Il est décrit comme manipulateur, prévaricateur et imbu de sa personne : Ces archives de la DGSE qui éclaboussent la réputation de Bouteflika

Il est décrit comme manipulateur, prévaricateur et imbu de sa personne :  Ces archives de la DGSE qui éclaboussent la réputation de Bouteflika

Ces documents se rapportent à l’époque où le chef de l’État était ministre des Affaires étrangères. Certaines informations sont déclassifiées alors que d’autres ont été obtenues en exclusivité par l’hebdomadaire français

‘’L’Obs’’ en janvier dernier.

L’hebdomadaire français L’Obs (anciennement Le Nouvel Observateur), qui sera disponible en version papier aujourd’hui, a publié une enquête sur le président Bouteflika, à l’époque où il était ministre des Affaires étrangères. Cet article a été construit sur la base d’archives de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE).

Selon la journaliste Celine Lussato, une partie des documents sont déclassifiés (ils font référence à la période entre 1962 et 1983) alors que d’autres ont été obtenus exclusivement par L’Obs en janvier dernier.

La plupart des informations concernant Bouteflika proviennent de notes diplomatiques, dont les télégrammes chiffrés quotidiens adressés par l’ambassade de France à Alger au Quai d’Orsay.

Le profil qui est dressé du chef de la diplomatie algérienne qu’était alors Bouteflika est plutôt sombre. “Le jeune homme frêle et fluet” est décrit comme un intrigant, un prévaricateur et un mégalomane susceptible.

Des notes évoquent “un personnage dénué de scrupules, doté d’une intelligence aiguë et d’une grande ambition, capable de risquer sa mise sur un seul coup”.

Le Sdece, ancêtre de la DGSE, s’intéresse de plus en plus à lui, à la suite du coup d’État contre Ben Bella dans lequel il apparaît comme le principal instigateur. Celui qui se présente comme “un homme de gauche”, un lecteur assidu et qui s’impose comme “un négociateur retors” est qualifié de grand manipulateur.

À propos du coup d’État contre Ben Bella, une note révèle que Louis Dauge, ministre délégué à l’ambassade de France, a été convoqué dans la matinée qui a suivi le renversement de l’ex-Président, au MAE où Bouteflika lui a fait part de ses impressions. Le diplomate écrira plus tard : “Il est clair que le ministre des Affaires étrangères fait du coup d’État une affaire personnelle.”

Un autre document révèle que Bouteflika a convaincu Houari Boumediene, chef d’état-major, de se débarrasser de Ben Bella car celui-ci constituait une menace, surtout pour lui. Après avoir fait arrêter son chef de cabinet, Abdelatif Rahal, l’ancien Président lui aurait demandé de “quitter son poste de ministre”.

Le jeune ministre des AE se chargera, selon les services secrets français, d’éliminer, plus tard, tous ses rivaux, y compris l’épouse du président Boumediene.

Une des notes, datant du 7 octobre 1974, souligne qu’“il est à peu près certain que le président Boumediene s’est vu contraint par l’action conjuguée de MM. Bouteflika et Medeghri, ministre de l’Intérieur, de ramener dans l’ombre sa propre épouse” car “elle portait ombrage à ceux qui, comme le ministre des Affaires étrangères, avaient jusque-là l’exclusivité de l’accès direct auprès de Houari Boumediene”. Les diplomates français à Alger rapportent à ce sujet que Bouteflika aurait mal vécu un voyage à Cuba, où l’on voyait, à la télévision, Anissa Boumediene “souriante à côté du Président tandis que Bouteflika, perdu dans la foule, essayait vainement de sauver la face”. Pour se venger, le ministre des AE aurait   transmis à Boumediene des factures d’achat de bijoux à Paris par son épouse, l’obligeant à la mettre définitivement à l’écart.

Plus grave, les services secrets français laissent penser que Bouteflika est peut-être impliqué dans l’assassinat d’opposants politiques. Le meurtre de Krim Belkacem à Francfort, en Allemagne, a été planifié, selon les services de renseignements français, par l’attaché militaire de l’ambassade d’Algérie à Paris.

Malgré ces soupçons, le ministre algérien est perçu par Paris comme un allié et on cède à son désir de vouloir paraître comme le “second personnage du régime”. “Le jeune farfelu d’autrefois a fait place à un homme politique qui croit vraiment à la coopération entre son pays et la France (…) Bouteflika a grandement évolué. Alors que pour lui, Castro était autrefois l’exemple à suivre, il ne qualifie plus le chef de l’État cubain que de fou furieux”, se félicite Paris.

À Alger, le président Boumediene a une toute autre opinion.

Il ne fait pas totalement confiance à son ministre des AE et le fait surveiller.

Cet espionnage servait, selon les notes obtenues par L’Obs, “à recueillir des éléments sur les écarts de mœurs”. Après la mort de Boumediene, Bouteflika tombe en disgrâce. Des notes diplomatiques confirment à cette époque que “toute son équipe a été liquidée”. D’autres relayent les soupçons de corruption.

“La corruption de Bouteflika était de notoriété publique”, souligne un télégramme du 17 mai 1983. L’ancien ambassadeur de France, Guy Georgy, avait, notamment, écrit qu’“il passait pour un grand prévaricateur” et “constituait un gibier de choix non seulement pour sa gestion des fonds publics, mais aussi parce qu’il avait peuplé son ministère de copains et de coquins”.

S. L.-K.