c’est le chef de l’État”, martèle-t-il.
Quinze jours après sa rencontre avec le chef de l’État, Abdelkader Bensalah, le coordonnateur du panel chargé du dialogue et de la médiation, Karim Younès, visiblement loin d’être ébranlé par les critiques, s’attend toujours à la concrétisation des préalables soulevés dont la libération des “détenus d’opinion”, la cessation des “violences”, qualifiées “d’inacceptables” à l’égard des manifestants, la levée des barrages à l’entrée d’Alger les vendredis et le départ du gouvernement. Invité hier par Radio M, Karim Younès a rappelé que “concernant les premières mesures, la libération des détenus…, l’État s’était montré compréhensif”. “M. Bensalah a dit que ce ne sont pas des choses difficiles, qui entravent. Il a donné son accord pour qu’elles soient concrétisées sur le terrain dans les plus brefs délais”. “Il nous a demandé, en revanche, d’être compréhensifs quant à la question du départ du gouvernement car cela concerne des questions constitutionnelles et qu’il faut un peu de temps”, a-t-il rappelé. “On a défendu les positions du peuple.
Il y a des solutions qui ne sont pas loin de la Constitution, car concernant cette demande du départ du gouvernement, tout le monde dit que l’Exécutif a été placé par l’ancien régime. Ce n’est donc pas une question de personnes”, a-t-il ajouté. Même si ces “préalables” semblent, au regard des derniers propos de Gaïd Salah qui y avait opposé une fin de non-recevoir, les assimilant à des “diktats”, Karim Younès espère toujours qu’ils seront concrétisés. “On attend toujours de l’État algérien, qui s’est engagé, qu’il concrétise ces mesures afin d’apaiser le climat. Mais, il ne l’a pas fait jusque-là.” “Gaïd Salah a répondu et refuse ces conditions”, lui fait observer la journaliste. “Nous, nous avons rencontré le chef de l’État. Celui qui doit nous répondre, c’est le chef de l’État”, martèle Karim Younès.
Considère-t-il le dernier discours de Gaïd Salah comme un “non-événement” ? “Je ne considère rien. Je ne commente pas. Je commente ce que dit le premier responsable de l’État qui est le chef de l’État, lequel s’est engagé à travers un communiqué officiel”, dit-il. Invité à commenter la sortie de l’économiste, Smaïl Lalmas, évoquant l’existence de “divergences au sommet de l’État”, Karim Younès s’est refusé à tout commentaire. “C’est son point de vue, je ne le commente pas. Ce n’est pas mon rôle de commenter s’il y a divergences au sommet de l’État ; ce n’est pas ma mission.”
Vers une rencontre avec Hamrouche et Taleb Ibrahimi
Revenant sur les circonstances de la mise en place du panel, Karim Younès rappelle qu’il s’agissait d’une proposition du Forum civil pour le changement, mais nullement d’une “partie officielle”, refusant au passage de commenter la sortie de Nacer Djabi, lequel avait affirmé avoir été “contacté par une partie officielle”. Il s’est dit également respecter les positions des uns et des autres, y compris ceux qui ont refusé d’intégrer le panel et qu’il invite à prendre des initiatives. “Même ceux qui ont refusé, nous allons les contacter pour bénéficier de leurs idées, s’il le faut chez eux, car ce sont des personnalités respectables. Nombre d’entre eux sont des pionniers du mouvement national et dans l’activité politique. Il y a aussi des compétences que nous allons contacter”, affirme Karim Younès, dans une allusion probablement à Mouloud Hamrouche et Taleb Ibrahimi, entre autres.
S’il a renoncé à la démission, c’est parce qu’il a été dissuadé par “beaucoup de personnes qui lui ont apporté leur soutien”, et assure que “toutes les questions” seront mises sur la table durant les phases de dialogue, y compris le processus constituant, l’important étant d’arriver, à ses yeux, à une vision commune de sortie de crise. “Toutes les questions posées sur la scène seront ouvertes, mais les élections, que ce soit dans un mois, deux ou l’année prochaine, il faut qu’il y ait des élections. On a un environnement, les étrangers doivent savoir qui dirige légitimement le pays. On n’a pas d’autres choix”, précise-t-il, cependant. Il sera également question de parler de la loi sur l’information. Dans ce contexte, Karim Younès trouve “anormal” le blocage des sites d’informations, à l’image de TSA et Interlignes Algérie auxquels il a exprimé sa “solidarité”.
Réquisitoire du procureur d’Annaba : “Une foutaise”
Convaincu que l’engagement d’un processus de dialogue est tributaire des mesures d’apaisement, Karim Younès n’a pas manqué de fustiger le “procureur” d’Annaba qui a requis dix ans de prison à l’encontre d’un manifestant ayant porté l’emblème amazigh. “Je n’ai pas le droit de commenter la décision de justice. Mais c’est de la foutaise. Nous, nous demandons l’apaisement de la situation et on nous sort un réquisitoire de dix ans. Où allons-nous ? Où vit ce procureur ? Nous avons besoin de trêve”, s’insurge-t-il. Et même si ce réquisitoire traduisait la réponse du “régime”, il soutient qu’il ne “changerait pas de discours”. “Je condamne ce réquisitoire, cela ne permet pas d’apaiser le climat ; il (le procureur, ndlr) sabote le processus de médiation”, dit-il encore avant de suggérer qu’il n’est pas disposé à dialoguer avec les partis qui n’exigent pas ces préalables. “Je l’ai déjà dit : je ne peux pas me réunir autour d’une table avec des partis alors que les gens sont en prison pour des raisons qui ne tiennent pas debout. On respecte la justice, mais Inch’Allah ce jeune passera l’Aïd avec sa famille”. Le hirak “doit se poursuivre” et l’armée “doit rejoindre les casernes”.
À propos de la sortie de l’avocate Fatma-Zohra Benbraham, membre du panel, qui a dénié le statut de “détenus d’opinion” aux jeunes incarcérés, Karim Younès révèle que ses déclarations sont antérieures à son intégration et qu’il lui a demandé de “faire une mise au point”. Quant à Lakhdar Bouregâa, un “ami qu’il respecte”, dont la demande de libération est absente des préalables, Karim Younès soutient que son “dossier est particulier, sans lien avec le mouvement”. “Naturellement, nous voulons qu’il soit libre, mais nous n’avons pas les moyens légaux pour nous interférer.” Et le rôle de l’armée dans les semaines à venir et dans le dialogue ? “Son rôle est dans les casernes !”, tranche-t-il. Avant de conclure, Karim Younès a émis le vœu que le “hirak se poursuive”. “Il est devoir du hirak de se poursuivre, et ce ne sont pas des ordres que je donne, pour constituer une carte de pression à même de répondre à ses ambitions et à imposer le changement de système.
S’il arrête, il va retirer le tapis sous les pieds des personnes qui veulent le dialogue pour changer le système. Oui, il doit continuer”, dit-il. Celui qui dit s’être opposé à Bouteflika dès 2003 et qu’il a été en dehors du système depuis cette date, non sans subir des conséquences, insiste que l’ambition du panel est de “dépasser l’impasse”. “Nous sommes Djmâat el khir”, répète-t-il. Et comme pour rappeler que le panel n’a pas l’ambition d’être un porte-parole du hirak, il se dit même respecter ceux qui appellent à la désobéissance civile, même si l’idée, selon lui, n’est pas partagée par tous.
Karim Kebir