Il nous a quittés le 28 janvier 1983 Slimane Azem: « Algérie mon beau pays »

Il nous a quittés le 28 janvier 1983 Slimane Azem: « Algérie mon beau pays »

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L’immense ciseleur de mots, Slimane Azem, est décédé le 28 janvier 1983. 36 ans après, il demeure toujours là. Sa voix mélodieuse retentit encore un peu partout et ses poèmes ont gardé la même fraîcheur et la même profondeur.

Plus encore, ils sont toujours d’actualité. Quand on veut revisiter la Kabylie d’antan, quoi de mieux que de tendre l’oreille à la voix succulente de Slimane Azem afin de s’en ressourcer à satiété en écoutant les chansons immortelles de Slimane Azem. Ecouter par exemple une chanson exceptionnelle évoquant la nostalgie comme «aâssas n tala» (le gardien de la fontaine) en est un exemple édifiant parmi une infinité d’autres. L’amour de la patrie, de l’Algérie en général à la Kabylie en particulier, a été l’un des thèmes les plus récurrents de l’oeuvre poétique de Slimane Azem. Un thème que Slimane Azem n’a jamais ou presque jamais dissocié de celui de l’exil qui l’avait tant hanté au point d’être qualifié à juste titre de poète ou de chanteur de l’exil.

Privé de sa terre natale, Slimane Azem en a certes souffert, mais c’est aussi dans cette privation qu’il a puisé sa foisonnante inspiration lui ayant permis d’écrire des dizaines et des dizaines de poèmes immortels sur l’émigration forcée et sur l’amour du pays. Slimane Azem a toujours trouvé les mots, les vers et les métaphores qu’il faut pour déplorer sa condition d’exilé sans jamais se redire ou tomber dans la redondance. Et c’était l’une des facettes de son talent de poète. Parler de la même chose, de mille et une belles et différentes manières, était l’un de ses atouts. Ce n’est pas du tout évident et Slimane Azem disait l’exil à chaque fois avec une nouvelle fraîcheur, un autre vocabulaire qui faisait de chaque texte dédié à l’amour de la patrie et à l’exil un chef-d’oeuvre. Chez Slimane Azem, le thème de l’exil et de sa déchirure n’est jamais épuisé. Le poète est hanté par les images de son village natal Agouni Gueghrane qu’il n’a pas revu depuis des décennies. Il est hanté par d’autres «sites ensoleillés, les mirages et les décors» de sa Kabylie natale.

Le pays natal le taraudait

Il le dit même en langue française dans un sublime poème qu’il a intitulé tout simplement: «Algérie, mon beau pays». Dans ce texte destiné et dédié aux enfants des émigrés algériens nés en France, Slimane Azem fait le serment à cette Algérie inaccessible, mais tant adulée: «Algérie, mon beau pays, je t’aimerai jusqu’à la mort, loin de toi, moi je vieillis, rien n’empêche que je t’adore.» Le désir d’exprimer cette souffrance d’être coupé de sa terre natale était donc tellement profond chez Slimane Azem qu’il avait voulu le faire entendre à un maximum de mélomanes. Une douleur qu’il n’était pas seul à vivre puisqu’elle était partagée par tous les Algériens d’outre-mer.

Même ceux qui sont partis et restés volontairement. Slimane Azem a su dépeindre la douleur de toute cette génération d’Algériens dont il faisait partie. Il est incontestablement le poète-chanteur algérien qui a, et de loin, chanté le plus sur le thème de l’exil et l’amour de la patrie. Slimane Azem avait beau surfer sur une infinité d’autres sujets, mais il rebondissait inéluctablement et toujours sur le sujet qui taraudait tant son esprit: «tamurt» ou le pays natal.

En kabyle d’ailleurs, on n’a pas besoin de dire «mon» pays car «pays» (tamurt) veut dire systématiquement sa terre natale. Dans «tamurt-iw aâzizen», la complainte de Slimane Azem donne les larmes aux yeux. Il y parle de l’Algérie comme on parlerait d’une femme aimée qu’on a abandonnée au bled pendant de longues années sans l’avoir vue et sans avoir obtenu de nouvelles d’elle. Il y décrit son chagrin: «Mon pays bien aimé / Que j’ai quitté involontairement / Ce n’est pas moi qui ai choisi / C’est le destin et mon triste sort / Je vis dans un pays étranger / Mais ta silhouette ne quitte jamais mes yeux.» Bien sûr, toute traduction est trahison en poésie et ici, on est loin de retrouver toute l’émotion que dégage le texte, en kabyle de Slimane Azem. Surtout quand il est déclamé sur son support musical. Mais on a quand même une idée de ce que pouvait être la douleur de Slimane Azem par le fait qu’il vivait dans un pays qui n’était pas le sien.

«A Muh a Muh»…

Peu importe les raisons, mais la réalité est là et si on avait enseigné aux enfants d’Algérie qui sont aujourd’hui des jeunes, les textes de Slimane Azem sur l’amour de la patrie et sur l’amertume de l’exil, ils auraient hésité bien longuement avant de passer à l’acte de la «harga» très en vogue actuellement. Au lieu de cela, on a injustement censuré Slimane Azem des espaces publics parce qu’on n’a pas su voir en lui l’aspect positif de son oeuvre en se focalisant uniquement sur des considérations superflues qui, au fil des décennies, s’avèrent ne revêtir aucune importance.

Pour qu’ils ne cherchent pas à tout prix à quitter le pays pour s’exiler dans l’inconnu, même au prix de leur vie, les jeunes Algériens auraient sans doute une autre vision s’ils avaient été imprégnés et abreuvés des poèmes de Slimane Azem qui sont des hymnes à la patrie comme: «Ldzair a taâzizt-iw», «Daghriv dabarani», «A Muh a Muh», «Anetsruhu netsughal», «Ayafrux ifirilès», «Ur iruh, ur yeqqim», «Algérie mon beau pays», «Tamurt-iw Tizi Ouzou», «A yaâssas n tala» et la liste est loi d’être exhaustive. Il y a de quoi faire un véritable manuel sur l’amour de la patrie et la douleur de l’exil, mais Slimane Azem, à l’instar de bien d’autres grands artistes algériens a été, durant toute sa vie, victime de préjugés aberrants.

En tout cas, le temps finit toujours par rendre à César ce qui appartient à César. Ce n’est qu’à partir de 1988 que ses chansons ont été autorisées à être diffusées pour la première fois après l’indépendance au niveau de la Radio nationale Chaîne 2. Avant, elles y étaient tout simplement censurées et indésirables. Même en exil, Slimane Azem savait qui étaient les instigateurs de cette machination qui le visait. Il a répondu aux trois compères qui étaient les artisans de la censure qui l’avait frappé dans sa célèbre chanson intitulée péjorativement: «Tlata yeqjan» (les trois chiens). Mais que pouvait faire la censure devant le talent gigantesque de Slimane Azem? rien sinon lui conférer encore plus de crédibilité et d’estime de la part d’un peuple qu’on pouvait certes tromper pendant un temps, mais pas tout le temps.

Aujourd’hui, en 2019, 36 ans après son décès, Slimane Azem est la locomotive de la chanson et de la poésie kabyles. Malgré l’avènement de nombreux au-tres monuments de la chanson thématique kabyle, Slimane Azem reste le maître. Tous les autres, aussi talentueux et immenses soient-ils, ne sont que des élèves devant lui. Ils le reconnaissent d’ailleurs tous. A l’unanimité.